Cryptogaffe !

Le Fil blanc : le Classique

Le Fil blanc aborde chaque mois, par le biais d’un article qui se veut court et lisible, un thème spécifique relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. 


Cryptogaffe !

Le 25 novembre 2023, la presse nous informe que le fils de Christine LAGARDE, présidente de la BCE, a perdu ses culottes dans des investissements en cryptomonnaies1. Le risque financier lié à cette forme de monnaie n’est pas l’objet du présent article, pas plus que l’application du principe qui veut qu’on n’écoute jamais ses parents et encore moins de se réjouir du malheur d’un fils de puissant.

On sait, de par son chapitre 16 et ses articles 173 à 177, que la loi 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces, est d’application dans la loi du 21 décembre 2009 relative au statut des établissements de paiement et des établissements de monnaie électronique, à l'accès à l'activité de prestataire de services de paiement, à l'activité d'émission de monnaie électronique et à l'accès aux systèmes de paiement, loi modifiée par la loi du 11 mars 2018 portant même libellé (Moniteur du 26 mars 2018).

Dans sa lettre d’information de mars 2022, TRACFIN (Ministère français de l’économie, des finances et de la relance -sic-)2,  met plus que l’accent sur les crypto-actifs. Evalués à 17.000 actifs en circulation, représentant plus de 2.000 milliards de dollars en 2022, le marché est décrit comme étant en pleine expansion. TRACFIN reprend la définition de la Commission européenne, qui avait formulé en septembre 2020 une proposition de règlement sur les marchés de crypto-actifs modifiant la directive (UE) 2019/1937, dit règlement MiCA. Ce dernier prévoit de délimiter la notion de crypto-actifs, d’installer des prestataires de services sur ce type de biens et d’organiser la régulation du secteur. Le règlement MiCA propose de définir le crypto-actif comme « une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire »

Reprenant le rapport du GAFI de juillet 2021, TRACFIN considère quatre risques liés aux cryptos : la commission d’infractions criminelles (chantage, cryptojacking, escroqueries), le financement du terrorisme, les fraudes fiscales et le blanchiment des capitaux.

Sur ce dernier point, qui nous intéresse le plus, TRACFIN distingue trois typologies : 

  • la typologie de transferts rapides de capitaux favorisés ici par plusieurs facteurs : absence quasi-totale de frais, manque de régulation dans certains états, rapidité des opérations, « pseudonymisation » des portefeuilles, absence de frontières sur le net ; 
  • la typologie d’investissement dans des secteurs à risque, l’art (essentiellement numérique) et l’immobilier, grâce à la dissimulation technologique de l’origine des fonds ; 
  • la typologie d’alimentation de supports de paiement tels que les cartes prépayées (Crypto2Plastic) qui permettent aux criminels d’user sans limite des produits de leurs crimes et délits. 

TRACFIN conclut à la nécessité d’une réponse légale et institutionnelle, de l’usage de logiciels d’analyse et de traçage, de l’identification des documents et de la détermination de l’origine et de la destination des fonds.

Sur le site d’Interpol, on lira : « Le blanchiment d’argent touche tous les domaines, y compris ceux les plus inattendus comme la criminalité environnementale, et a connu un réel essor avec l’avènement des cybermonnaies telles que le bitcoin. Les bandes organisées font circuler les fonds obtenus illégalement dans le monde entier via des banques, des sociétés-écrans, des intermédiaires et des sociétés de transfert de fonds en vue de les réinjecter dans des sociétés et économies légales »3.Dans le cadre de la lutte contre la criminalité par Internet, un programme baptisé « HAECHI », suivi de « HAECHI II », cible particulièrement cinq types de comportements illicites : l’escroquerie aux placements financiers, l’escroquerie aux sentiments, le blanchiment d’argent lié aux paris illégaux en ligne, la « sextorsion » en ligne et l’hameçonnage téléphonique. Interpol annonce un nouveau mécanisme mondial de blocage des paiements, appelé le Protocole d’intervention rapide anti-blanchiment de fonds (Anti-Money Laundering Rapid Response Protocol, ARRP).

