Mots agaçants - partie 5

Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! (V. Hugo – je fais mon lettré).

Il suffit d’un langage approprié. PAS emphatique, soufflé, pompeux, boursouflé, verbeux ; bref, creux et indigeste, en définitive.

Pas non plus de filandreuse éloquence qui boîte et tergiverse (Musset – je fais mon érudit).

Sujet, verbe, complément, voilà déjà une bonne base de recette. Et, si possible, le mot juste ; celui qu’en cas de doute on pourra vérifier, PAS celui de l’épuisant : « Oh ! Ça va ! Tu avais compris… ».

Par exemple, on ne décerne PAS une mauvaise intention sur un visage, Madame A. de C.-T., même (surtout ?) quand on est publiée chez Grasset ! C’est un manque de discernement

Et c’est une impropriété : la forme existe mais elle est utilisée d’une manière incorrecte. Comme quand on dit recouvrir la liberté au lieu de recouvrer, ou qu’on veut faire de l’observation d’une règle de droit une prétentieuse observance, ce dernier mot gardant toujours un caractère religieux …

Un solécisme est une faute dans les déclinaisons, dans les conjugaisons ou dans les constructions.

Exemple souvent rencontré dans la correspondance : « Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, … » au lieu de : « Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, … ».

Le sujet sous-entendu de la proposition circonstancielle est – et doit être – celui de la proposition principale. Sinon, c’est celui qui doit agréer… qui se trouve dans l’attente d’une réponse de sa propre part !

Le barbarisme, lui, remplace un mot par un autre qui n’existe PAS : carapaçonner au lieu de caparaçonner ; obnibuler, au lieu d’obnubiler ; frustre, joyeux mélange de fruste et de rustre ; ou encore les agaçants malaisant et autre gênance.

Les mots qui suivent relèvent plutôt de l’emploi fautif, plus sournois car il ne saute pas toujours aux yeux.

Renseigner

Récemment, un (une ?) info ordre liégeois disait : “Il vous appartient de renseigner sur la plateforme le(s) permanence(s) [de votre choix]”.

Alors, déjà, “le(s) permanence(s)”, c’est un peu extravagant.

Ensuite et surtout, on ne renseigne ni une permanence ni une plateforme ; on renseigne… une personne !

Pour mémoire, renseigner vient d’enseigner : qui d’entre nous enseignerait … un formulaire ?!

Ce dernier, vous pouvez le compléter ou le remplir, le cas échéant de renseignements utiles ; vous pourrez y indiquer les éléments requis, les signaler, les déclarer, les faire connaître, vous pourrez même ainsi les communiquer ou les spécifier. Mais PAS les renseigner.

Renseignez-vous …

En termes de

Il est à craindre que, à bref ou moyen terme, on doive parler de la déchéance... du terme. Et finalement se retrouver en mauvais termes avec lui.

En termes de signifie dans la terminologie de, dans le vocabulaire de telle profession, telle discipline.

L’Académie française souligne que “son usage au sens de « en matière de » est un anglicisme à proscrire”.

La Vitrine linguistique du Québec ne se résout pourtant pas à qualifier cette tournure d’emprunt déconseillé, car, indique-t-elle notamment, elle est utilisée par des auteurs reconnus (N.D.R. : elle ne donne pas de noms). Elle ajoute que la locution est assez courante dans la presse. Aïe, ce n’est pas là que j’irais chercher le bon exemple.

Elle se refuse donc à en déconseiller l’usage … du moins dans la langue courante. Dans la langue soignée (sans doute celle qui est défendue bec et ongles par l’Académie…), poursuit-elle, on pourra au besoin lui préférer les expressions “en ce qui a trait à, en ce qui concerne, en matière de, pour ce qui est de, etc.”.

Une chose est sûre, il existe suffisamment de formulations adéquates pour qu’on nous dispense d’incongruités comme en termes d’originalité, en termes de coloris, voire en termes de sons (sic).

On dira donc plus justement en termes de musicologie qu’en termes de musicalité

Et de toute façon, comme souvent, c’est le tic verbal qui est exténuant ; on l’entend dix fois par jour et à toutes les sauces : basta Cosi !

