M’man, y restait des fautes !

J’ai fait ‘mon malin’ en matière de bon usage (Tribune n°260).

  1. On m’a fait remarquer que j’avais utilisé la formule, jugée incorrecte, pareil que. À l’heure de rédiger ces lignes, j’en débats toujours avec l’auteur du reproche.

Certes, les adjectifs semblable, identique et pareil se construisent avec la préposition à. Qui dirait, d’ailleurs, Il est semblable que son frère ou Il est identique que son père ?

La question me paraît toutefois de déterminer, ici, si mon Pareil était un adjectif ou si j’avais plutôt usé (abusé ?) de la locution adverbiale C’est pareil (que) au sens de C’est la même chose (que), auquel cas (le 2e) mon pareil que me paraissait défendable : “souvent trop négligé (ce qui n’est pas pareil que trop souvent négligé)” m’écorche moins les oreilles que la formulation “souvent trop négligé (ce qui n’est pas pareil à trop souvent négligé)”, mais je suis peut-être conditionné par l’audition d’un barbarisme répandu.

Promis, je ne pousserai pas le bouchon jusqu’à “Un pareil que toi, y en a pas … deux !” !

  1. On m’a aussi dit que j’avais oublié la formule de salutation Bien à vous. Exact.

Celle-ci est réputée appartenir à la correspondance personnelle, entre gens qui se connaissent et sont sur un pied d’égalité. Selon la Vitrine linguistique du Québec, “Elle sied (aussi) pour un client de longue date”.

Le Bien équivaut à Tout, mais vous me concéderez que la formule complète “Je suis tout à vous” pourrait sembler franchement familière (voire, plus proche encore – #dragueur-à-deux-balles) …

La brièveté de cette formule de sortie peut toutefois être ressentie comme (trop) passe-partout et donc neutre, sinon sèche, selon certains commentateurs.

D’aucuns estiment qu’il s’agirait d’une autre manière de dire À votre service. [Il est à noter que d’aucuns, qui est toujours pluriel, s’emploie rarement au féminin…].

Il semble en tout cas généralement admis que cette courte formule sous-entend “N’hésitez pas à reprendre contact avec moi”, ce qui exclut son usage à l’adresse de quelqu’un qu’on ne souhaite justement plus entendre (ou à celle d’un débiteur, par exemple).

Vu la proximité qui sous-tend cette expression, elle me paraît devoir être réservée à un proche, comme dans la formule Bien à toi (qui me semble suffisamment courte pour qu’on ne la réduise pas à un ridicule Bàt – qu’on lit parfois, avec une consonance plus grotesque encore : Bàv !).

  1. Par ailleurs, on m’a demandé s’il était justifiable d’écrire à une avocate Ma chère confrère.

La féminisation lexicale est un vaste sujet.

Les opposants au terme Consœur sont rarement les plus jeunes d’entre nous (litote) et s’esclaffent souvent : “Il n’a jamais existé de consœurerie !”, en ponctuant leur démonstration de petits cris de gaieté, telles de vieilles poules.

NB, au passage : Tel que, on l’oublie parfois, s’accorde avec le nom qui le précède et dont il dépend : les bêtes féroces telles que l’avocat des divorces, le substitut carriériste, etc., mais tel sans que s’accorde avec le terme qui suit : le bâtonnier en colère, telle une bête féroce

Dans un opuscule publié par le barreau de Paris – Livret des adresses et formules de politesse de la profession –, une avocate patentée expliquait, en substance :

« Mon cher confrère, le saviez-vous, est historiquement un raccourci de Monsieur cher confrère. Il est bien impossible de dire Monsieur à Madame (…).

« Cher confrère est la négation du genre féminin qui n’est pas plus un monsieur qu’un frère », poursuit-elle.

« Madame et cher confrère » ? Elle estime que c’est la formule la plus réactionnaire.

« Chère Madame » ne lui convient pas non plus car ce serait « un signe ostentatoire de refus d’accès des femmes à la profession ».

