Paiement en cash et soupçon de blanchiment

Ainsi que son intitulé l'indique, la loi du 18 septembre 2017 (la "Loi") vise non seulement la prévention du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme mais également la "limitation de l'utilisation des espèces".

Ces deux aspects - prévention et limitation - ne doivent pas être confondus : malgré le fait qu'ils soient amalgamés dans une même loi, leur champ d'application, les obligations qui en découlent et les sanctions y afférentes sont différents.

Différents mais pas hermétiques.

Ainsi, un avocat peut légitimement se demander l'attitude qu'il doit adopter lorsqu'un client lui propose de régler une provision ou une note d'honoraires en "cash" : doit-il ou non effectuer une déclaration de soupçon à son bâtonnier?

La limitation du paiement en espèces : bref rappel

L'article 67, §2 de la Loi interdit à un avocat de recevoir plus de 3.000,00€ en espèces sachant, d'une part, qu'il est possible pour le client de s'acquitter d'un montant supérieur à 3.000,00€ pour autant que les espèces remises ne dépassent pas ce plafond et, d'autre part, qu'il est interdit de fractionner le paiement en espèces pour passer sous le seuil des 3.000,00€.

Illustration :

Me Durand sollicite de son client, M. Dupont, le paiement d'une facture de 6.050,00€ TVAC.

  1. Monsieur Dupont propose de déposer au cabinet de Me Durand la totalité de la somme : Me Durand doit refuser;
  2. Monsieur Dupont propose de déposer la somme de 3.000,00€ au cabinet de Me Durand et de verser le solde par virement : Me Durand peut accepter;
  3. Monsieur Dupond propose déposer 2.500,00€ le lundi, 2.500,00€ le mercredi et 1.050,00€ le vendredi : Me Durand doit refuser et inviter son client à ne lui remettre qu'un montant maximum cumulé de 3.000,00€ en espèces. 

En conclusion, l'avocat ne peut - sous peine de sanctions[1] - accepter de recevoir, en une ou plusieurs fois, plus de 3.000,00€ en espèces lorsque ce paiement se rapporte à une même opération ou à des opérations liées ou présumées telles[2]

La limitation du paiement en espèces et la déclaration de soupçon

Ce bref rappel étant posé, revenons à la question de départ : un client se présente au cabinet de son avocat et propose de lui remettre, en paiement de ses honoraires, une enveloppe contenant une somme excédant le plafond de 3.000,00€. Cette circonstance doit-elle amener l'avocat à effectuer une déclaration de soupçon auprès de son bâtonnier?

Le fait qu'une personne souhaite s'acquitter d'une obligation en la payant via des espèces pour un montant supérieur à 3.000,00€ n'est, en soi, nullement illégal[3], et n'est pas davantage, en lui-même, la preuve ou l'indice que le client est ou serait impliqué dans une activité liée au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme devant amener l'avocat à effectuer une déclaration de soupçon.

En revanche, cette circonstance pourrait induire, sous la responsabilité de l'avocat, une déclaration de soupçon lorsqu'elle est entourée d'autres clignotants ou facteurs de risque tout en gardant à l'esprit l'exception prévue à l'article 53 de la Loi.

Illustration 1

Me Durand reçoit en consultation M. Dupont. Ce dernier confie à Me Durand être impliqué dans une affaire de stupéfiants. Me Durand sollicite le paiement d'une provision de 6.050,00€ TVAC pour assurer sa défense. M. Dupont sort de sa veste une enveloppe et propose de s'acquitter immédiatement la provision sollicitée.

Me Durand devra refuser de recevoir plus de 3.000,00€ en espèces et invitera son client à s'acquitter du solde par virement. Si Me Durand n'a aucun doute quant au fait que les fonds sont d'origine délictueuse, il devra refuser tout paiement en espèces[4].

Dans la mesure où Me Durand suspecte que les fonds qui lui sont proposés proviennent d'une activité délictueuse mais que ce soupçon résulte d'une confidence reçue de son client "lors de l'évaluation de sa situation juridique", Me Durand ne devra pas faire de déclaration de soupçon à son bâtonnier[5].

Illustration 2

Me Durand reçoit en consultation M. Dupont. Ce dernier souhaite que Me Durand rédige une convention de cession d'actions d'une société et demande si Me Durand peut lui proposer un forfait à cet effet. Me Durand propose de fixer ses honoraires à la somme forfaitaire de 6.050,00€ TVAC. M. Dupont propose alors de remettre à Me Durand la somme de 15.000,00€ en espèces à charge pour Me Durand de verser sur le compte bancaire de la compagne de M. Dupont la différence entre la provision sollicitée et le montant remis en espèces.

Dans ce contexte, Me Durand peut légitimement suspecter qu'il est confronté à une tentative de blanchiment à l'occasion d'une activité visée à l'article 5, 28° de la Loi.

Me Durand sera bien avisé de refuser de prêter son concours à l'opération et de dénoncer ce soupçon à son bâtonnier: en effet, les informations reçues de son (éphémère) client et les circonstances qui lui ont permis de constituer un soupçon ne lui ont pas été transmises lors de l'évaluation de sa situation, mais de façon spontanée, surabondante, et en dehors de l'enceinte protégée du secret professionnel.

Bruno Dessart,
Membre de la Commission anti-blanchiment d’AVOCATS.BE

 

[1] Dont des sanctions administratives prises par le Service Public Fédéral Économie P.M.E., Classes moyennes et Énergie qui est compétent pour cette matière (article 85, §3 et 109 de la Loi). L'amende maximale est de 225.000,00€ (soit 1.800.000,00€ avec les décimes additionnelles) étant cependant entendu que l'amende ne peut néanmoins pas excéder dix pour cent du paiement (article 137, 1° de la Loi). Outre ce risque, l'on notera que le Service Public Fédéral Économie P.M.E., Classes moyennes et Énergie a l'obligation de porter les faits à la connaissance du Bâtonnier en sa qualité d'autorité de contrôle (article 138, §3 de la Loi), afin que celui-ci y donne les éventuelles suites utiles. 

[2] Art. 67, §3, alinéa 3 de la Loi. Il faut également être attentif à la présomption instaurée par l'article 67, §3, alinéa 1er et suivant lequel:

" Lorsque les pièces comptables présentées, y compris les extraits de comptes bancaires, ne permettent pas de déterminer comment ont été effectués ou reçus des paiements ou des dons, ceux-ci sont présumés avoir été effectués ou reçus en espèces". 

Ainsi, l'avocat qui a émis une note d'honoraires ou une facture de 6.050,00€ mais qui serait dans l'incapacité de pouvoir en justifier le paiement en produisant, par exemple, un extrait bancaire sera présumé avoir reçu des espèces avec les conséquences en découlant.

[3] L'on relèvera cependant que certaines opérations ne peuvent avoir lieu en espèces (même sous le seuil de 3.000,00€), tel l'achat d'un bien immeuble (article 66 de la Loi) ou encore l'achat de câbles en cuivre lorsque l'acheteur n'est pas un consommateur.

[4] A défaut, l'avocat s'expose à un risque pénal sur le fondement de l'article 505 du Code pénal. 

[5] Article 53 de la Loi.

***

Pour rappel, la rubrique « Le fil blanc » est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent.

Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…

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