L’Union européenne ne reste pas en retrait du sujet. Plusieurs textes sont à l’étude. 

On relèvera le Règlement (UE) n° 2023/1114 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023, sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937, publié au Journal officiel le 9 juin 20234. Même si ce texte n’intéresse pas prioritairement les particuliers, il leur ouvre des droits qu’il nous faut connaître pour la défense de nos clients, victimes ou auteurs5. L’information vérifiée et la traçabilité sont deux grands axes du texte. 

Un des objectifs est évidemment de lutter contre le blanchiment (voir les considérants 16, 51 et 77) ; le terme se retrouve à de nombreuses reprises dans les 156 pages du texte. 

On relèvera l’article 92, alinéa 1er, sous le verbo « Prévention et détection des abus de marché », qui précise : « 1. Toute personne qui organise ou exécute à titre professionnel des transactions portant sur des crypto-actifs dispose de dispositifs, de systèmes et de procédures efficaces pour prévenir et détecter les abus de marché (…) » et l’article 94 qui donne de très larges et vastes pouvoirs aux autorités compétentes de surveillance et d’enquête. 

On relèvera, dans l’arsenal des mesures autorisées, le droit de « a) exiger de toute personne qu'elle fournisse les informations et les documents que les autorités compétentes estiment susceptibles d'être utiles… » ou encore « o) interdire la négociation de crypto-actifs sur une plate-forme de négociation de crypto-actifs (…) » sur base d’un simple soupçon et un droit de perquisition élargi : « w) procéder à des inspections sur place ou à des enquêtes sur des sites autres que les résidences privées de personnes physiques et, pour ce faire, pénétrer dans des locaux afin d'accéder à des documents et à d'autres données, sous quelque forme que ce soit ».

Le dernier rapport de la CTIF6 met particulièrement en garde à l’égard des cryptomonnaies comme vecteurs de blanchiment. En page 19 de ce rapport de 2022, on lira notamment « la CTIF a également été amenée à traiter plusieurs déclarations de soupçon relatives à d’importantes ventes de crypto-monnaies. La CTIF a ainsi constaté que des investisseurs belges ont rapatrié vers leurs comptes bancaires des fonds investis auprès de plateformes d’échange de monnaies virtuelles (…) ». Outre l’origine douteuse et le processus de blanchiment, la CTIF s’est interrogée sur la problématique fiscale liée au crypto et renvoie à une liste des questions7 qu’utilise le SDA bien connu de nos confrères fiscalistes. Lisez ces questions et vous verrez toute l’inspiration provenant de la loi du 18 septembre 2017.

En conclusion, la cryptomonnaie est une matière en pleine évolution et ici encore le dispositif préventif doit être appliqué avec rigueur et vigilance. J’ose une métaphore. Le champ des cryptos est plein de jolies fleurs toutes prometteuses ; certaines sont toxiques et n’est pas botaniste qui veut. Mais le vrai danger est invisible et sous-terrain. Dans ce joli champ il y a quelques mines… et n’est pas démineur qui veut.


Yves DEMANET
Avocat au barreau de Charleroi
Membre de la Commission anti-blanchiment

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1 https://www.huffingtonpost.fr/economie/article/le-fils-de-christine-lagarde-aurait-du-ecouter-sa-mere-sur-les-risques-lies-aux-cryptomonnaies_226245.html

2 https://www.economie.gouv.fr/files/2022-03/Lettre_TRACFIN_PSAN_20.pdf?v=1647338437

3 https://www.interpol.int/fr/Infractions/Criminalite-financiere

4 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023R1114

5 Le liquidateur et le curateur sont exclus par l’article 2.2.b

6 https://www.ctif-cfi.be/index.php/fr/actualites-quick-links/247-go-aml-fr

7 https://www.ruling.be/sites/default/files/content/download/files/liste_questions_cryptomonnaies_fr_2022.pdf

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