Blanchiment et anti-blanchiment : la responsabilité pénale de l’avocat

Le Fil blanc : le Classique

Pour rappel, la version classique du Fil blanc aborde chaque mois (en principe une Tribune sur deux), par le biais d’un article qui se veut court et lisible, un thème spécifique relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. 

Sa Spin-off examine chaque mois (l’autre Tribune sur deux) une branche spécifique du droit à la loupe, afin de déterminer où sa pratique pourrait donner lieu à un assujettissement et quels y seraient les indices d’un éventuel blanchiment.

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Blanchiment et anti-blanchiment : la responsabilité pénale de l’avocat

En principe, les choses sont claires. 

Le blanchiment est une infraction pénale, réprimée par l’article 505, al.1er, 2° à 4° du Code pénal. Pour être plus précis, trois infractions à l’élément moral nettement défini (lisez attentivement le texte du 2°, du 3° et du 4°) représentent les trois facettes du délit « dit de blanchiment », le mot ne se trouvant pas dans la loi pénale.

La loi préventive du 18 septembre 2017 est une loi administrative qui assujettit certains professionnels, dont les avocats, à un système de détection et de prévention du risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Elle ne contient que très partiellement des dispositions pénales, ne réprimant que l’obstacle aux inspections et vérifications des autorités de contrôle, le défaut d’inscription des prestataires de services en monnaie virtuelle et la violation de la limitation des payements des biens et des services en espèces (articles 136 et 137 de la loi de 2017). Les sanctions administratives sont bien sûr présentes, et fort lourdes, mais ne concernent pas la question analysée, à savoir la responsabilité pénale éventuelle de l’avocat.

La responsabilité pénale directe

Comme pour tout délit, et le contraire serait inconcevable, l’avocat ne bénéficie d’aucune immunité s’il aide à la commission d’une infraction de blanchiment, de façon simplement utile en tant que complice ou de façon indispensable en tant que coauteur, selon les règles de la participation criminelle contenues dans les articles 66 et 67 du Code pénal.  

Il est assez évident de refuser son concours à une escroquerie, à un détournement, à une infraction liée à l’état de faillite ou à un abus de biens sociaux : aucun développement n’est nécessaire pour sensibiliser les avocats à ce risque. En revanche la définition du délit de blanchiment en droit belge est à ce point large que le risque est réel. Les actes visés aux 2°, 3° et 4° de l’alinéa 1er de l’article 505 du Code pénal englobent tout ce qui peut être fait avec le profit tiré d’une infraction, et cette origine illicite ne doit pas être précisément connue par celui à qui l’on reproche une infraction de blanchiment. 

Ne pas vraiment savoir, en matière de blanchiment, pour un professionnel juriste1, ne veut pas dire être à l’abri d’une mise en cause de sa responsabilité pénale. Il faut aller plus loin, s’il y a matière à interrogation sur les fonds qui sont concernés par une opération soumise à la sagacité de l’avocat, et s’assurer alors d’une origine licite possible et raisonnablement convaincante. Les règles de la participation criminelle sont classiques et connues : un accord de volonté, un acte de participation énuméré par la loi (les articles 66 et 67 du Code pénal) et l’existence d’une infraction principale. C’est sur le contenu de la première de ces conditions que se joue la difficulté de cette matière.

L’accord de volonté comporte deux éléments, la connaissance et la volonté (sciemment et volontairement). La connaissance, c’est la conscience de participer à telle infraction déterminée ; ici, le blanchiment. La volonté est celle d’y participer. Mais cette connaissance et cette volonté ne doivent pas s’étendre au comportement infractionnel primaire, à l’infraction ou aux infractions sous-jacentes du blanchiment. 

Pour simplifier, en matière de participation à une infraction de blanchiment, l’avocat se trouve dans une situation assez similaire à celle du juge qui doit déclarer l’infraction établie ou non : si l’opération sur laquelle on lui demande son conseil ou son assistance est relative à des fonds dont il peut raisonnablement exclure une provenance licite, il prête vraisemblablement son concours, indispensable ou simplement utile, à une opération dont il sait qu’elle est potentiellement constitutive d’une des infractions de blanchiment visées par l’article 505, alinéa 1er, 2° à 4° du Code pénal. L’avocat n’est évidemment pas soumis au régime probatoire qui s’impose au juge, et il n’est pas outillé comme un enquêteur. Mais globalement, si son attention est attirée par des éléments douteux, il doit procéder intellectuellement de la même manière pour exclure un risque de participation, à savoir trouver une origine licite « satisfaisante » aux fonds sur l’utilisation et la destination desquels il va exercer sa compétence professionnelle.

Les fonds qui transitent par le compte Carpa

Utiliser sciemment le compte de tiers pour permettre ou faciliter un blanchiment sera évidemment passible de sanctions pénales et disciplinaires à la hauteur de cette faute lourde.

Mais parfois les situations ne sont pas aussi nettes, et un avocat qui n’a manqué à aucune de ses obligations peut recevoir des fonds sur son compte de tiers dont la provenance, ou le montant, font naître le soupçon. Restituer l’argent à l’expéditeur, ce qui peut s’imaginer par réflexe, pourrait être qualifié d’acte de blanchiment. Dans ces situations, pas d’autre solution que de déclarer le soupçon, par l’intermédiaire du bâtonnier comme la loi l’impose, en précisant que les fonds sont gardés dans l’attente d’une décision ultérieure2.

