Retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !
L’expression : Avaler des couleuvres[1]
Cette expression a deux sens :
- Subir des affronts, des désagréments, sans pouvoir protester.
- Gober n’importe quelle affirmation.
Le second sens proposé, plus récent, est une évolution du premier qui, selon Furetière, existait au XVIIe siècle. En effet, entre quelqu’un qui est obligé d’accepter ce qu’on lui propose ou inflige, sans pouvoir le refuser ou le contester, et celui qui finit par gober n’importe quoi sans émettre la moindre objection, il n’y a qu’une petite distance à franchir.
Mais cela n’explique pas le lien avec nos reptiles.
Une des deux origines souvent citées viendrait d’une époque où les anguilles étaient très présentes dans nos rivières et servaient de plat commun.
Il est donc possible que certains hôtes facétieux ou désirant se venger de quelque chose aient servi à leurs invités quelques couleuvres mêlées aux anguilles d’apparence très proche. Et soit les invités ne s’en rendaient pas compte, montrant ainsi qu’ils « gobaient » n’importe quoi, soit ils s’apercevaient de la chose mais ils restaient bouche cousue pour ne pas faire d’esclandre ou ne pas se fâcher avec leur hôte.
Une autre origine, la plus probable, vient d’une ancienne signification de couleuvre qui désignait aussi une insinuation perfide, le genre de propos auxquels il n’est pas toujours simple de répondre et qu’on doit alors subir sans piper mot. Ce sens du mot était bien entendu lié à la perfidie du Diable qui s’était présenté à Eve sous la forme d’un serpent pour la convaincre de croquer le fruit défendu.
Cet emploi aurait été renforcé par la confusion avec couleur qui, du XVe au XVIIe siècle, désignait une fausse apparence, encore symbole de perfidie (puisqu’une bonne couche de peinture peut dissimuler bien des défauts de support)[2][3].
L’insulte : coureur de lippée
Il s’agit d’un parasite. Lippe signifie « lèvres » : lippée[4] peut ici se traduire par « bouchée »[5] et l’expression « être un coureur de lippée » par « bouffer à tous les râteliers », « écornifler », « chercher un bon repas là où il n’en coûte rien »[6][7].
Les mots :
Couleuvre, n.f.
Lézarde d’une voûte provenant d’un vice de construction.
Couleuvrée, n.f.
Un des noms de la bryone, plante de la famille des cucurbitacées, commune dans les haies[8].
La curiosité : La famille Dérober, robe, roupettes et roupiller !
Le nom germanique rauba, « butin », est à l’origine du nom français robe, « butin » (1155).
Puis, comme les étoffes étaient des pièces recherchées dans toute prise de guerre, robe en vint rapidement à signifier aussi « vêtement ». Ensuite, au fil des ans, le sens de robe évolua pour prendre finalement la signification de « vêtement féminin d’un seul tenant » (vers 1165).
Mais le nom rauba venait lui-même du verbe germanique raubôn qui signifiait « piller, voler » et qui devient le verbe français rober « piller » et attesté vers l’an 1130. Rober devient ensuite dérober, « piller » (1160), qui prit plus tard le sens simple de « voler ». Robe et sont donc, en quelque sorte, des cousins.
Avec les Wisigoths, rauba arriva en Espagne et donna le nom ropa, « hardes, vêtements usagers »[9]. Ropa eut un diminutif, le nom ropilla, qui conserva le sens de « vêtements usagés ». Ropilla fut adopté par les Français sous la forme roupille ; ce mot ne parvient pas jusqu’au français général mais resta dans les dialectes où il prit le sens de « guenille » et de « vêtement ample ». Roupille eut toutefois sa descendance puisqu’il produisit le verbe roupiller, « dormir », attesté en 1597. L’explication est simple : pour dormir, on s’enroulait dans cette sorte de grand manteau qu’était une roupille. Pendant plusieurs siècles, roupiller resta confiné dans l’univers du parler régional et argotique ; il se répandit dans le parler général seulement après la Première Guerre mondiale.
Dernière surprise : roupille est à l’origine du nom populaire roupettes, « testicules », attesté en 1779. Cela peut nous paraître étonnant, mais on a dû estimer que la chose ainsi nommée avait l’aspect d’une « guenille », ce qui n’est guère flatteur certes…
Jean-Joris Schmidt,
Ancien administrateur
[1] Merci à Xavier Van Gils pour l’idée
[2] « Avaler ainsi une couleuvre aussi longue que l’Arno, cela s’appelle avoir l’estomac bon » (Alfred de Musset, Lorenzaccio, 1834, acte I, scène 5
[3] Musique : « La nuit les couleuvres », d’Alexandre Delano : https://www.youtube.com/watch?v=OxUWQhaQ6Hk
[4] Au XVe siècle, cela signifiait « lampée ». Mais aussi en 1492 un « bon repas ». En 1585 on l’utilise comme un « bon morceau qui ne coûte rien ».
[5] « Ça donnait envie de s'asseoir près du feu, la tasse chaude [de café] dans la main et de boire par petites lippées », Giono, Que ma joie demeure,1935, p. 27. Familièrement donc, lippée désignait ce qu’on pouvait prendre avec les lèvres. Mais plus communément, c’était une nourriture, un repas.
[6] « Car, quoi ! rien d'assuré ! point de franche lippée ! » La Fontaine, Fabl. I, 5
[7]Corneille (Suite du Ment. I, 1) définit la lippée de façon figurative comme une bonne aubaine : « Ce fut en cet état, les doigts de sang souillés, Qu'au bruit de ce duel trois sergents éveillés, Tout gonflés de l'espoir d'une bonne lippée, Me découvrirent seul et la main à l'épée »,
[8] Pour une photo : https://fr.wikipedia.org/wiki/Couleuvr%C3%A9e
[9] Actuellement, ce mot signifie « vêtements ». A noter que robar en espagnol signifie « voler »…