En complément de l’article de Jean-Joris Schmidt « Brève » analyse de la loi relative au recouvrement amiable, nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur les mentions obligatoires devant figurer dans toute lettre de mise en demeure.
1. Livre XIX du Code de droit économique « dettes du consommateurs »
Pour rappel, la loi du 4 mai 2023 a inséré un livre XIX « Dettes du consommateur » dans le Code de droit économique (M.B., 23 mai 2023).
L’article XIX.7, §2 du CDE impose aux « recouvreurs de dettes », y compris les avocats, de mentionner divers éléments dans leurs lettres de mise en demeure adressées aux consommateurs, et notamment :
La mise en demeure doit contenir au moins les données suivantes :
- l'identité, le numéro d'entreprise, l'adresse, le numéro de téléphone, la qualité et l'éventuelle adresse de courrier électronique du créancier d'origine. En cas de cession de créance, les coordonnées du nouveau créancier sont également indiquées ;
- le nom ou la dénomination, l'adresse, le numéro d'entreprise et les coordonnées de contact de l’entreprise qui procède au recouvrement amiable de dettes, ainsi que les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie :
Administration de surveillance :
Service public fédéral Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie
Direction générale de l’Inspection économique
Boulevard du Roi Albert II 16
1000 Bruxelles
https://economie.fgov.be/
- une description précise du bien livré ou du service fourni qui a donné naissance à la dette, ainsi que la date d’exigibilité de celle-ci ;
- une description précise et détaillée des montants réclamés au débiteur ;
- le texte suivant, dans un alinéa séparé, en caractères gras et dans un autre type de caractère dans le cas où le recouvrement est effectué par un avocat, un officier ministériel ou un mandataire de justice :
« Cette lettre ne concerne PAS une citation au tribunal ou une saisie. Il ne s’agit pas d’une procédure de recouvrement judiciaire. » ;
- la mention que le consommateur peut obtenir, à sa demande, toutes les pièces justificatives de la dette ;
- la mention de la procédure à suivre en cas de contestation de la dette par le consommateur ;
- la mention que le consommateur peut demander des facilités de paiement, s’il est dans l’incapacité de payer le montant dû en une fois ;
- la mention qu’en l’absence de réaction dans le délai de quatorze jours calendrier, il peut être procédé à d’autres mesures ou actes de recouvrement amiable.
2. Rien de neuf – tout cela était déjà prévu dans la loi de 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur
L’indication des mentions prévues à l’article XIX.7, §2, 2° et 5° du CDE peuvent paraître incongrues. Elles ne constituent toutefois pas une nouveauté.
Les dispositions du livre XIX reprennent en réalité les règles prévues par la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur.
L’article 6, §2, 2° et 6° de la loi du 20 décembre 2002 (rendu applicable aux avocats par la loi du 17 avril 2009 de relance économique) disposait déjà que, dans la mise en demeure, devaient figurer, entre autres mentions, les coordonnées de l’administration de surveillance auprès du Service public fédéral Économie et qu’un alinéa en caractères gras devait spécifier que la lettre concernait un recouvrement amiable et non un recouvrement judiciaire.
A l’époque (en 2009), AVOCATS.BE s’était ému des nouvelles obligations mises à charge de l’avocat et avait introduit un recours contre la loi de 2009 en ce qu’elle rendait applicables aux avocats certains articles de la loi de 2002 qui ne l’étaient pas précédemment.
L’arrêt du 16 septembre 2010 de la Cour constitutionnelle ne nous a pas donné gain de cause, du moins pour l’essentiel.
La Cour a en effet estimé que « s’il est vrai, enfin, que les règles de déontologie des avocats leur imposent des obligations pouvant avoir un effet analogue à celui recherché par les dispositions en cause, il reste que le législateur a pu considérer que ces règles ne suffisaient pas à leur imposer des interdictions correspondant à celles qui sont prévues par la loi de 2002 et dont peuvent se prévaloir les justiciables qu’elle entend protéger. Les dispositions attaquées ne portent dès lors pas une atteinte discriminatoire aux droits des intéressés ».
La Cour a toutefois annulé l’article 38, 2°, de la loi du 27 mars 2009 de relance économique en ce qu’il rend applicable aux avocats, aux officiers ministériels ou aux mandataires de justice dans l’exercice de leur profession ou de leur fonction, le régime des sanctions civiles qui sont visées à l’article 14 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur et qui répriment une atteinte aux dispositions des articles 5, 6 et 7 de cette loi.
