De la jurisprudence européenne pour tous

Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel ils s’adressent.

Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).

Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.

Stéphane Boonen,
Administrateur

Relevé dans

L’Europe en bref n°1048 du 13 au 19 septembre 2024
L’Europe en bref n°1049 du 20 septembre au 3 octobre 2024
L’Europe en bref n°1050 du 4 au 10 octobre 2024
L’Europe en bref n°1051 du 11 au 17 octobre 2024
L’Europe en bref n°1052 du 18 au 24 octobre 2024
L’Europe en bref n°1053 du 25 octobre au 7 novembre 2024
L’Europe en bref n°1054 du 08 au 14 novembre 2024
L’Europe en bref n°1055 du 15 au 21 novembre 2024
L’Europe en bref n°1056 du 22 au 28 novembre 2024
L’Europe en bref n°1057 du 29 novembre au 5 décembre 2024


AGRICULTURE

Un produit alimentaire importé d’un pays tiers ne saurait porter le logo de production biologique de l’Union européenne qu’à condition qu’il respecte toutes les exigences du droit de l’Union (4 octobre)

Arrêt Herbaria Kräuterparadies II (Grande chambre), aff. C-240/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative fédérale (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les règles applicables à l’utilisation du logo de production biologique de l’Union. A cet égard, elle juge qu’un produit alimentaire importé d’un pays tiers ne peut porter le logo de production biologique de l’Union que s’il respecte toutes les exigences du droit de l’Union. Pour ce faire, il faut qu’il soit pleinement conforme à l’ensemble des prescriptions du droit de l’Union, et non pas seulement à des règles équivalentes à ces dernières. Selon la Cour, cette interdiction s’étend également à l’utilisation des termes faisant référence à cette production. Toutefois, elle indique qu’à l’inverse, le logo de production biologique d’un pays tiers peut être utilisé dans l’Union, même lorsqu’il contient des termes qui font référence à la production biologique, pour autant que le produit soit conforme à des règles équivalentes à celles prévues par le droit de l’Union. (AD)

ASSURANCE

Le droit de l’Union européenne s’oppose à une règlementation nationale qui rend la nullité d’un contrat d’assurance opposable à la victime d’un accident de la circulation, et qui est également le preneur de l’assurance souscrite sur la base d’une fausse déclaration intentionnelle (19 septembre)

Arrêt Matmut, aff. C-236/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (France), la Cour de justice de l’Union européenne est interrogée à propos de l’opposabilité au preneur d’assurance, victime d’un accident de la route, de la nullité du contrat d’assurance de responsabilité civile automobile conclu entre lui et son assureur. La Cour rappelle que l’Union poursuit un objectif de protection des victimes d’accidents causés par un véhicule et qu’en vertu du droit de l’Union, un assureur ne peut refuser d’indemniser les tiers victimes d’un accident causé par un véhicule assuré en se prévalant de dispositions légales ou de clauses contractuelles contenues dans une police d’assurance excluant de la couverture les dommages causés aux tiers victimes. En l’espèce, le preneur d’assurance avait commis une fausse déclaration quant à l’identité du conducteur habituel du véhicule concerné. La Cour relève qu’une telle situation ne relève pas de la seule dérogation à l’obligation des assureurs d’indemniser les tiers victimes d’un accident de circulation prévue par la directive 2009/103/CE. Par conséquent, elle en conclut que l’assureur ne saurait se prévaloir de la nullité du contrat d’assurance conclu sur la base d’une fausse déclaration, telle que celle en l’espèce, pour s’exonérer de son obligation d’indemniser le tiers victime du préjudice subi du fait d’un accident causé par le véhicule assuré. (AL)

AVOCATS – RECOURS EN CASSATION (Belgique)

L’avis négatif d’un avocat au Conseil quant aux chances du succès d’un pourvoi en cassation ne signifie pas nécessairement que celui-ci est « voué à l’échec » au sens de l’article 35 de la Convention (29 septembre)

Décision Missaoui et Akhandaf c. Belgique, requête n°54795/21

Les requérantes se plaignent de l’interdiction qui leur avait été opposée d’accéder à la piscine communale d’Anvers en raison du port de burkini. Toutefois, dans le cadre de la procédure nationale, celles-ci n’avaient pas formé de pourvoi en cassation, au motif qu’un avocat à la Cour de cassation avait émis un avis négatif quant aux chances de succès d’un tel pourvoi. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle le rôle important que jouent les avocats à la Cour de cassation, notamment dans leur mission de filtrage devant cette dernière. Dans un 2ème temps, elle estime que si un avocat à la Cour de cassation émet un avis négatif quant aux chances de succès d’un pourvoi cela ne signifie pas qu’il est « voué à l’échec » au sens de la jurisprudence de la Cour EDH. Dans un 3ème temps, elle précise que pour répondre à la question de savoir si un pourvoi est « voué à l’échec », il convient de prendre en compte le contexte, notamment juridique, dans lequel la question litigieuse est soumise à la Cour de cassation. Or en l’espèce, l’avis négatif ne se basait pas sur une jurisprudence tendant à montrer que ce type de recours était « voué à l’échec », puisque la Cour de cassation ne s’était jamais prononcée sur un cas d’espèce similaire. La Cour EDH considère donc que le seul avis négatif d’un avocat à la Cour de cassation ne constitue pas une raison propre à dispenser les requérantes de saisir la Cour de cassation. Partant, elle déclare le recours irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. (CZ)

AVOCATS – RUSSIE (Belgique)

L’interdiction de fourniture de services de conseil juridique au gouvernement russe ou aux entités établies en Russie ne porte pas atteinte aux articles 7 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’indépendance de l’avocat (2 octobre)

Arrêts (Grande chambre) Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e.a. c. Conseil, aff. T-797/22 ; Ordre des avocats à la cour de Paris et Couturier c. Conseil, aff. T-798/22 ; ACE c. Conseil, aff. T-828/22

Saisi de recours en annulation à l’encontre des dispositions du règlement (UE) 2022/1904 prévoyant l’interdiction de fourniture de services de conseil juridique au gouvernement russe ou à des personnes morales établies en Russie, le Tribunal de l’Union a rejeté l’ensemble des recours. Dans un 1er temps, il constate que l’article 47 de la Charte, qui garantit le droit à une protection juridictionnelle effective, et à ce titre, le droit d’être conseillé et représenté par un avocat, ne s’applique que s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle, qu’elle soit déjà ouverte ou qu’elle puisse être prévenue ou anticipée, sur la base d’éléments tangibles. Or, en l’espèce, ce cas figure expressément au titre des exceptions à l’interdiction de fourniture de services de conseil juridique et, dès lors, aucune atteinte à ce droit n’est caractérisée. Le Tribunal relève qu’aucune disposition de droit de l’Union ne garantit le droit d’être conseillé dans un contexte dépourvu de lien avec une procédure juridictionnelle. Dans un 2ème temps, il juge que si le secret professionnel est garanti aussi bien en matière contentieuse que non contentieuse, l’interdiction litigieuse et les procédures d’exemption prévues par le règlement ne portent pas atteinte, en elles-mêmes, à la protection du secret professionnel, et à supposer que ce soit le cas, cette atteinte serait justifiée par des objectifs légitimes et proportionnée à la poursuite de ceux-ci. Dans un 3ème temps, le Tribunal observe qu’aucune disposition de droit de l’Union ne protège l’indépendance de l’avocat en-dehors d’une procédure juridictionnelle, et juge de même que l’interdiction litigieuse ne porte donc pas atteinte à cette indépendance. (AL)

AVOCATS

La radiation d’un avocat, du fait qu’il ait porté plainte à l’encontre d’un confrère et critiqué l’autorité disciplinaire tranchant le litige, est contraire à la Convention (14 novembre)