Sa cousine, la locution aux termes de, signifie quant à elle “selon le texte de”, “comme le dit”, “comme l’explique”. Elle renvoie donc nécessairement à un texte : aux termes de la loi, par exemple.

L’épouvantable TOUT

Quand l’accorder ? Beurk. On ne peut pas en faire le tour ici : il y faudrait 10 pages (au moins).

La plupart du temps, TOUT est adverbe ou adjectif.

ADVERBE, il est invariable (en principe…, v. plus loin) et signifie totalement, entièrement.

ADJECTIF (on peut alors le remplacer par chaque ou n’importe quel ou quelle), il s’accorde … à tout coup – ou à tous coups (les 2 graphies sont admises), puisqu’à n’importe quels coups.

Dans être tout feu, tout flamme, pas de problème : c’est bien totalement, c'est-à-dire un adverbe, donc invariable.

“Elle est tout à son affaire dans toute affaire” comprend les deux : elle est totalement à son affaire dans n’importe quelle affaire.

On écrira la terre tout entière (totalement entière, ce qui paraît pléonastique mais a simplement valeur d’insistance) et les tout premiers hommes.

Dans certaines expressions cependant, l’adverbe tout accompagne un nom et … varie en genre (lire : pas en nombre). C’est ainsi qu’on dit la toute fin mais les tout débuts. Argh !

Ces formulations sont parfois critiquées – parce qu’en règle, les adverbes sont invariables ET modifient un verbe, un adjectif, un autre adverbe ou une phrase, PAS un nom –, mais attestées un peu partout, dit la Vitrine linguistique du Québec, ajoutant : Elles sont par ailleurs décrites, sans jugement négatif, dans des ouvrages consacrés aux difficultés de la langue française.

Admettons.

Mais comment expliquer à un enfant ou à un non-francophone que, dans sa toute nouvelle tenue, toute est bien un adverbe ? Tentez votre chance en lui disant que lorsqu’il est suivi d’un adjectif féminin qui commence par une consonne ou un h aspiré, l’adverbe tout s’accorde en genre et en nombre avec ce mot pour des raisons d’euphonie. Pas gagné !

Comme si ça ne suffisait pas, tout peut aussi être un NOM : il signifie alors le total.

Nom masculin, il doit être précédé d’un déterminant (UN tout, LE tout) et ne varie qu’en nombre.

Il s’écrit “donc” … touts au pluriel ! Aaargh … [et Le Robert en ligne croit en donner un exemple dans les touts petits (sic). On n’est pas rendus !]. On ne le trouve guère que dans des formulations comme la vie professionnelle et la vie privée sont des touts distincts.

Tout en tant que nom peut aussi signifier le principal, l’important. Ex. : Le tout, c’est de s’exprimer clairement.

C’est aussi ce nom qu’on trouve dans des locutions comme pas du tout, rien du tout, ou encore du tout au tout ; qu’on se le dise une fois pour toutes (zut, là c’est un pronom indéfini !).

Vous avez tout compris ? Alors vous savez que vous n’avez pas totalement compris mais compris le tout.

Parmi les personnes qui n’ont pas suivi, les lecteurs sont tout honteux ; les lectrices, toute spécialistes (ndr : substantif) de la langue qu’elles se pensaient, sont toutes honteuses (adjectif) …

Et moi, à la relecture, je suis tout perdu (dans une quinte de toux).

Près de, Prêt à

Un arbre peut être près de tomber comme il peut être prêt à tomber

Dans les deux cas il est sur le point de choir mais, non, Madame (que la prononciation au féminin trahit), ne dites PAS que vous n’êtes “pas prête DE l’oublier” quand votre monsieur vous contrarie : vous en êtes loin (et donc, pas près), même si vous êtes prête À fondre en larmes …

Pour bien mélanger le tout, je pourrais indiquer que vous semblez à peu près prête.

Enfin, le sujet étant d’actualité, je souligne que ceux qui sont près de l’âge de la retraite ne sont pas nécessairement prêts à la prendre. Et sur la question de l’âge adéquat pour ce faire, je bats en retraite …

Jari Lambert
gh.lambert@avocat.be


 

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A propos de l'auteur

Jari
Lambert
Avocat au barreau de Liège

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