On peut considérer que cette annulation du régime des sanctions civiles continue de s’appliquer sous l’empire de la nouvelle loi.
3. Contrôle de l’inspection économique
L’exposé des motifs de la du 4 mai 2023 insérant un livre XIX « Dettes du consommateur » dans le Code de droit économique précise qu’ « en intégrant cette loi (celle de 2002) dans le Code de droit économique, on soumet l’ensemble des professionnels qui pratiquent une activité de recouvrement amiable au contrôle de l’Inspection économique » (DOC 55 3132/001, p. 24).
Si AVOCATS.BE, dans son avis sur le projet de loi, a à nouveau regretté que les avocats soient soumis au contrôle de l’inspection économique ; il a rappelé que les avocats (à l’exception de ceux qui pratiquent l’aide juridique), en tant que prestataires de services, étaient déjà soumis aux devoirs notamment d’information des articles III.73 et suivants du CDE, et à ce titre également aux inspecteurs et contrôleurs du SPF Economie chargés de veiller au respect de la loi.
Dans le cadre des travaux parlementaires, le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne a été interrogé sur la manière dont l'Inspection économique contrôlerait les recouvrements effectués par les avocats.
Voir le Rapport de la première lecture (DOC 55 3132/003, p. 56 et 57).
« Mme Anneleen Van Bossuyt (N-VA) constate que l’article XIX.6, § 1er, du Code de droit économique (article 4 du projet de loi) exempte les avocats et les huissiers de justice de l’inscription préalable auprès du SPF Économie1. Cette dispense soulève la question de savoir comment le SPF Économie pourra les contrôler, dès lors qu’il ne saura effectivement pas quels avocats et huissiers de justice exercent des activités de recouvrement à l’amiable. Le vice-premier ministre peut-il fournir des précisions à ce sujet ? Ne craint-il pas que ce contrôle effectué par le SPF précipite le passage au recouvrement judiciaire ?
(…) Le vice-premier ministre précise que le contrôle de l’Inspection économique s’opérera de la même manière que pour les bureaux de recouvrement, indépendamment des spécificités dues à la présence éventuelle de l’autorité disciplinaire.
Soit le contrôle est initié par un ou plusieurs signalement(s) de consommateurs auprès du Point de contact de l’Inspection économique. Dans ce cas, les informations pertinentes dans ce signalement ou suite à l’échange avec le consommateur concerné permettront de savoir, à l’avance, si l’avocat ou l’huissier de justice exerce bien des activités de recouvrement de dettes.
Soit le contrôle est réalisé de la propre initiative de l’agent de contrôle, ou sur la base d’une note d’instruction plus généralisée. Dans ce cas, un premier contact aura lieu avec l’avocat ou l’huissier de justice afin de comprendre l’étendue de ses activités et de prendre, le cas échéant, un rendez-vous avec lui.
Ce processus de contrôle est similaire pour les bureaux de recouvrement puisque, bien que l’Inspection économique dispose d’une liste d’inscription, elle n’est pas en mesure de savoir si le bureau en question exerce toujours des activités de recouvrement.
Pour pallier cet éventuel manque d’informations, un premier contact a donc lieu avec le bureau concerné afin de ne pas réaliser un contrôle sans objet. Il en sera de même pour les avocats et huissiers de justice. Ce premier contact pourra aisément s’opérer non seulement auprès du cabinet d’avocats ou de l’étude d’huissiers de justice, mais également auprès de celui exerçant, indépendamment, à son propre compte.
Mme Anneleen Van Bossuyt (N-VA) déduit de la réponse du vice-premier ministre que l’administration contactera les avocats et les huissiers de justice au préalable, ce qui semble difficile à mettre en œuvre dans la pratique. Le vice-premier ministre peut-il encore clarifier cette question ?
Le vice-premier ministre ajoute qu’il n’est pas prévu de demander à l’Inspection économique de contacter chaque avocat ou huissier. Les contrôles auront lieu sur la base de plaintes. Des campagnes de contrôle seront initiées via des contacts avec les différents ordres professionnels. Pour éviter des contrôles inutiles, il est prévu qu’un premier contact puisse avoir lieu entre les agents de l’Inspection ».
Des contacts seront pris avec le cabinet Dermagne afin d’évoquer la question des contrôles.
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1 Le livre XIX du CDE maintient l’exemption d’inscription préalable au SPF Economie pour ce qui concerne les avocats qui pratiquent le recouvrement amiable de dettes (article XIX. 6, §1er al. 2 CDE), puisqu’ils « présentent déjà les garanties professionnelles nécessaires » (exposé des motifs p. 24).