Arrêt Afgan Mammadov c. Azerbaïdjan, requête n°43327/14

Le requérant, un avocat azerbaidjanais, se plaint que sa radiation du barreau viole sa liberté d’expression. En l’espèce, il avait saisi le président du barreau d’une plainte contre un confrère pour corruption et abus de pouvoir. Ce dernier s’est défendu en motivant que le requérant souhaitait lui nuire. Une procédure disciplinaire a donc été ouverte à son encontre, à laquelle il refusa de participer, remettant en cause la légitimité du président du barreau. Il fut par la suite radié. Dans un 1er temps, la Cour EDH estime qu’il y a bien eu une ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression. Dans un 2ème temps, elle reconnaît que si la procédure de radiation était légale, sa base juridique est formulée en des termes vagues, ce qui permettait aux autorités nationales de les interpréter largement. En particulier, il n’y a aucune précision des motifs de radiation du barreau. Enfin, dans un 3ème temps, la Cour EDH remarque que les allégations émises par le requérant à l’encontre de son confrère ne sont pas dénuées de fondements. Dès lors, la radiation constituait une sanction disproportionnée et non nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. (CZ)

AVOCATS

L’obligation faite à la société éditrice du Daily Mail, de payer des honoraires de résultat considérables dans des affaires en diffamation et atteinte à la vie privée, était excessive (12 novembre)

Arrêt Associated Newspapers Limited c. le Royaume-Uni, requête n°37398/21

La société requérante, Daily Mail, alléguait que l’obligation qui lui avait été faite de payer les honoraires de résultat et les primes d’assurance après évènement (« ATE ») dans le cadre de procédures judiciaires violait l’article 10 et la liberté d’expression qu’il garantit. Elle estimait, en effet, que cela faisait peser un fardeau excessif et injuste sur le défendeur et que la menace d’une telle obligation était clairement de nature à décourager la participation de la presse à des débats sur des questions d’intérêts légitimes. Dans un 1er temps, la Cour EDH juge que les honoraires de résultats étaient disproportionnés en l’espèce. Dans un 2nd temps, elle juge cependant que les primes ATE n’étaient pas quant à elles disproportionnées, d’autant que ces primes auraient profitées à la société de presse si elle avait gagné les procès engagés contre elle. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 concernant l’obligation de payer des honoraires de résultats, mais conclut à la non-violation pour l’obligation de couvrir les primes d’assurance ATE. (AD)

AVOCATS

La perquisition du téléphone d’un avocat, même prévue par la loi, doit être réalisée dans le respect de garanties procédurales spécifiques afin de garantir la protection du secret professionnel (5 novembre)

Arrêt Nezirić c. Bosnie-Herzégovine, requête n°4088/21

Lors d’une procédure pénale à l’encontre du requérant, avocat de profession, les autorités judiciaires bosniaques ont procédé à la saisie du téléphone portable de celui-ci ainsi qu’à l’examen des données qu’il contenait. Dans un 1er temps, la Cour EDH relève que la protection du secret professionnel implique des garanties procédurales spécifiques. Dans un 2ème temps, elle remarque que la loi bosniaque prévoit de telles garanties en ce qu’elles imposent, d’une part, que la perquisition soit ordonnée par une décision judiciaire, et d’autre part, qu’elle soit réalisée en présence d’un membre de l’association du barreau. Cependant, dans un 3èmetemps, elle déplore en l’espèce l’absence de cadre pratique garantissant le respect du secret professionnel, compte tenu des conditions dans lesquelles la saisie et l’examen ont été réalisés. En effet, l’intégralité du contenu du téléphone a été copié et transféré sur un DVD et son examen a été réalisé en dehors de la présence du membre du barreau. En outre, aucune procédure n’existe pour s’assurer que le tri des données pertinentes n’emporte pas compromission des données couvertes par le secret. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. (LF)

AVOCATS

La Cour EDH juge les opérations de fouilles réalisées dans les locaux d’un cabinet d’avocats ayant entraîné la saisie de documents et de données électroniques, conformes à l’article 8 de la Convention (21 novembre)

Arrêts Martin KOCK and Others against Germany n°1022/19 et JONES DAY against Germany requête n°1125/19

Les requérants, des avocats, se plaignaient de l’ingérence de la part des autorités compétentes dans leur droit à la vie privée et au secret des correspondances, garanti par l’article 8 de la Convention. En l’espèce ces derniers ont subi une perquisition de leurs locaux professionnels ainsi que la saisie de documents et de données électroniques recueillis à cette occasion. Dans un 1er temps, la Cour EDH estime que la perquisition des bureaux et la saisie des documents et de données électroniques, ont constituées une ingérence dans les droits des requérants. Dans un 2ème temps, elle est estime que cette ingérence servait un but légitime, à savoir la prévention d’un crime. Dans un 3ème temps, elle considère que cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique, dès lors que le mandat de perquisition a été délivré dans le cadre d’une enquête portant sur des allégations graves et que les garanties accompagnant la perquisition et la saisie des documents étaient également suffisamment précises et circonscrites. Enfin, elle considère que les juridictions internes ont fourni des motifs pertinents et suffisants dans leurs décisions justifiant la recherche et la sécurisation des documents, en prenant en compte les différents intérêts en jeu et en tenant compte, en particulier, du secret professionnel des avocats et de son champ d’application. Partant, la Cour EDH considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention. (AD)

AVOCATS

La déclaration d’irrecevabilité d’un pourvoi en cassation en raison de la remise tardive au greffe du jugement de première instance confirmé par l’arrêt attaqué, est contraire au droit à un procès équitable (21 novembre)

Arrêt Justice c. France, requête n°78664/17

La requérante se plaint, d’une atteinte excessive à son droit d’accès à un tribunal du fait du rejet de son pourvoi comme étant irrecevable. En l’espèce, celle-ci s’était pourvue en cassation à la suite d’un différend successoral. Cependant, l’avocat avait omit de remettre une copie du jugement de 1ère instance, puis avait ensuite rectifié son erreur, en la transmettant tardivement. La pièce a été acceptée par le 1er rapporteur désigné mais refusée par le 2nd qui l’a remplacé, de sorte que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi pour irrecevabilité. La Cour EDH, estime que la disposition imposant la production du jugement confirmé par l’arrêt attaqué est suffisamment prévisible et légitime. Concernant le caractère proportionnel de la disposition, la Cour EDH observe que l’erreur commise par le conseil de la requérante n’a eu aucune incidence sur la bonne administration de la justice. En outre, elle souligne que le Code de procédure civile français permet dans certaines conditions de compléter des productions incomplètes ou erronées. Enfin, elle remarque que la cause d’irrecevabilité a été soulevée d’office et à un stade avancé de la procédure, empêchant de trancher une affaire pourtant prête à être jugée. Ainsi, la Cour de cassation a eu une interprétation particulièrement rigoureuse de la règle procédurale en cause, ce qui n’était pas nécessaire à la bonne administration de la justice. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6§1 de la Convention. (CZ)

AVOCATS

L’absence, dans l’ordre juridique interne, d’un délai de prescription prévu par la loi pour les poursuites disciplinaires des avocats, n’est pas nécessairement de nature à rendre les procédures disciplinaires inéquitables (28 novembre)

