Le ministre de la justice n’a pas sa langue en poche. Mais il a tout faux !

Tel est le titre d’un article que j’ai posté sur LinkedIn le dimanche 21 janvier à la lecture d’une interview du ministre de la justice dans l’Echo (https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/paul-van-tigchelt-une-justice-trop-lente-est-injuste/10520541.html).

Je persiste et signe : il n’est pas certain que notre ministre de la justice maîtrise tous les codes. Certainement pas le code de déontologie des avocats.

Selon le ministre de la justice, une des raisons essentielles de la lenteur de la justice est à rechercher dans l’attitude des avocats dans les procédures. Il précise : « Je ne veux pas changer la loi car quelques avocats abusent de la procédure. Les bâtonniers doivent veiller à ce que la déontologie soit respectée ».

C’est, à mon sens, une double ineptie.

Premièrement, ce n’est pas le code de déontologie des avocats qui règle la procédure. C’est le code judiciaire ou le code d’instruction criminelle ! Bien entendu, les avocats ont des règles déontologiques à respecter de manière rigoureuse. Mais, est-ce bien le rôle de la déontologie de permettre à une justice, exsangue, d’accélérer le processus décisionnel ?

Un code de déontologie a pour fonction d’organiser l’exercice d’une profession en fixant des règles qui s’appliquent aux membres de cette profession dans leurs relations avec leurs clients, entre eux et avec les tiers.

C’est le code judiciaire et le code d’instruction criminelle qui fixent l’organisation de la procédure et, avec ces règles, les magistrats fixent les délais de traitement d’un dossier. Mais ils ne peuvent le faire qu’avec leurs moyens.

Ce n’est tout simplement pas la déontologie qui permettra de traiter une affaire fiscale en moins de quinze ou vingt ans !

Deuxièmement, la manœuvre est trop connue pour passer inaperçue. Lorsque l’on est soi-même en tort, il est toujours plus facile de prendre les devants sur les critiques et d’accuser quelqu’un d’autre.

C’est la technique bien connue des pompiers que celle du contrefeu pour tenter d’arrêter un incendie.

Depuis bien trop longtemps, le pouvoir politique se désintéresse, volontairement, du troisième pouvoir de l’Etat et ne permet plus à cet Etat d’exercer une fonction essentielle qui lui incombe, la fonction juridictionnelle. C’est au pouvoir politique d’assumer en donnant à ce troisième pouvoir, vital dans une démocratie, à ce pouvoir judiciaire, les moyens d’exercer convenablement sa mission.

Je ne dis pas que certains avocats, dans l’intérêt légitime de leurs clients, n’usent pas, loyalement, des moyens de procédure mis à leur disposition pour retarder l’issue de certains procès. Mais ce n’est évidemment pas là que réside le problème ou alors, de manière tellement marginale.

Le ministre a raison de dire que « quand elle est trop lente, la justice est injuste ». La responsabilité en incombe pour l’essentiel au pouvoir politique.

Le barreau s’est toujours montré ouvert à toutes les solutions favorisant une accélération, raisonnable, du processus judiciaire. Il a toujours joué le jeu lorsque les réformes proposées ne mettaient pas en péril des droits fondamentaux. Mais ce n’est pas en accusant les avocats que le ministre trouvera des solutions réelles à cet arriéré judiciaire pour autant que le monde politique souhaite encore trouver de telles solutions.

Et quand je lis : « et là, je dois bien le dire : si les avocats, dont je suis un grand défenseur, sont des acteurs cruciaux de l’État de droit, je constate que certains bloquent des dossiers et ne contribuent pas à une justice qui fonctionne bien », je me dis qu’une justice qui fonctionne bien est une justice qui respecte toutes les règles qui lui ont été données pour fonctionner, en ce compris les règles du code des procédures civile et pénale.

Les avocats sont des acteurs de justice. Ils sont les premiers à subir les conséquences de la lenteur des procédures. Ils sont les premiers à demander que cette situation de pourrissement change.

Alors, Monsieur le ministre, si votre souhait est réellement de permettre à la justice de traiter plus rapidement les dossiers qui lui sont soumis, je vous invite avant tout à donner de vrais moyens au pouvoir judiciaire afin que celui-ci puisse enfin exercer sa mission et entrer dans le 21ème siècle !

N’est-ce pas l’occasion pour notre profession, rassemblée au sein d’AVOCATS.BE, avec l’O.V.B. et le barreau de Cassation, avec les magistrats, les greffiers et les experts judiciaires, de rappeler l’importance d’une justice qui fonctionne dans un état démocratique ? N’est-ce pas l’occasion de le faire, maintenant, à la veille d’échéances électorales essentielles pour notre pays ? N’est-ce pas l’occasion de le faire en cette presque veille du 20 mars, date de l’action « L’Etat de droit, j’y crois » ?

Je rêve d’une assemblée générale des bâtonniers, soutenue par l’ensemble des avocats qui s’intéressent à l’état de notre justice, se levant pour réclamer un vrai débat sur la place de la justice dans notre société. Il est temps de se réveiller.

Qui s’endort en démocratie se réveille en dictature !

Xavier Van Gils
Ancien président

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