La rentrée du Jeune Barreau de Tournai s’est tenue ces 24 et 25 avril.
La journée du samedi commença par une visite des plus beaux lieux historiques de la ville des cinq clochers, non sans avoir préalablement dégusté un Pichou, petite couque typique de la tradition folklorique tournaisienne. A la présentation, Maître Benjamin Brotcorne, dont il s’agissait de la première fois en qualité de guide touristique, émerveilla par ses explications ses confrères locaux, venus pour la plupart avec leurs petites têtes blondes, mais également un public nombreux de bâtonniers de barreaux extérieurs, francophones et nééerlandophones, et des autorités d’AVOCATS.BE. Les yeux ébahis découvrirent alors l’hôtel de ville, la cathédrale mais aussi le beffroi mais ils devinrent plutôt rieurs lorsque Maître Brotcorne détailla que Tournai, outre qu’elle fut la ville de Clovis, pouvait être fièrement répertoriée comme la première capitale de la France, sans savoir que le Bâtonnier de Versailles se trouvait dans son audience et qu’il allait ainsi relancer bien malgré lui au cours de cette visite une douce pointe de rivalité franco-belge. La matinée se solda par un tour de grande roue sur la Grand’Place qui vit prendre de l’altitude toute la troupe de nos confrères, amusée par l’esprit de convivialité qui s’était d’ores et déjà répandu.
Ayant repris des forces lors d’un excellent repas, chacun se dirigea alors vers le grandiose salon de la Reine de l’hôtel de ville de Tournai pour assister à l’exercice tant attendu de ce week-end : le discours de rentrée solennelle de Maître Joris Winberg, intitulé « Les médias au banc des accusés : différents visages du tribunal médiatique ». La Présidente du Jeune Barreau, Maître Fiona Deblaton, se chargea avec humour et affection de présenter son Orateur au public : passionné de droit pénal, à la fois fils de personnalités locales des médias, tendre père, futur époux et ami sincère, le portrait dressé était à la hauteur de la personnalité plurielle et très appréciée de Maître Winberg.
Et voici qu’il entra dans l’arène, sa voix de stentor retentissant dans les travées, pour asséner dès les premiers mots une charge brûlante à l’encontre des accusés du jour : « Les médias bousculent la justice, la défient, invoquent contre elle le poids de l’opinion, critiquent ses décisions, remettent en cause ses principes. S’il est vrai que les journalistes sont qualifiés à juste titre de « chien de garde de la démocratie » par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le système médiatique auquel ils appartiennent peut se révéler parfois hautement toxique ». Le ton était posé. Accusé : levez-vous ! Pour l’Orateur, les médias au sens large sont parfois coupables d’écorcher la Justice, de la malmener, de la décrédibiliser, de lui faire injure. Coupables, comme lors de l’affaire d’Outreau, de condamner des innocents avant que la Justice ne se soit prononcée et de jeter en pâture noms, carrières, réputations et vies au nom du trash et de la course à la fast information comme on consomme un fast food (toujours plus vite, toujours plus gras, toujours plus rassasiant). Coupables, comme dans l’affaire Georges Tron, de laisser l’opinion publique s’introduire dans le prétoire et de céder à l’instantanéité des réseaux sociaux, où en l’espèce un procès fut reporté en raison d’une campagne hargneuse menée sur Twitter par des militantes féministes assimilant le Président de la Cour d’Assises au mouvement #metoo. Coupables, comme dans l’affaire Jacqueline Sauvage, de conspuer et de désavouer la Justice alors que cette dernière n’a en rien dysfonctionné, l’exemple mettant en lumière comment une simple pétition sur un site Internet peut mener à une grâce présidentielle balayant d’un revers de la main deux décisions judiciaires parfaitement identiques ayant été prises à la lumière des éléments objectifs du dossier et des règles de droit. Coupables, comme dans l’histoire de Nicolas Hulot, de se substituer à la Justice alors qu’un débat judiciaire n’est plus possible en raison de l’extinction de l’action publique et de mettre en scène des procès en dehors des prétoires au mépris de la décence et du respect de la présomption d’innocence. L’Orateur s’appliqua enfin à démontrer que notre pays connaissait également pareils tourments, comme en atteste la récente vague d’indignation sur les réseaux sociaux à la suite du drame de Strépy-Braquegnies au cours de laquelle un internaute, soutenu par plus de 20.000 signatures, lança une pétition pour forcer le Magistrat instructeur à retenir une qualification incluant l’intention homicide, alors même que l’enquête n’avait pas démarré. L’émotion n’est pas l’information et la Justice n’est à la solde de personne, ni des velléités mercantiles des distributeurs de médias, ni des procureurs de salon derrière leur écran pixelisé. C’est ainsi à bon droit que l’Orateur mit en garde : « S’il faut donc s’inquiéter de l’avenir de la justice, c’est parce que ce sont désormais ses équilibres subtils peaufinés par des siècles de réflexion que la brutale industrie médiatique est en train d’endommager. Il est urgent de réagir afin de préserver les mécanismes complexes et sophistiqués de la justice et de rappeler que c’est dans le temps long et la réflexion qu’elle accomplit son œuvre ». K.-O. du public : Maître Winberg fut convaincant d’autant qu’il savait manier la rhétorique.