Arrêt Chambeau and Streiff v. France, requête n°15771/20

Les requérants, 2 avocats au barreau de Paris à l’époque des faits, ont pris part en 1995 à une procédure d’arbitrage frauduleuse et entachée de conflits d’intérêts. Celle-ci a été annulée par la Cour d’appel de Paris puis par la Cour de cassation. Les requérants ont fait l’objet de sanctions disciplinaires de la part du conseil de discipline de l’ordre du barreau de Paris pour manquements à leurs obligations déontologiques, emportant notamment une interdiction d’exercer la profession d’avocat. Ces derniers se plaignent, d’une part, de l’absence de prescription en matière des poursuites disciplinaires des avocats pour des faits anciens, entrainant une violation du principe de la sécurité juridique et, d’autre part, du non-respect des droits de la défense. En effet, le fondement légal des poursuites retenu à l’origine aurait été modifié au cours de la procédure disciplinaire, il y aurait également un défaut d’indépendance et d’impartialité du bâtonnier et des organes disciplinaires. La Cour EDH conclut que l’absence dans l’ordre juridique interne d’un délai de prescription prévu par la loi pour les poursuites disciplinaires des avocats n’a pas été de nature à rendre inéquitables les procédures disciplinaires engagées à l’encontre des requérants et, en particulier, n’a pas porté atteinte au principe de la sécurité juridique. Elle reconnaît ainsi que les juridictions nationales ont à raison pu prendre l’arrêt de cour d’appel comme point de départ du délai de prescription, à compter duquel ces dernières se sont manifestées dans toutes leur ampleur, leur permettant d’en avoir connaissance effective. Partant, la Cour EDH rejette le recours. (BM)

CONCURRENCE

Les règles du Royaume-Uni relatives à l’imposition des sociétés étrangères contrôlées (« SEC ») ne constituent pas une aide d’Etat illégale et incompatible avec le marché intérieur (19 septembre)

Arrêt Royaume-Uni c. Commission e.a., ITV c. Commission e.a., LSEGH (Luxembourg) et London Stock Exchange Group Holdings (Italy) c. Commission e.a., aff. jointes C-555/22 P, C-556/22 P et C-564/22 P

Saisie d’un pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission européenne, confirmée par le Tribunal de l’Union, par laquelle elle a décidé que le Royaume-Uni avait accordé des aides d’Etat illégales à certains groupes multinationaux en leur conférant des avantages fiscaux sélectifs au moyen d’exonérations de l’impôt dû par les sociétés établies au Royaume-Uni sur les bénéfices de leurs SEC. Dans un 1er temps, la Cour rappelle que la Commission, lorsqu’elle détermine le cadre de référence aux fins de démontrer la sélectivité d’une mesure nationale, est en principe tenue d’accepter l’interprétation des dispositions pertinentes de son droit national, donnée par l’Etat membre, à moins qu’elle ne soit en mesure d’établir qu’une autre interprétation prévaut dans la jurisprudence ou la pratique administrative de cet Etat membre. Dans un 2nd temps, elle juge qu’en décidant que le cadre national de référence était, en l’espèce, constitué par les seules règles applicables aux SEC, et non du système général de l’impôt sur les sociétés comme le soutenait le Royaume-Uni, la Commission a ainsi commis une erreur de droit, laquelle entache de nullité sa décision dans son ensemble. Elle prononce donc l’annulation de cette décision et de l’arrêt confirmatif du Tribunal. (AL)

CONCURRENCE

Les clauses de parité tarifaire imposée aux établissements hôteliers par une plateforme de réservation d’hébergements en ligne ne constituent pas des restrictions accessoires au sens de l’article 101 TFUE et par conséquent, n’échappent pas à l’application de cette disposition (19 septembre)

Arrêt Booking.com et Booking.com (Deutschland), aff. C-264/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal d’Amsterdam (Pays-Bas), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’applicabilité des règles de concurrence de l’Union aux clauses de parité tarifaire, tant étendues que restreintes, insérées dans les contrats conclus entre la plateforme de réservation hôtelière Booking.com et des établissements hôteliers. Ces clauses interdisent à ces derniers de pratiquer des prix inférieurs, selon le cas sur tous les canaux de vente ou sur certains autres canaux de vente, à ceux proposés sur la plateforme de Booking.com. Dans le cas où ces clauses seraient susceptibles d’être considérées comme des restrictions accessoires, elles échapperaient ainsi à l’interdiction des ententes. Dans un 1er temps, la Cour constate que la fourniture de services de réservation hôtelière en ligne par des plates-formes d’intermédiation telles que Booking.com peut avoir un effet positif sur la concurrence en élargissant les possibilités de choix pour les consommateurs. Pour autant, dans un 2nd temps, elle juge que les clauses de parité, aussi bien étendues que restreintes, comportent des risques d’éviction des autres plateformes d’intermédiation hôtelière et ne sont pas objectivement nécessaires pour assurer la viabilité économique de la plateforme en cause. (AL)

CONCURRENCE

Le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission européenne condamnant Google AdSense à une amende en raison de clauses abusives sur le marché de l’intermédiation publicitaire liée aux recherches en ligne (18 septembre)

Arrêt Google et Alphabet c. Commission (Google AdSense for Search), aff. T-334/19

Saisi d’un recours en annulation contre une décision de la Commission européenne, le Tribunal a accueilli le recours. En l’espèce, pour utiliser le service d’intermédiation publicitaire liée aux recherches en ligne AdSense for Search (« AFS »), les éditeurs générant un chiffre d’affaires suffisant pouvaient négocier avec Google un accord de services Google (« ASG »), qui contenait des clauses restreignant ou interdisant l’affichage des publicités provenant de services concurrents à AFS. Le Tribunal constate que la Commission a omis de prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce dans le cadre de l’appréciation de la durée durant laquelle les éditeurs étaient soumis à ces clauses. Il souligne que la Commission s’est simplement bornée à tenir compte de la durée cumulée des ASG auxquels étaient soumis les éditeurs, sans vérifier si ces derniers avaient eu la possibilité de s’approvisionner auprès d’intermédiaires concurrents de Google lors de la négociation des éventuels renouvellements ou prolongations de ces ASG, ou s’ils bénéficiaient d’un droit de résiliation unilatéral. Enfin, le Tribunal reproche également à la Commission de ne pas avoir démontré que les clauses en question avaient pu nuire à l’innovation, aidé Google à maintenir et renforcer sa position dominante et si elles avaient pu porter préjudice aux consommateurs. (CZ)

CONSOMMATION

Une réduction de prix annoncée dans une publicité doit être calculée sur la base du prix le plus bas des 30 derniers jours (26 septembre)

Arrêt Aldi Süd, aff. C-330/23

Saisie par le Tribunal régional de Düsseldorf (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive 2019/2161 relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs. En l’espèce, une association allemande de consommateurs contestait la manière dont un discounter faisait de la publicité dans ses prospectus hebdomadaires au moyen de réductions de prix ou de « prix chocs » sur certains produits. La Cour a considéré qu’une réduction de prix, annoncée par un professionnel sous la forme soit d’un pourcentage, soit d’une mention publicitaire visant à mettre en avant le caractère avantageux du prix annoncé, doit être déterminée sur la base du prix le plus bas appliqué par le professionnel au cours d’une période qui n’est pas inférieure à 30 jours avant l’application de la réduction de prix. Les professionnels sont ainsi empêchés d’induire en erreur le consommateur, en augmentant le prix pratiqué avant d’annoncer une réduction de prix et en affichant ainsi de fausses réductions de prix. (AD)

CONSOMMATION

En l’absence de dénomination légale d’une denrée alimentaire, le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un Etat membre interdise, par principe, l’usage d’une dénomination usuelle à des fins de protection des consommateurs (4 octobre)

Arrêt Protéines France e.a.aff. C-438/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (France), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit de l’Union de l’interdiction française d’utiliser une dénomination carnée pour désigner un produit contenant des protéines végétales. Dans un 1er temps, la Cour relève que le droit de l’Union prévoit qu’à défaut de dénomination légale, la dénomination d’une denrée est constituée du nom usuel de celle-ci, et rappelle que celui-ci institue une présomption simple de protection des consommateurs. Dans un 2ème temps, elle remarque que l’interdiction pure et simple d’utiliser une dénomination n’équivaut pas à une mesure qui imposerait aux producteurs de respecter certaines conditions afin de pouvoir désigner leurs produits dans des termes retenus en tant que dénomination légale. Dans un 3ème temps, la Cour conclut que lorsqu’aucune dénomination légale n’a été adoptée par un Etat membre, celui-ci ne peut interdire au producteur de nommer son produit en des termes usuels ou descriptifs. Enfin, dans un 4ème temps, elle indique néanmoins que la présomption de protection suffisante du consommateur, induite par la dénomination usuelle, peut être renversée dans certains cas d’espèce. (LF)