« Ma chère confrère défie la grammaire. Il ne reste donc plus que… Chère consœur ».

Je partage volontiers cette remarque grammaticale : le mot confrère n’est pas épicène et ne peut donc se voir apposer un qualificatif féminin.

Ainsi en va-t-il d’ailleurs aussi de « confrère féminine », formulation employée lors d’une interview télévisée par le président Koikilencoûte, de la république voisine. Si on voulait la corriger grammaticalement en parlant de « confrère féminin », son ambiguïté sémantique ferait immanquablement songer à un confrère efféminé. Caramba ! Encore raté…

Dans le cnrtl.fr, on lit au mot Confrère : P. ext. Celui ou celle qui fait partie de la même corporation professionnelle ou qui exerce la même activité indépendante que d'autres membres de cette corporation”. 

À suivre cette règle – celui ou celle –, ce serait Confrère pour tout le monde (pas au sens de Bière pour tout le monde !).

Le cnrtl ajoute : Rem. On rencontre un emploi p. plaisant. fam. Ma chère confrère (adressé à une femme écrivain) (cf. Flaubert, Correspondance, 1861, p. 445).

NDR : Ainsi, celui qui écrit Ma chère confrère (pourquoi pas Ma cher confrère ?) se targuerait non seulement d’érudition – il sait, lui, qu’on ne dit pas Mon car ça veut dire Monsieur – mais deviendrait carrément pédant : n’est pas Flaubert qui veut ! Ce dernier semble d’ailleurs avoir employé la formule, qualifiée de familière, par plaisanterie, c’est-à-dire, sans doute, par persiflage, ce qui, in casu, manquerait à la confraternité …

Le cnrtl poursuit : “Au fém. consœur, quand il s'agit d'une ou plusieurs femmes considérées par rapport à une ou plusieurs femmes de la même association. Mais on dit mon ou ma confrère quand il s'agit d'un membre (femme) appartenant à une confrérie comprenant des hommes et des femmes (cf. Grevisse 1964, § 264)”.

Le raisonnement du bon Maurice est : “À ne regarder que l'étymologie (cum avec, et sœur), il ne devrait se dire que si la femme ou les femmes désignées sont considérées par rapport à une ou plusieurs autres femmes de la même association”.

J’ai une grande admiration pour feu Maurice Grevisse mais il n’est plus tout à fait à l’avant-garde … Certaines choses ont évolué depuis 1964. Et il dit, prudemment, devrait.

On peut donc penser qu’à l’heure actuelle, cette formule n’est plus utilisée que par affection d’archaïsme, sous l’oriflamme protecteur de Gustave et Maurice.

L’Académie française dit laconiquement, au mot Consœur : “Titre utilisé par les membres d’une profession libérale pour désigner une femme exerçant la même profession ou pour s’adresser à elle. Vous pourriez consulter ma consœur, le docteur Untel. Chère consœur”.

La vieille dame du quai Conti ne s’embarrasse pas de commentaires particuliers …

La Vitrine linguistique du Québec est généralement plus progressiste et indique (sans explication superflue, là non plus) :

“Contrairement à ce qui était autrefois en usage (c’est moi qui souligne), le terme confrère ne s'applique aujourd'hui qu'à des hommes. Que l'on considère une femme par rapport à un homme ou par rapport à une femme, c'est le terme consœur qui doit être employé”.

EN RÉSUMÉ, à mon estime, la formule “Ma chère confrère” pourrait bien être un archaïsme pédant, grammaticalement indéfendable, qui pourrait travestir, derrière une prétendue érudition, une conscience exacerbée de sa supériorité (Macho : homme qui fait sentir sa supériorité de mâle).

Mais je ne suis ni de l’Académie française, ni distingué linguiste ; je fais seulement part de mon goût pour une langue claire qui se contenterait d’être compréhensible – “ce s’rait déjà pas mal” – sans incliner à la discorde …

Jari Lambert,
Avocat au barreau de Liège


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