Injures et outrages : la loi du 8 novembre 2023

Ce 17 janvier 2024, mon Vice-Bâtonnier m’alerte sur la portée générale de l’article 12 de la loi du 8 novembre 2023 qui interdira à partir du 1er septembre 2025 aux juges de paix suppléants de siéger dans la matière des administrations provisoires s’ils ont ce type de mandat. Cette loi est le produit nauséabond d’un mélange de suspicions et de soupçons de corruption à l’égard des magistrats suppléants. C’est un crachat aux avocats.

A partir du 1er septembre 2025 si le Juge titulaire est absent (maladie, accident, décès, vacances, incompatibilité objective ou subjective, surcharge de travail, colloque, séminaire, retraite, etc.), il ne faudra plus compter sur les suppléants, vérolés de la confiance du Magistrat et dont le suspicieux bénévolat est un quasi aveu de culpabilité au regard du législateur, sans doute trop influencé par ses propres rangs où se rencontrent habituellement de telles dérives. 

Ça n’empêche pas le même législateur d’exiger des suppléants toute la prise en charge des opérations électorales. Il est vrai qu’il y a moins de risque puisque, si les élections changeaient quelque chose, à n’en pas douter le même législateur les aurait supprimées depuis longtemps.

Il y aura donc deux catégories de juges de paix… un peu comme au bon temps des colonies, il y avait deux catégories de citoyens ou mieux, deux catégories de militaires, les autochtones étant interdits de certains types d’armes « trop dangereuses pour leur nature ». Cette « prudence » sélective connaît maintenant une résurgence dans le monde judiciaire. Bravo !

Cette incompatibilité objective qui est générale mais ne s’adresse qu’à une catégorie de juges de paix, en l’occurrence les suppléants, distillera dans le public l’image de « quasi-juges » pas vraiment compétents et pas vraiment indépendants. Re-bravo !

C’est oublier que certaines justices de paix ont attendu plus d’un an, voire deux, avant que le pouvoir ne nomme un titulaire… Entretemps, ce sont les suppléants qui ont assuré le service au public, non pas gratuitement mais sur leurs deniers (déplacements, temps, secrétariat, etc.) !

C’est aussi « oublier » que certains mandats « particuliers », humainement et juridiquement très lourds voire dangereux, étaient plus demandés qu’attribués à des suppléants, à raison de cette même qualité de « Juges » qui leur est maintenant reprochée : on est chez les fous ! 

J’ai bien compris que les réactions à cette injure ne seraient que des condoléances sans lendemain et qu’il n’y aucun espoir de retour à l’estime et au respect de la Magistrature Suppléante. Fort de ce beau succès « démocratique », je ne doute pas des prochains textes. On peut penser aux curateurs suppléants au Tribunal de l’Entreprise, aux conseillers suppléants, ou encore à tous les mandats de justice confiés aux avocats…On va bien rire ! 

In fine, ce que je regretterai le plus, c’est le fossé qui ne cesse de s’élargir entre l’Avocature et la Magistrature ; nous aurons donc un rapport à la française, un rapport d’hostilité et de suspicion.

Pour ma part, ce n’est pas grave ; d’ici dix ans je ne serai qu’un vague souvenir. Pour nos successeurs, ce sera autre chose.

Yves Demanet
Avocat au barreau de Charleroi


La loi du 08.11.2023, publiée le 30.11.2023, prévoit :

Art. 12. L'article 64 du Code judiciaire, modifié en dernier lieu par la loi du 23 mars 2019, est complété par un alinéa rédigé comme suit:

"Ils ne peuvent être appelés à siéger lorsque la demande est fondée sur les articles 488/1 à 502 de l'ancien Code civil ou sur les dispositions de la quatrième partie, livre IV, chapitre X, et qu'ils sont des administrateurs professionnels visés à l'article 494, c)/2, de l'ancien Code civil.".

Sauf erreur, elle n’est pas encore d’application puisque :

Art. 37. La présente loi entre en vigueur à une date fixée par le Roi et au plus tard le 1er septembre 2025.


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