CONSOMMATION

La pratique commerciale consistant à proposer simultanément au consommateur une offre de prêt personnel et une offre d’un produit d’assurance non lié à ce prêt ne constitue pas une pratique commerciale agressive ou déloyale (14 novembre) 

Arrêt Compass Banca, aff. C-646/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles une pratique commerciale de vente croisée pouvait être considérée comme « agressive » et, partant, « déloyale », au sens de la directive 2005/29/CE. Le litige principal concerne une pratique commerciale adoptée par Compass Banca SpA, qui consiste à vendre une police d’assurance à des clients qui sont déjà en train de contracter un prêt personnel auprès de cette même société. L’autorité de la concurrence estime que les clients sont, en substance, « poussés à souscrire » à la police d’assuranceD’après la Cour, la pratique commerciale consistant à proposer simultanément au consommateur une offre de prêt personnel et une offre d’un produit d’assurance non lié à ce prêt, ne constitue ni une pratique commerciale agressive ni même une pratique commerciale réputée déloyale, au sens de cette directive. Elle précise aussi que la notion de « consommateur moyen », au sens de cette directive, doit être définie par référence à un consommateur normalement informé ainsi que raisonnablement attentif et avisé. (AD)

DONNEES A CARACTERE PERSONNEL

Une autorité de protection des données personnelles n’est pas obligée d’imposer des sanctions contre un responsable de traitement en cas de violation du règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») lorsque celles-ci ne sont pas nécessaires (26 septembre)

Arrêt Land Hessenaff. C-768/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal administratif de Wiesbaden (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les prérogatives des autorités de protection des données personnelles en vertu du RGPD. En l’espèce, une caisse d’épargne avait omis d’informer son client du fait que ses données à caractère personnel avaient été illégalement consultées par l’une de ses employées. Celle-ci s’est vu infligée des sanctions disciplinaires, et a confirmé par écrit qu’elle n’avait ni copié, ni conservé ces données, ni ne les avaient transmises à des tiers. Saisie par le client, l’autorité de contrôle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de prendre des mesures correctrices à l’égard du responsable de traitement. La Cour confirme qu’en cas de constatation d’une violation de données à caractère personnel, l’autorité de contrôle dispose de marges de manœuvres pour prendre des mesures correctrices destinées à remédier à l’insuffisance constatée, qui comprend la possibilité de ne pas en imposer lorsque celles-ci ne sont pas nécessaires à raison des dispositions prises volontairement par le responsable de traitement à cette fin. (LF)

DONNEES A CARACTERE PERSONNEL

Le responsable de traitement n’est pas tenu d’informer la personne concernée par le traitement de ses données personnelles lorsque celles-ci n’ont pas été collectées auprès de celle-ci (28 novembre)

Arrêt Másdi, aff. C-169/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour Suprême de Hongrie, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le règlement (UE) 2016/679 (« RGPD »). La Cour estime que l’exception à l’obligation d’information envers la personne concernée par le traitement, s’applique indistinctement à toutes les données à caractère personnel que le responsable du traitement n’a pas collectées directement auprès de ladite personne. Elle ajoute par ailleurs, que cette exception s’applique que ces données aient été obtenues par le responsable du traitement auprès d’une personne autre que la personne concernée ou qu’elles aient été générées par le responsable du traitement lui-même, dans le cadre de l’exercice de ses missions. Enfin, la Cour rappelle que dans le cadre d’une procédure de réclamation, l’autorité de contrôle est compétente pour vérifier si le droit de l’Etat membre auquel est soumis le responsable du traitement prévoit des mesures appropriées pour protéger les intérêts légitimes de la personne concernée par le traitement. Toutefois, cette vérification ne porte pas sur le caractère approprié des mesures, que le responsable du traitement est tenu de mettre en œuvre afin de garantir la sécurité des traitements de données à caractère personnel. (CZ)

DROITS FONDAMENTAUX

Le refus d’un Etat membre de reconnaître le changement de prénom et de genre légalement acquis dans un autre Etat membre est contraire aux droits des citoyens de l’Union européenne (4 octobre)

Arrêt Mirin (Grande chambre), aff. C-4/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal de 1ère instance du 6ème arrondissement de Bucarest (Roumanie), la Cour de justice de l’Union a précisé dans quelle mesure l’Etat membre d’origine d’un citoyen européen doit reconnaître et inscrire dans l’acte de naissance le changement de prénom et d’identité de genre de ce ressortissant. En l’espèce, un citoyen roumain avait légalement changé son prénom et son genre au Royaume-Uni, avant le retrait de celui-ci de l’Union, et demande à présent que ce changement soit reconnu en Roumanie. La Cour reconnait préalablement que ces changements ont été obtenus avant la fin de la période de transition préalable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union, de sorte qu’ils doivent être considérés comme ayant été acquis dans un Etat membre. Dans un 1er temps, elle précise que le refus d’un Etat membre de reconnaître un changement d’identité de genre légalement acquis dans un autre Etat membre entrave l’exercice du droit de libre circulation et de séjour. Dans un 2nd temps, la Cour ajoute que le refus de reconnaitre ces changements et le fait de contraindre l’intéressé à engager une nouvelle procédure de changement d’identité de genre dans l’Etat membre d’origine, l’exposant au risque que celle-ci aboutisse à un résultat différent, ne sont pas justifiés. (AL)

DROIT FONDAMENTAUX

L’exécution d’un jugement rendu dans un autre Etat membre, condamnant un journaliste et un éditeur de presse au paiement de dommages-intérêts manifestement disproportionnés, doit être refusée pour autant qu’elle viole la liberté de la presse en raison du risque de dissuasion qu’elle induit (4 octobre)

Arrêt Real Madrid Club de Fútbol (Grande chambre), aff. C-633/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (France), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles une juridiction de l’Etat membre requis peut refuser l’exécution d’un jugement en raison d’une atteinte à l’ordre public. Dans un 1er temps, la Cour rappelle que les personnes lésées par des contenus diffamatoires ou illicites doivent conserver la possibilité d’engager une action de nature à préserver leurs droits. Elle précise toutefois que toute décision accordant des dommages-intérêts pour une atteinte causée à la réputation doit présenter un rapport raisonnable de proportionnalité entre la somme allouée et l’atteinte en cause. Dans un 2nd temps, la Cour note qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que l’ampleur imprévisible ou élevée d’un montant de dommages-intérêts par rapport aux sommes allouées dans des affaires de diffamation comparables, ou encore l’octroi d’une réparation excédant le dommage matériel et moral réellement subi, sont de nature à avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse. Elle en conclut qu’il revient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier le caractère manifestement disproportionné de la réparation allouée, et le cas échéant, de limiter l’exécution du jugement en excluant la partie manifestement disproportionnée. (AL)

DROITS FONDAMENTAUX

La tenue de propos discriminatoires doit atteindre un seuil de gravité suffisant et s’analyser dans son contexte pour violer le droit à la vie privée d’un individu ou d’un groupe (3 décembre)

