Les avocats familialistes ne devraient jamais faire de déclaration de soupçon à leur bâtonnière/bâtonnier …. Ce n’est pas tout à fait exact

Dans un grand nombre de dossiers qu'ils traitent, les avocats familialistes entrent dans le champ d’application de la loi du 18 septembre 2017 « relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces » (ci-après « LAB » [1]).

Il en est ainsi lorsqu'ils assistent leurs clients dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant notamment l'achat ou la vente de biens immeubles ou d'entreprises commerciales, la gestion de fonds, de titres ou d'autres actifs appartenant à un client ou qu'ils agissent au nom d’un client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière [2].

Les avocats familialistes sont soumis au mécanisme de prévention lorsqu'ils donnent un conseil ou assistent leur client dans la préparation, la rédaction de documents, la négociation et la conclusion d’accords transactionnels dans des dossiers qui portent notamment sur la liquidation du régime matrimonial, la sortie d’un patrimoine en indivision, la réalisation d'actifs dans un litige familial. La notion de "gestion de fonds appartenant au client" vise également le recouvrement de parts contributives ou de pensions alimentaires pour le client [3]. Le fait qu'il soit désigné par le Bureau d'aide juridique de son barreau ne modifie pas ce principe d'assujettissement à la LAB.

L’avocat doit informer immédiatement son bâtonnier lorsqu’il apprend ou soupçonne, dans un dossier qu’il traite et qui entre dans le champ d’application de la LAB, que des fonds, des opérations à exécuter ou des faits seraient liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.[4]

Il existe cependant une exception très importante à cette obligation de déclaration de soupçons au bâtonnier qui a pour but de protéger le secret professionnel de l’avocat.

Celui-ci ne doit pas faire de déclaration de soupçons si les informations ou renseignements dont il a connaissance ont été reçus d’un de ses clients ou obtenus sur un de ses clients dans deux cas :

  • lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client (mission de « conseil juridique ») ou
  • dans l’exercice de sa mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de ses conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient obtenues avant, pendant ou après cette procédure (mission de « défense de justice »).[5]

Il ressort de ces dispositions que dans la grande majorité des dossiers qu’ils traitent, les avocats familialistes, lorsqu’ils sont soumis au mécanisme de prévention du blanchiment et soupçonnent une opération ou des faits liés au blanchiment, ne doivent pas faire de déclaration à leur bâtonnier, dès lors qu'ils agissent dans le cadre de cette exception, à savoir qu’ils analysent la situation juridique de leur client ou assurent leur défense en justice.

Cette exception de notre secret professionnel a pour but de permettre de conseiller ou de défendre son client en toute connaissance de cause. L’avocat pourra ainsi, le cas échéant, dissuader. Par contre, jamais il ne participera ou ne prêtera son concours à la commission d’une infraction, quelle qu’elle soit.

Un avocat est consulté dans une procédure de divorce. Dans le cadre du partage du patrimoine du couple qui se sépare, il apprend que ceux-ci sont propriétaires d’une collection d’œuvres d’art qu’ils ont acquise avec des fonds provenant de la corruption. L’avocat met fin à son intervention mais ne doit pas faire de déclaration au bâtonnier dès lors qu’il agit dans le cadre de l’exception à cette déclaration : l’évaluation de la situation juridique de ce client ou une mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de ses conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure.

Une déclaration de soupçons au bâtonnier devra cependant être faite par l’avocat familialiste (« exception à l’exception ») lorsqu’il soupçonne qu’il aurait été « utilisé » (« instrumentalisé » pour reprendre l’expression de la CTIF[6]) dans une opération qui pourrait être liée au blanchiment, notamment par l’utilisation de son ou ses comptes de qualité (comptes de tiers ou comptes rubriqués) [7].

Tel serait le cas dans l’exemple suivant. Au terme de la liquidation de leur régime matrimonial, un conjoint doit payer à l’autre conjoint une somme de 150.000 €. Il est convenu que ce montant sera versé sur le compte de tiers de l’avocat qui est le conseil du conjoint qui en est le bénéficiaire. L’avocat reçoit ce montant et constate qu’il a été versé depuis un compte de l’autre partie à l’étranger dont il n’a jamais été informé (ni son client) de l’existence dans le cadre du dossier qu’il a traité. L’avocat ne reçoit aucune réponse de la partie adverse sur l’origine de ces fonds ou les informations qu’il reçoit de celle-ci ne lui permettent pas d’identifier l’origine licite de ceux-ci. L’avocat peut dans ce cas soupçonner qu’il aurait été utilisé pour tenter de « blanchir » les fonds qui sont arrivés sur son compte de qualité et en fait la déclaration à son bâtonnier.

Il est rappelé qu’AVOCATS.BE met à disposition des avocats de nombreux documents écrits et audiovisuels (capsules vidéo) leur permettant d’assurer la mise en place et le suivi des obligations en matière de prévention du blanchiment [8]. On renverra plus particulièrement au "Manuel de procédures internes - prévention du blanchiment" qui a pour objectif d’assister les avocats dans cette matière et, en particulier de les aider – de manière pragmatique – à élaborer ou à renforcer leur propre manuel de procédures internes et ainsi à se conformer au prescrit de la LAB.

La Commission Université-Palais organise prochainement une formation intitulée « La prévention du blanchiment, tous concernés ! » qui abordera notamment la prévention du blanchiment dans la pratique du droit familial (le 16 mai à Charleroi et le 23 mai à Liège) [9].

François MASQUELIN
Administrateur 

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[1] La référence qui sera faite ci-après aux articles de cette loi mentionne également l’abréviation « LAB »

[2] Article 5, 28° LAB

[3] Deborah Charlier, Droit familial et blanchiment, Tribune n°224, AVOCATS.BE.

[4] Article 52 LAB

[5] Article 52 LAB

[6] Cellule de traitement des informations financières

[7] Article 53 LAB

[8] Tous le documents et capsules vidéo sont disponibles sur l’extranet d’Avocats.be sous la rubrique « blanchiment » 

[9]https://www.cup.uliege.be/programme-encours/

A propos de l'auteur

François-J
Masquelin
Avocat au barreau de Bruxelles

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