Depuis quelques années, AVOCATS.BE réfléchit à la création, dans le cadre d’un projet pilote, de cabinets d’avocats dédiés à l’aide juridique, en complément au système actuel d’aide juridique de seconde ligne. Cette expérience existe dans d’autres pays que le nôtre.
L’idée peut être très brièvement résumée comme suit : des cabinets multidisciplinaires seraient créés avec des avocats, des assistants sociaux et/ou des psychologues, qui pourraient avoir le statut de salariés, financés par un budget distinct du budget d’aide juridique actuel et ayant pour vocation une approche holistique du conseil et de la défense des plus vulnérables. Quentin Rey, administrateur en charge de la problématique de l’accès à la justice, détaille l’histoire, déjà longue, de ce projet ainsi que ses enjeux dans un article de cette Tribune.
Ce qui me frappe le plus dans l’approche de ce sujet est le caractère passionné, voire passionnel, des débats : il semble difficile de prendre une certaine distance pour avoir une discussion sereine. Je me suis posé la question des raisons de ce déchainement des passions qu’elles soient en faveur ou en opposition à ce projet. Manifestement, ce projet fait peur car il bouscule certaines de nos habitudes, de nos certitudes ! C’est d’ailleurs ce que beaucoup de bâtonniers m’indiquaient.
Or la peur paralyse, elle est mauvaise conseillère.
Le barreau est plus que réticent au changement. Passer du piédestal de la profession libérale qui faisait de l’avocat un notable du village au statut d’entrepreneur, acteur du monde économique est une évolution qui n’a toujours pas été digérée.
L’avocat n’est plus celui qui peut se limiter à apporter à son client une solution juridique à la question posée. Il doit, de plus en plus, apporter une solution globale au problème, souvent complexe, que le client lui soumet. C’est ce qu’on appelle une approche holistique, soit une approche de la problématique de manière globale et multidisciplinaire. Et cette manière d’envisager notre métier nécessite le concours d’autres professionnels, ce qui est inhabituel dans nos usages.
Il est temps de dépoussiérer nos habitudes et d’oser entreprendre tout en conservant bien entendu nos règles fondamentales. Et quand on creuse un peu, c’est possible.
Dans le cadre spécifique des cabinets dédiés, ce qui fait réellement peur est la création d’une forme de concurrence avec la crainte de perdre une partie de son contentieux. Or, ce que notre profession doit voir avant tout, et encore plus dans le cadre de l’aide juridique, c’est l’intérêt du justiciable afin que l’ensemble de sa situation puisse trouver une ou plusieurs solutions. Qui plus est, les cabinets holistiques n’ont nullement pour vocation de capter les dossiers rentables, mais au contraire visent plutôt les affaires complexes et/ou chronophages qui peuvent difficilement être assumées dans le cadre de l’aide juridique actuelle.
Il y a quelques dizaines d’années déjà sont nées les maisons médicales dans cette perspective de prise en charge holistique des patients les plus précarisés. Les avocats qui pratiquent l’aide juridique le font de manière le plus souvent désintéressée car, même à 81,23 € le point, il est malaisé d’en vivre. Mais, ce qui est visé ici, c’est la création de projets pilotes qui permettent cette prise en charge globale qu’un avocat, d’aussi bonne volonté soit-il, ne peut mener seul.
Et quand on a peur, on cherche des arguments qui ne résistent pas à l’analyse tels que le prétendu manque d’indépendance intellectuelle d’un avocat salarié (un interne salarié dans un hôpital n’aurait-il aucune indépendance thérapeutique ?), le danger de tel ou tel type de structure alors qu’aucune hypothèse n’est encore décidée (ASBL, société à finalité sociale, …), l’absence d’objectivation quant aux besoins et à l’existence de personnes qui passent sous les radars de l’aide juridique alors que l’étude menée par l’ULB le démontre assurément (et c’est exactement le même argument qui avait été soulevé pour les maisons médicales à l’époque).
Nous n’en sommes qu’à la réflexion et non aux détails. Si un accord de principe se dégage au sein de l’assemblée générale, le processus sera encore long et les garde-fous seront nombreux.
Mon propos n’est donc pas de dire que le projet actuellement discuté est absolument indispensable. Mon propos est simplement de dire qu’il est indispensable d’en discuter et de faire des choix, dans un sens ou dans un autre, de manière dépassionnée et en ne perdant pas de vue l’intérêt du justiciable le plus précarisé. Ne nous laissons pas guider par la peur de l’inconnu.
Le monde politique est intéressé par ce projet et l’a clairement manifesté. Il serait tout de même opportun que les avocats puissent être associés à la réflexion. Sur ce sujet, je vous avoue avoir une réponse nettement plus claire.
Votre bien dévoué,
Xavier Van Gils,
Président