Arrêt Yevstifeyev e.a. c. Russie, requêtes n°226/18236/182027/18et 22327/2

Les requérants ont déposé plainte à l’encontre de plusieurs personnalités publiques à la suite, d’une part, de la publication d’une vidéo parodique mettant en scène la chasse de personnes homosexuelles et, d’autre part, de propos homophobes tenus à leur encontre à l’occasion d’une manifestation. L’ensemble des poursuites engagées ayant été rejetées, ils soulèvent une violation des articles 8 et 14 combinés de la Convention. La Cour EDH rappelle d’abord l’obligation positive de protection de la vie privée des justiciables incombant aux Etats membres et en particulier des minorités constituant une population vulnérable. Cette protection doit cependant être mise en balance avec celle de la liberté d’expression. La Cour EDH précise ensuite que les propos doivent atteindre un seuil de gravité suffisant pour porter atteinte à la vie privée, au regard des caractéristiques du groupe qu’ils visent, de leur contenu et de leur contexte. En considération de ces critères, la Cour EDH estime que si la vidéo parodique constitue une satire politique couverte par la liberté d’expression et n’atteignant pas un seuil de gravité suffisant, l’absence d’une réaction adéquate des autorités face aux propos tenus à l’occasion de la manifestation viole en revanche l’obligation de l’Etat d’assurer un juste équilibre entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression. Partant, la Cour EDH conclut à l’irrecevabilité de la requête dans le 1er cas puis à la violation de la Convention dans le 2nd. (PC)

DROITS FONDAMENTAUX – LIBERTE D’EXPRESSION

La condamnation à payer des dommages-intérêts d’un montant de 1€, en réparation du préjudice moral subi par une victime de diffamation ainsi que 1000€ d’amende, ne constitue pas une entrave à la liberté d’expression (5 décembre)

Arrêt Giesbert et autres c. France, requête n°865/20

Les requérants, le directeur de publication du magazine Le Point et 2 journalistes, se plaignent du fait que leur condamnation pour diffamation, en raison du contenu d’un article, entrave leur liberté d’expression. L’article portait notamment sur les liens présumés de M. Copé, à l’époque président de l’UMP, avec les dirigeants de la société Bygmalion, attributaire de prestations évènementielles dans le cadre de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. Dans un 1er temps, la Cour EDH reconnaît que la condamnation pénale des requérants pour diffamation publique a constitué une ingérence dans l’exercice de leur liberté d’expression. Dans un 2ème temps, elle estime néanmoins que cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait un but légitime de protection de la réputation d’autrui. Dans un 3ème temps, la Cour EDH relève que les peines infligées aux requérants n’étaient pas disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. (CZ)

DROITS FONDAMENTAUX – LIBERTE D’EXPRESSION

Le placement en détention provisoire d’un opposant politique, sur la base de ses discours critiques à l’égard des autorités publiques, constitue une atteinte à la liberté d’expression (22 octobre)

Arrêt Yüksek c. Türkiye, requête n°4/18

Le requérant, dirigeant d’un parti pro-kurde, se plaint de d’avoir été placé en détention provisoire sur le seul motif de son opposition politique afin d’entraver sa liberté d’expression. En l’espèce, ce dernier aurait désigné les actions des pouvoirs publics de « génocide politique » et les aurait accusés d’être les auteurs de « crimes de guerre ». Dans un 1er temps, la Cour EDH estime qu’il y a bien eu une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression du requérant. Dans un 2nd temps, elle reconnaît que les discours du requérant étaient non-violents et n’auraient pas dû donner lieu à une inculpation sur la base des dispositions du code pénal national relatives à l’appartenance à une organisation terroriste armée. Dès lors, elle estime que cette ingérence n’est pas prévue par la loi. Partant, et sans qu’il y ait lieu de voir si les ingérences poursuivaient un but légitime, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, elle juge qu’il y a eu violation des articles 5 §1 et 5 §3 de la Convention car aucune des décisions relatives à la détention provisoire n’a fait état de preuves indiquant un lien clair entre les discours politiques et l’infraction d’appartenance à une organisation terroriste pour laquelle le requérant est soupçonné d’être détenu. (CZ)

DROIT PENAL

L’absence de confrontation de témoins avec la personne poursuivie dans une procédure pénale n’entraine pas violation de la Convention, lorsque les témoignages recueillis n’ont pas joué un rôle significatif dans la décision finale et n’ont pas été contestés utilement par la requérante (5 novembre)

Arrêt Miron c. Roumanierequête n°37324/16 

La requérante reproche à la décision pénale adoptée à son encontre d’être fondée sur des déclarations de témoins auxquels elle n’a pas pu être confrontée après la reprise de son dossier par un autre magistrat. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle qu’un aspect important de l’équité de la procédure pénale réside dans la possibilité pour une personne mise en cause d’être confrontée aux témoins, en présence du juge appelé à statuer sur l’affaire. Dans un 2ème temps, elle observe cependant que la plupart des témoignages litigieux ont joué un rôle très limité dans la motivation retenue pour fonder la condamnation. Du reste, elle souligne que ces décisions s’appuient principalement sur des preuves écrites. Dans un 3ème temps, elle remarque que la requérante n’a pas mis en cause la crédibilité des témoins après la reprise du dossier par le second juge, ni dans les procédures ultérieures, et s’est contentée de solliciter l’audition de nouveaux témoins. Partant, compte tenu de l’attitude procédurale de la requérante, qui n’a pas saisi les moyens à sa disposition d’éviter les griefs qu’elle invoque, la Cour EDH conclut à l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. (LF)

DROIT PENAL

L’utilisation d’enregistrements réalisés à l’insu de la personne pénalement poursuivie ne viole la Convention que si elle a un effet décisif sur l’équité de la procédure pénale (8 octobre)

Arrêt Severin c. Roumanierequête n°20440/18

Le requérant reproche la prise en considération lors de son procès d’enregistrements obtenus à son insu par des journalistes. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle qu’un grief tiré de la provocation à l’infraction par des particuliers doit s’analyser du point de vue des règles générales de l’administration de la preuve, dont il faut examiner l’effet sur l’équité de la procédure pénale. Dans un 2ème temps, elle relève que le requérant avait la possibilité procédurale de contester l’authenticité et l’utilisation de ces enregistrements dans la procédure, et que ces enregistrements n’ont pas constitué un élément de preuve décisif pour sa condamnation. Dans un 3ème temps, la Cour EDH estime que le requérant n’a pas expliqué de quelle manière le recours à la visioconférence pour auditionner les journalistes, les problèmes techniques qui l’ont affectée ou le fait qu’elle a été écourtée, ont pu compromettre l’équité globale de la procédure. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 6 de la Convention. (LF)

DROIT PENAL

L’irrecevabilité de la constitution de partie civile d’une personne au motif de sa mise en examen dans une procédure pénale parallèle et distincte porte atteinte à sa présomption d’innocence (4 juillet)

Arrêt Gravier c. France, requête n°49904/21 

Le requérant, associé de sociétés d’audit et signataire des certifications de l’une d’elles, a été mis en examen pour confirmation d’informations mensongères par commissaire aux comptes dans le cadre d’une affaire pénale pour fraude visant des sociétés dont son cabinet d’audit assurait la certification des comptes. Dans le cadre d’une procédure parallèle, il a ensuite été déclaré irrecevable par la juridiction d’instruction en sa constitution de partie civile en tant que victime de délits de faux et usage de faux et d’obstacle aux vérifications ou contrôles de commissaire aux comptes. La Cour EDH rappelle que la présomption d’innocence au sens de l’article 6 §2 de la Convention n’est pas respectée si une décision officielle concernant un accusé reflète le sentiment qu’il est coupable, ce qui est le cas d’une motivation donnant à penser que le magistrat considère l’intéressé comme tel. En effet, l’expression choisie par la Cour de cassation dans son arrêt, suivant laquelle le requérant avait « participé à un concert frauduleux visant à masquer une situation financière obérée », était de nature à porter atteinte à la présomption d’innocence. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 §2 de la Convention. (LF)

DROIT PENAL

La Cour EDH a précisé les critères pertinents d’application de l’article 6 de la Convention concernant la formulation de prétentions de caractère civil dans le cadre d’une procédure pénale (24 septembre)

Arrêt Fabbri e.a. c. Saint-Marin (Grande chambre), requêtes n°6319/216321/21 et 9227/21