Les honoraires 

Tout est question d’espèce(s). Un avocat a le droit de percevoir des honoraires normaux sans risque pénal permanent, même si le client se voit reprocher des infractions ayant produit des avantages patrimoniaux, les autorités de poursuite étant sensibles à l’effectivité des droits de la défense. Nous pouvons même ajouter que le seuil de vigilance sera moins élevé pour l’appréciation de la licéité de l’origine des fonds qui sont destinés à rémunérer l’avocat que s’il s’agit d’apprécier cette même licéité dans un dossier où le concours de l’avocat est sollicité pour une opération relative à de tels fonds.

L’avocat sera cependant attentif à certaines situations pour lesquelles il ne bénéficie effectivement d’aucune immunité : 

  • l’argent qui lui est remis à titre d’honoraires ne peut avoir d’autre origine que délictueuse (il s’agit dans cette hypothèse d’avantages patrimoniaux « primaires », directement tirés d’une infraction, au sens de l’article 42,3° du Code pénal, et l’avocat en aurait connaissance) : s’il l’accepte, il se met en risque pénal, sur la base de l’article 505, al.1er, 2° du Code pénal3 ; même si l’appréciation doit être large, favorable à la primauté du droit à la défense sur d’autres considérations, il est impossible de bénéficier d’une sorte d’exemption générale. 
     
  • il ne suffit pas de qualifier d’honoraires n’importe quel transfert du client vers l’avocat : l’avocat ne se met pas seulement  en risque pénal, mais verse dans la commission pure et simple d’une infraction s’il déclare comme honoraires ce qui a une autre destination ; il est enfin inutile de préciser qu’un mode grossier de blanchiment serait la rétrocession, sous une autre qualification, de tout ou partie des honoraires versés, ceux-ci ayant été frauduleusement gonflés : le comportement infractionnel sera alors multiple (faux et usage de faux, infraction fiscale, abus de biens sociaux et blanchiment).
Le risque pénal indirect découlant d’une violation de la loi préventive

Lorsque l’avocat intervient bien dans le cadre des activités énumérées (article 5,28° de la loi de 2017), son risque pénal peut néanmoins se trouver modifié par l’existence du dispositif préventif, qui met à sa charge des obligations spécifiques. 

En s’abstenant de les respecter, en ayant manqué à ses obligations d’identification et de vigilance, et éventuellement à celle de ne pas avoir, à tort, déclaré un soupçon, se posera éventuellement la question de la participation criminelle par abstention. La jurisprudence récente de la Cour de cassation4 confirme qu’une omission peut entraîner une participation punissable, lorsque la personne concernée a un devoir positif d’agir (ce qui est le cas dans le cadre de la loi préventive) et qu’en outre, son omission constitue un encouragement à la perpétration de l’infraction. On pourra bien entendu contester que l’absence de déclaration de soupçon, par négligence ou ignorance du dispositif préventif, puisse constituer un tel encouragement, mais ce sera en fin de compte une appréciation en fait, par un juge du fond, qui donnera la réponse après une procédure pénale longue et difficile.

Une autre déduction pourrait être tirée de la violation, par le professionnel du droit, d’une obligation contenue dans le dispositif préventif. Au lieu d’induire une possible participation par abstention, qui reste malgré tout marginale dans un droit pénal attaché aux règles classiques de la participation par un acte positif, le comportement global de l’avocat qui est intervenu dans une opération sans respecter les obligations mises à sa charge par la loi de 2017, pourra sans doute plus aisément être qualifié de participation directe. 

Une absence de déclaration de soupçon, de connivence avec le client, ferait naturellement entrer le comportement dans la sphère de la participation criminelle directe. Il pourrait en aller de même, par exemple, de la poursuite d’une opération de cession ou de fusion-acquisition, alors que l’avocat sait que les données relatives aux bénéficiaires économiques d’une entité concernée ne sont pas correctement intégrées dans le registre UBO, pour masquer leur identité réelle (articles 73 et 74 de la loi préventive, AR du 30 juillet 2018). 

Sévérité excessive du dispositif ? Manque de confiance dans la probité présumée des acteurs de la sphère juridique ? Une seule réponse : des avocats informés, prudents et attentifs…pour rester libres et indépendants.

André Risopoulos, 
Membre de la commission anti-blanchiment d'AVOCATS.BE

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1 Soumis ou non au dispositif préventif, selon la nature de l’opération envisagée par le client dans le contexte de laquelle l’avocat prête son assistance (article 5, 28° de la Loi).
2 La CTIF peut obtenir un blocage pendant 5 jours, confirmé ou non par le parquet. La décision ultérieure peut être pénale, ou civile, ou même autonome, si les justifications adéquates ont suivi.
3 Nous excluons la possibilité pour l’avocat, dans cette situation, d’accepter les fonds et de se « couvrir » par une dénonciation CTIF, non seulement puisqu’il doit se déporter s’il dénonce, mais surtout en vertu de la loyauté la plus élémentaire.
4 Cass. 29 avril 2003, RCJB 2006, note F. Kuty, p.241 sq ; cass. 17 décembre 2008, P.08.1233.F

 

 

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A propos de l'auteur

André
Risopoulos
Avocat au barreau de Bruxelles

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