Une autre justice est possible par Bruno DAYEZ

Une autre justice est possible, par Bruno Dayez, Bruxelles, Samsa édition, 2024, 116 pages, 18 euros.

Et si l’on cessait de juger du système d’un point de vue purement intellectuel ? Et si l’on commençait d’en juger par ce qu’en vivent les justiciables ?

(...)

Car si le système de justice pénale ne se prétendait pas juste, en quelque sorte, par essence, il perdrait d’office la plus grande part de sa légitimité et n’apparaîtrait plus que pour ce qu’il est : une machine à punir au service de l’ordre établi.

« Attendu que les faits sont demeurés établis tels que libellés à la citation ;

Attendu que la peine arbitrée par le premier juge correspond aux nécessités d'une juste répression ;

Par ces motifs,

Confirme le jugement a quodans toutes ses dispositions ».

C'est ainsi que, dans une affaire d'assassinat, dans laquelle mon client avait été condamné en instance à vingt ans de prison, la Cour militaire a répondu aux quarante pages de conclusions que j'avais déposées pour démontrer qu'aucun de ses huit aveux – qui présentaient tous des différences notables – n'étaient crédibles. Ne dit-on pas que la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique... ?

Autant dire que, ce soir-là, j'ai perdu quelques illusions. Bruno Dayez, lui, en a conservé quelques-unes et, clôturant une série de six petits essais sur la justice pénale, il nous livre, un peu comme un testament, son rêve d'une justice qui répondrait aux réels besoins des justiciables et non à une fonction purement symbolique.

Ce que fait notre justice pénale, c’est conforter le système établi en punissant pour l’exemple quelques milliers d’infracteurs soigneusement sélectionnés pour convaincre le public de rester dans les clous. Il s’agit d’une opération à haute teneur symbolique, consistant à donner à croire.

(…)

La justice pénale n’a jamais eu l’ambition de juguler la criminalité ni la délinquance, ni seulement l’ambition de la réduire dans des proportions significatives. Elle se contente d’apporter une réponse purement symbolique à des problèmes qui, eux, sont bien réels.

Que faudrait-il pour que la justice pénale permette réellement d'endiguer le crime, de réparer partiellement les torts causés par les délinquants, de réinsérer dans la société ceux qui ont commis des infractions, d'endiguer la récidive ?

D'abord débaptiser la Justice pour cesser de donner l'illusion qu'elle est une vertu divine, prodiguée par des demis-dieux ; raser les Palais de Justice dont l'écrasant volume n'a pour but que d'inspirer crainte et respect ; traquer le symbolique, le formalisme, le légalisme, le secret du délibéré ; abandonner le tout au sécuritaire. Cesser de traiter notre vénérable institution comme s'il ne s'agissait que de flatter les bas instincts d'un peuple qui n'en comprend pas les enjeux majeurs, qui pense qu'il n'y a pas assez de prisons, pas assez de coupables en prison, pas assez de condamnés qui restent en prison, pas assez de détenus qui exécutent réellement leur peine. Un peuple non éduqué aux réalités de la justice, qui ignore que relâcher un détenu après dix ou vingt ans d'oubliettes, pendant lesquels il a, au mieux, été traité comme une chose, c'est ouvrir la cage d'un fauve, alors qu'une politique de libération conditionnelle intelligente (Bruno Dayez voudrait que la libération conditionnelle soit érigée en droit pour chacun des détenus) permettrait au contraire de préparer, d'accompagner et de surveiller la réinsertion du condamné.

Bruno Dayez plaide également pour que le juge pénal, un peu à l'instar du juge familial, quitte le rôle de Jupiter, descende de son piédestal, pour débattre avec les plaideurs, en ce compris le ministère public, de façon à éviter cette suite de monologues qui ne se rencontrent que très rarement. Que les faits, et leurs qualifications, fassent l'objet d'un débat interactif qui permettrait d'aboutir, autant que possible, à un consensus, non seulement sur la condamnation éventuelle, mais aussi sur la réparation et la peine. Cela impliquerait sans doute que le huis clos devienne la règle, pour permettre de débattre plus librement, sans enfermer chacun dans ses positions. Pour qu'au bout, la victime se sente reconnue comme telle (alors qu'aujourd'hui elle est pratiquement toujours niée dans ses souffrances) et que le délinquant admette la justesse de la peine qui lui est infligée, sans en concevoir de la révolte.

Substituer une vérité horizontale à cette vérité, toute verticale, qui n’est certes pas plus vraie que celle-là. Autrement dit, instaurer une vérité qui serait le résultat d’un débat contradictoire, en ce compris sa conclusion.

Et que la prison devienne l'exception et non plus la règle. Une règle trop commode, qui masque son inefficacité sous le poids des symboles.

Et abolir la réclusion à perpétuité, qui n'est rien d'autre qu'une inhumaine condamnation à vie jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Attendons-nous de notre justice une efficacité purement symbolique grâce à laquelle elle peut sempiternellement fonctionner à l’identique ? Ou bien une efficacité réelle qui consisterait, à défaut de pouvoir prévenir la commission d’un acte antisocial, à éviter sa réitération par une sanction juste.

(…)

Il apparaît que notre système pénal mérite d’être soumis à la question. Aucune de ses caractéristiques ne coule de source, même si nous sommes tellement habitués à son fonctionnement que nous finissons par croire en son caractère éternel.

Merci Bruno. Quel beau testament ! Si seulement, il pouvait percoler. Mais, comme tu le dis, il faut planter des graines. Quelques-unes finiront bien par germer.

Patrick Henry

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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