Les requérants, des victimes impliquées dans des procédures pénales, se plaignent du fait que les juridictions nationales n’avaient pas statué sur leurs prétentions de caractère civil dans le cadre de ces procédures car le retard de l’instruction avait entraîné la prescription des infractions alléguées. La Cour EDH rappelle les critères pertinents pour déterminer si l’article 6 de la Convention s’applique à une procédure permettant de formuler des prétentions de caractère civil dans le cadre d’une procédure pénale. La 1ère condition exige du requérant qu’il jouisse d’un droit matériel de caractère civil, reconnu en droit interne, comme le droit de demander réparation d’un dommage allégué. La 2ème condition requiert que les victimes d’une infraction aient légalement la possibilité de faire valoir ce droit de caractère civil dans le cadre d’une procédure pénale et à l’étape de la procédure dont il est question. En l’espèce, ces 2 conditions étaient remplies. Les 3ème et 4ème conditions imposent au requérant d’invoquer ce droit de caractère civil et/ou d’agir pour le faire valoir, par le canal approprié, conformément aux principes du cadre juridique interne, et celui-ci doit montrer clairement qu’il attache un intérêt à ce droit, ce qui n’était pas le cas de certains requérants qui n’ont pas demandé formellement, par une déclaration signée, l’octroi de la qualité de « partie civile », contrairement aux exigences du droit interne. Dès lors, la Cour EDH juge qu’ils n’ont pas satisfait les conditions et ne peuvent se prévaloir de l’article 6 de la Convention. Si l’un des requérant avait rempli toutes ces conditions, celui-ci n’avait toutefois formulé des prétentions de caractère civil dans le contexte de la procédure pénale que 3 ans et demi après l’infraction alléguée et seulement quelques jours avant l’expiration du délai de prescription applicable à celle-ci. De plus celui-ci ne s’est prévalu d’aucune des autres voies de recours dont il disposait pour faire valoir ses prétentions de caractère civil. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 6 §1 (droit d’accès à un tribunal) de la Convention pour l’ensemble des requérants. (CZ)

DROIT PENAL

Des dysfonctionnements survenus lors de la notification d’une décision pénale et privant une requérante de poursuites effectives à ses allégations de viol constituent une violation de la Convention EDH (15 octobre) 

Arrêt Daugaard Sorensen c. Danemark, requête n°25650/22

La requérante allègue d’une défaillance dans la conduite d’une procédure pénale. En effet, la loi nationale prévoit que lorsqu’une décision d’appel décide du maintien des poursuites à l’encontre de l’un des mis en cause, celle-ci doit lui être notifiée sous 2 mois sous peine d’abandon des poursuites, comme en l’espèce. La Cour EDH estime que le système national ne prive pas, de manière générale, les justiciables d’obtenir un contrôle juridictionnel de la décision. Toutefois, elle relève en l’espèce, une série de 3 erreurs commises par le Parquet. Or, la Cour EDH estime qu’en raison de ces erreurs, la requérante a été privée de poursuites effectives dans le cadre de ses allégations de viol. Ceci est de nature à constituer un manquement à l’obligation positive des Etats de sanctionner effectivement et rapidement les faits de viol. Partant, la Cour conclut à la violation des articles 3 et 8 de la Convention EDH. (LF) 

DROIT PENAL

L’accès ou tentative d’accès de la police aux données contenues dans le téléphone portable d’un suspect n’est pas nécessairement limité à la lutte contre la criminalité grave (4 octobre)

Arrêt Bezirkshauptmannschaft Landeck (Grande chambre), aff. C-548/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunal administratif régional du Tyrol (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne doit interpréter la directive (UE) 2016/680 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales. En l’espèce, les autorités nationales ont saisi et tenté de déverrouiller le téléphone portable d’un individu suspecté de trafic de stupéfiants. Ces dernières ne disposaient d’aucune autorisation du ministère public ou d’un juge, n’ont pas documenté leurs tentatives d’accès et n’en ont pas informé l’intéressé. Dans un 1er temps, la Cour rappelle que la directive s’applique aussi aux tentatives d’accès aux données personnelles contenues dans un téléphone portable. Dans un 2ème temps, elle estime qu’un tel accès peut constituer une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux de la personne concernée. Toutefois, celle-ci peut être justifiée si elle contribue à la création d’un espace de liberté et de sécurité dans l’Union, et ce même si l’infraction n’est pas particulièrement grave. Dans un 3ème temps, la Cour considère qu’une telle ingérence doit être prévue par la loi et doit définir de façon précise la nature ou les catégories des infractions concernées par celle-ci. Dans un 4ème temps, elle précise également qu’un tel accès est subordonné à un contrôle préalable d’une juridiction ou d’une entité administrative indépendante sauf en cas d’urgence dûment justifiée. Ce contrôle doit assurer un juste équilibre entre, d’une part, les besoins de l’enquête dans le cadre de la lutte contre la criminalité et, d’autre part, les droits fondamentaux. Enfin, dans un 5ème temps, elle insiste sur le fait que la personne concernée doit être informée des motifs sur lesquels repose l’autorisation d’accéder à ses données, dès lors que la communication de cette information n’est plus susceptible de compromettre les enquêtes. (CZ)

DROIT PENAL

La décision de réouvrir une procédure pénale doit, d’une part, être justifiée par des raisons impérieuses et substantielles et, d’autre part, en mesurer les effets sur la situation du justiciable (14 novembre)

Arrêt Zakrzewski c. Pologne, requête n°63277/19

Le requérant, ressortissant polonais, a fait l’objet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement plus sévère que la peine initiale qu’il a pourtant purgée, en raison d’un pourvoi en cassation émanant du ministère public et introduit au-delà des délais de recours normalement applicables en droit commun. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que sa jurisprudence n’autorise la réouverture des procédures après des décisions irrévocables, que lorsqu’elle est rendue nécessaire par des raisons impérieuses et substantielles, comme la correction d’un défaut majeur dans la procédure pénale, et à condition de prendre en considération l’effet de la réouverture sur la situation du justiciable. Dans un 2ème temps, elle estime que les motifs de la réouverture, à savoir une peine prononcée en-deçà du seuil plancher prévu par la loi, ne sont pas justifiés par un défaut de la procédure pénale devant être impérativement corrigé. Dans un 3ème temps, elle relève que la décision de réouverture du dossier et la procédure qui a suivi, n’ont absolument pas pris en compte l’effet sur la situation du requérant. Partant, et malgré la régularité de l’appel en cassation du ministère public en droit interne, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6§1 de la Convention. (LF)

DROIT PENAL

Une condamnation s’appuyant principalement sur le témoignage d’un complice ne viole pas la Convention, lorsque l’équité globale de la procédure est respectée (26 novembre)

Arrêt Souroullas Kay et Zannettos c. Chyprerequête n°1618/18

Les requérants ont été condamnés pour des faits de blanchiment de capitaux et d’extorsion sur la base d’un témoignage d’un de leur complice. La Cour EDH rappelle que l’article 6§1 de la Convention EDH ne prévoit aucune règle sur l’appréciation des preuves par les juges nationaux. Sa compétence se limite donc aux seuls cas où leur appréciation serait manifestement arbitraire ou déraisonnable. Ainsi, elle ne s’oppose pas en principe à ce qu’une juridiction nationale fasse reposer son jugement sur le témoignage incriminant d’un complice. Ce faisant, elle remarque qu’en dépit de l’immunité de poursuites accordée au témoin, celui-ci avait volontairement livré son témoignage, sans qu’aucun accord n’ait été préalablement conclu avec la partie adverse. En outre, l’identité du témoin et le contenu de son témoignage étaient connus des accusés, lesquels avaient tout loisir de le contester. Enfin, avertis des risques inhérents à la prise en compte du seul témoignage d’un complice, les juges nationaux ont particulièrement motivé leur décision pour justifier le crédit qu’ils ont accordé à celui-ci. Bien que relevant un doute raisonnable sur une possible altération des preuves matérielles corroborant le témoignage, la Cour EDH estime que l’équité globale de la procédure a été respectée. Par ailleurs, le juge national est fondé à refuser la demande d’accès de la défense aux preuves matérielles saisies dès lors qu’elle n’aurait pas de visée utile pour les besoins de la défense. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 6§1 de la Convention. (LF)