C’était sans compter sur Monsieur le Bâtonnier Dapsens qui décida de rééquilibrer l’intervention de son ouaille : certes les abus existent, certes ils sont regrettables, mais les médias restent et doivent rester le dernier rempart de nos démocraties et la liberté d’expression de la presse, sans le moindre compromis, doit être sanctifiée, y compris face à la toute aussi nécessaire délicatesse des affaires judiciaires. Fidèle à l’exercice de la réplique, le Bâtonnier prit également le parti de se livrer à une diatribe acerbe à l’encontre des propos de l’Orateur, plus par facétie et par amour de la joute verbale, qualités qu’on lui reconnaît aisément, que par véritable opposition d’idées. Il livra aussi à l’audience quelques pans de sa personnalité attachante que ses proches lui connaissent bien, faite d’humour et de références culturelles. Monsieur le Bâtonnier Dapsens finit par concéder quelques points de convergence à l’Orateur mais appela à la tempérance dans la critique de l’exercice médiatique.
Le musée des Beaux-Arts tout proche servit d’écrin à la réception du Conseil de l’Ordre qui s’ensuivit et c’est sous les coups de pinceaux de Monet, de Manet et de Van Gogh que les invités poursuivirent le débat qui faisait rage : lequel des deux tribuns du jour avait raison ? L’auteur de ce billet n’a hélas ni sondage, ni intention de vote à fournir à l’heure de rédiger ces lignes, l’ensemble des statisticiens en la matière étant monopolisé par on-ne-sait quel exercice électoral se déroulant à quelques kilomètres de la Ville de Tournai au même instant…
Le soir étendit ses charmes sur ceux qui n’étaient pas encore repus de cette journée confraternelle et c’est à la Ferme d’Ecavée que l’on continua à festoyer. Les indiscrétions racontent que tous les Administrateurs d’AVOCATS.BE mirent beaucoup d’ardeur à faire danser les régionaux de l’étape et qu’il fallut à la Présidente du Jeune Barreau de s’y reprendre à plusieurs reprises pour convaincre Monsieur le Bâtonnier Dapsens de laisser le barman rejoindre ses pénates autour de la cinquième heure du petit matin.
Infatigable, lui d’emmener sa caravelle de bâtonniers, de représentants d’AVOCATS.BE et de conseillers de l’Ordre à la découverte de sa ville de Mouscron le dimanche matin, faisant un arrêt culturel au musée du folklore avant de prendre l’apéritif sous un soleil franc en présence d’un jeune magicien du cru. Le débat d’idées se poursuivait encore autour de l’Orateur qui semblait soulagé d’avoir sauté l’obstacle. Les rires et les sourires ne manquaient pas. Il y avait sans doute bien plus que de la confraternité entre eux tous au moment de clôturer cette journée et, partant, la rentrée solennelle du Jeune Barreau de Tournai.
Coralie Fontaine,
Avocate au barreau de Tournai