FOOTBALL (Belgique)

Les règles de la Fédération internationale de football association (« FIFA »), relatives aux transferts internationaux de joueurs, constituent à la fois une restriction de la liberté de circulation des joueurs et une restriction de la concurrence entre les clubs de football (4 octobre)

Arrêt FIFA, aff. C-650/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour d’appel de Mons (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne est interrogée sur la compatibilité avec le droit de l’Union de certaines clauses du règlement du statut et du transfert des joueurs de la FIFA. Ces règles concernent le transfert d’un joueur d’un club à un autre avant le terme de son contrat, qui prévoient la possibilité pour le nouveau club de se voir infliger des sanctions financières et sportives, tandis que l’ancien doit refuser de délivrer le certificat international nécessaire à la finalisation du transfert. Dans un 1er temps, la Cour considère que ces règles sont de nature à entraver la liberté de circulation des joueurs en ce qu’elles font peser sur eux des risques financiers et juridiques importants et imprévisibles. Si ces restrictions pourraient être justifiées par un objectif d’intérêt général, elles vont toutefois au-delà de ce qui est nécessaire pour la poursuite de celui-ci. Dans un 2nd temps, elle juge que ces règles portent également atteinte à la concurrence transfrontalière à laquelle pourraient se livrer les clubs, contribuant à un cloisonnement des marchés ainsi qu’à une répartition des travailleurs s’apparentant à un accord de non-débauchage. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que ces restrictions soient indispensables ou nécessaires. (AL)

JUSTICE

Un juge national doit laisser inappliquée, sans crainte de poursuites disciplinaires, la jurisprudence d’une Cour constitutionnelle qui méconnaîtrait le droit au recours effectif garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (26 septembre)

Arrêt Energotehnicaaff. C-792/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour d’appel de Brașov (Roumanie), la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé les implications des principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union à l’égard de la Charte des droits fondamentaux et de la directive 89/391/CEE concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. En l’espèce, la Cour constitutionnelle roumaine interprétait son droit national en ce que la décision d’une juridiction administrative refusant de qualifier un accident du travail devait être revêtue de l’autorité de la chose jugée, empêchant au passage la juridiction pénale de reconsidérer l’affaire. Dans un 1er temps, la Cour relève que la directive vise à protéger la sécurité des travailleurs et laisse aux Etats membres le soin de déterminer les voies procédurales appropriées pour engager la responsabilité de l’employeur, à condition de respecter le droit de l’Union. Ainsi, une telle interprétation, serait, telle que celle en l’espèce, de nature à priver d’effet utile les obligations de la directive et méconnaîtrait le droit au recours effectif garanti par la Charte. Dans un 2ème temps, elle rappelle que le principe de primauté implique que le juge interne puisse laisser inappliquée d’office la jurisprudence de sa Cour constitutionnelle incompatible avec le droit de l’Union, sans crainte de poursuites disciplinaires. (LF)

JUSTICE – QUESTION PREJUDICIELLE

Une juridiction nationale statuant en dernier ressort sur la recevabilité d’un pourvoi est tenue de vérifier l’existence d’une obligation de renvoi d’une question préjudicielle incidente soulevée à cette occasion et le cas échéant, d’exposer les motifs pour lesquels elle n’a pas procédé à une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (15 octobre) 

Arrêt KUBERA trgovanje s hrano in pijačo, d.o. o c. Republika Slovenija (Grande chambre), aff. C-144/23 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour suprême (Slovénie), la Cour de justice de l’Union européenne juge qu’une règlementation nationale conditionnant l’admission d’un pourvoi en révision devant une juridiction suprême nationale ne dispense pas cette dernière de son obligation d’examiner au fond la nécessité de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question sur le droit de l’Union, soulevée à l’appui de la demande d’autorisation de ce pourvoi. Dans un 1er temps, la Cour estime qu’une telle règlementation pourrait conduire à une violation de l’article  267 §3 TFUE et compromettrait l’efficacité du système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, ainsi que l’uniformité du droit de l’Union. En l’espèce, elle note qu’eu égard à l’objet de la question préjudicielle incluse dans la demande de pourvoi en révision, celle-ci est susceptible d’une part, d’entrer dans le champ des cas prévus par la règlementation nationale pour lesquels l’admission de la demande de pourvoi peut être accordée par la juridiction suprême nationale et, d’autre part, ne relève d’aucun des cas d’exception à l’obligation de renvoi prévus par l’article 99 du règlement de procédure de la Cour. La Cour estime donc que le renvoi de la question préjudicielle contenue dans la demande de pourvoi en révision s’impose à la juridiction nationale suprême. Dans un 2nd temps enfin, la Cour rappelle que les juridictions nationales ont l’obligation de motiver leurs décisions de refus de renvoi d’une question préjudicielle, en exposant les motifs d’exception sur lesquels elles se fondent. (BM) 

JUSTICE

La circonstance que le mari d’une juge soit employé par l’une des parties à la procédure, de même que les insuffisances dans l’examen des moyens soulevés et dans la motivation retenue, sont de nature à violer les principes d’impartialité et le droit au procès équitable (26 novembre)

Arrêt NDI SOPOT S.A. c. Macédoine du Nordrequête n°6035/17

La requérante, une société immatriculée en Pologne, ne parvient pas à faire reconnaître en Macédoine du Nord une sentence arbitrale partielle rendue dans un litige l’opposant à une société macédonienne. Elle allègue dans un 1er temps un défaut d’impartialité de la juge macédonienne, dont l’époux était par ailleurs employé par son adversaire. La Cour EDH rappelle que l’impartialité personnelle d’un juge fait l’objet d’une présomption simple, que les circonstances de l’espèce sont toutefois de nature à renverser. En effet, la juge ne pouvait ignorer que son époux était salarié d’une partie à la procédure dont elle avait la charge du traitement, compte tenu par ailleurs du fait qu’elle n’a pas révélé cette situation, comme cela était requis en pareille circonstance. La requérante reproche dans un 2nd temps, les insuffisances du juge national concernant les moyens examinés et la motivation retenue. A ces égards, la compétence de la Cour EDH se limite aux seuls cas où l’appréciation en fait et en droit des juridictions, est manifestement arbitraire ou déraisonnable. En l’espèce, elle remarque d’une part, que les juges macédoniens n’ont pas satisfait à leur obligation de poursuivre un examen adéquat aux moyens soulevés par les parties dès lors que, pour refuser la reconnaissance de la sentence au motif qu’elle ne serait pas définitive, ils n’ont pas examiné le certificat du tribunal arbitral attestant ce caractère définitif. D’autre part, pour considérer que de graves vices grevaient la procédure arbitrale, les juges nationaux n’ont pas tenu compte du renoncement de la société macédonienne à son droit d’invoquer la partialité d’un arbitre et n’ont pas suffisamment établi de quelle manière le problème d’impartialité allégué aurait pu avoir un effet sur le résultat de la procédure arbitrale. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6§1 de la Convention. (LF)

PROPRIETE INTELECTUELLE

Les Etats membres sont tenus de protéger les œuvres d’art sur le territoire de l’Union, indépendamment du pays d’origine de ces œuvres ou de la nationalité de leur auteur (22 octobre)

Arrêt Kwantum Nederland et Kwantum België, aff. C-227/23

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour suprême (Pays-Bas), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’applicabilité du critère de réciprocité matérielle prévu par la convention de Berne qui soumet la protection de certaines œuvres au titre du droit d’auteur, à la condition qu’il existe une protection similaire dans le pays d’origine de celles-ci. Dans un 1ertemps, la Cour admet que la situation litigieuse relève bien du champ du droit de l’Union au motif que le champ d’application de la directive 2001/29 est défini non pas selon le critère du pays d’origine de l’œuvre ou de la nationalité de son auteur, mais par référence au marché intérieur. Ce faisant, la Cour constate que compte tenu de l’élément d’extranéité retenu, le législateur de l’Union a nécessairement pris en compte l’ensemble des œuvres dont la protection est demandée sur le territoire de l’Union, indépendamment du pays d’origine de ces œuvres ou de la nationalité de leur auteur. Dans un 2nd temps, la Cour estime que les dispositions de la directive, lues en combinaison avec les articles 17 §2 et 52 §1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, s’opposent à ce que les Etats membres appliquent le critère de réciprocité matérielle à l’égard d’une œuvre des arts appliqués, dont le pays d’origine est un pays tiers et dont l’auteur est un ressortissant d’un tel pays. En effet, il appartient au seul législateur de l’Union de prévoir s’il y a lieu de limiter l’octroi, dans l’Union, des droits prévus par les dispositions de la directive. (BM)

REFUGIE

La privation de garanties procédurales spécifiques à la rétention, dans des conditions qui n’atteignent pas le seuil de gravité pour emporter violation de la Convention à l’encontre de personnes majeures, emporte néanmoins violation s’agissant de personnes mineures (22 octobre)

Arrêt J.B. e.a. c. Malte, requête n°1766/23

Les requérants, 6 ressortissants bangladais dont 5 étaient mineurs, allèguent avoir été emmenés dans un centre de rétention maltais après avoir été secourus en mer et avoir été contraints d’y séjourner dans des conditions inhumaines et dégradantes. La Cour EDH estime dans un 1er temps que compte tenu de l’âge des 5 requérants mineurs, de la durée de leur rétention avec des adultes, de leur vulnérabilité et des effets sur leur santé mentale, les conditions matérielles de détention de l’espèce constituent des traitements inhumains et dégradants alors même qu’ils n’atteignent pas le seuil de gravité pour constituer une telle violation de la Convention EDH à l’égard du requérant majeur. Dans un 2nd temps, elle rappelle que la nécessité de placer des enfants migrants en détention doit être très attentivement examinée par les autorités nationales. Or, aucun contrôle judiciaire automatique n’ayant été réalisé, ni aucune alternative à la détention envisagée, les 5 requérants mineurs ont donc été privés de toute garantie procédurale contre la détention arbitraire pendant la durée d’évaluation de leur âge, à l’inverse du requérant majeur. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3 et 5§1, de la Convention EDH pour les requérants mineurs, et des articles 13 et 5§4, pour tous les requérants. (LF)

REFUGIE

Le renvoi vers le Liban de ressortissants syriens, interceptés dans les eaux territoriales de Chypre sans avoir pu bénéficier des droits attachés à une demande d’asile, viole la Convention (8 octobre)

Arrêt M.A. et Z.R. c. Chyprerequête n°39090/20

Les requérants, ressortissants syriens, allèguent avoir été refoulés vers le Liban par les autorités chypriotes, lesquelles ont considéré ce dernier comme un pays sûr, notamment en raison d’accords bilatéraux, et ce malgré la manifestation verbale de leur intention de déposer une demande d’asile. Dans un 1er temps, la Cour EDH atteste la véracité des faits avancés par les requérants tout en remarquant l’absence de preuves directes de leur intention de demander l’asile à Chypre. Toutefois, elle estime que les autorités n’ont pas procédé à une évaluation suffisante du risque d’impossibilité d’accéder à une procédure d’asile effective, du risque de refoulement et des conditions de vie au Liban. Dans un 2ème temps, elle observe qu’aucune preuve n’a été fournie par les autorités nationales permettant d’établir qu’elles aient assuré aux requérants le respect de leurs droits procéduraux attachés à une décision d’éloignement. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3, et 6 de la Convention ainsi que le protocole n°4 à la Convention. (LF)

REFUGIE

Les mesures discriminatoires à l’égard des femmes adoptées par le régime taliban en Afghanistan constituent des actes de persécution susceptibles de justifier l’octroi du statut de réfugié sur le seul fondement du sexe et de la nationalité de la demandeuse d’asile (4 octobre)

Arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl e.a. (Femmes afghanes), aff. jointes C-608/22 et C-609/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les critères que doivent remplir les femmes originaires d’Afghanistan pour obtenir le statut de réfugié. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la qualification, au regard de la directive 2011/95/UE, des mesures adoptées par le régime taliban depuis son retour au pouvoir en 2021. Dans un 1er temps, la Cour juge que certaines de ces mesures peuvent, à elles seules, être qualifiées d’actes de persécution au sens de la directive, telles que le mariage forcé ou l’absence de protection contre les violences sexuelles et domestiques, dès lors qu’elles constituent une violation grave d’un droit fondamental. Si les autres mesures discriminatoires adoptées par le régime taliban ne constituent pas une violation suffisamment grave d’un droit fondamental, la Cour précise qu’elles sont toutefois susceptibles, prises dans leur ensemble, de constituer des actes de persécution, dès lors que leur application systématique et leur effet cumulé aboutit à des violations flagrantes des droits fondamentaux liés à la dignité humaine. Dans un 2nd temps, elle estime que, s’agissant de la situation de femmes afghanes, la seule prise en considération de leur nationalité et de leur sexe est suffisante dans le cadre de l’examen individuel de leur demande d’asile. (AL)

REFUGIE

Les critères permettant de désigner un pays d’origine comme étant « sûr » afin de rejeter une demande d’octroi de l’asile doivent se vérifier sur l’ensemble du territoire de ce pays (4 octobre)

Arrêt Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky (Grande chambre)aff. C-406/22

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour régionale de Brno (République tchèque), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. En l’espèce, les autorités nationales avaient refusé l’octroi de l’asile à un ressortissant moldave au motif que son pays d’origine pouvait être considéré comme « sûr », à l’exception d’une région spécifique de ce dernier en raison l’invasion russe en Ukraine. Dans un 1er temps, la Cour relève que la seule circonstance qu’un Etat partie à la Convention européenne des droits de l’Homme ait sollicité le droit de déroger à certaines de ses dispositions n’est pas de nature à démontrer qu’il ne remplit pas les critères qui permettent de le désigner comme « sûr » du point de vue du droit d’asile. Toutefois, dans un 2nd temps, la Cour précise que les critères qui permettent cette désignation doivent pouvoir se vérifier sur l’ensemble du territoire du pays en question (LF)

RUSSIE

L’élargissement et le durcissement de la législation russe sur les « agents étrangers » confirment son caractère arbitraire (22 octobre)

Arrêt Kobaliya e.a. c. Russie, requête n°39446/16 et 106 autres requêtes

Les requérants, 107 organisations non gouvernementales (« ONG ») dont des médias et des acteurs de la société civile russe, se plaignent de l’évolution de cette législation leur imposant de s’enregistrer comme agents étrangers, ainsi que les répercussions de ce régime sur leurs activités et sur leur vie privée. En l’espèce, cette loi adoptée en 2012 impose à toute ONG russe se livrant à des activités politiques ou ayant reçu un financement étranger de s’enregistrer en tant qu’agents étrangers, sous peine de sanctions administratives et pénales. Dans un 1er temps, la Cour EDH remarque que cette législation avait pour but de punir et d’intimider plutôt que de répondre à un besoin allégué de transparence ou à des impératifs légitimes de sécurité nationale. Dans un 2nd temps, elle estime que les répercussions de ce régime sur les activités sur ces ONG, telles que leur privation des revenus publicitaires d’annonceurs privés, ont un effet dissuasif sur le discours public et sapent les fondements mêmes d’une société démocratique. Partant, la Cour EDH conclut aux violations des articles 8, 10 et 11 de la Convention. (CZ)

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Stéphane
Boonen
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