De la jurisprudence européenne pour tous

Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel il s’adresse.

Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).

Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.

Stéphane Boonen

Relevé dans L’Europe en bref n°958 du 17 au 30 septembre 2021
L’Europe en bref n°959 du 1er au 7 octobre 2021
L’Europe en bref n°960 du 8 au 14 octobre 2021
L’Europe en bref n°961 du 15 au 21 octobre 2021
L’Europe en bref n°962 du 22 au 28 octobre 2021
L’Europe en bref n°963 du 29 octobre au 8 novembre 2021
L’Europe en bref n°964 du 9 au 18 novembre 2021 
L’Europe en bref n°965 du 19 au 25 novembre 2021

 

Droit de l’U.E. – Obligation de motivation lorsque la juridiction statuant en dernière instance ne se soumet pas à l’obligation de renvoi préjudiciel – question préjudicielle

Si une juridiction nationale statuant en dernière instance peut exceptionnellement ne pas être tenue par l’obligation de renvoi préjudiciel, les motifs de sa décision doivent faire apparaître l’existence de l’une des 3 situations qui lui permettent de le faire, et ce, sous réserve que les principes d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union européenne soient garantis (6 octobre)

Arrêt Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi et Catania Multiservizi (Grande chambre), aff. C-561/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Consiglio di Stato (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que lorsqu’il n’existe plus de recours juridictionnel en droit national et que la question posée concerne l’interprétation du droit de l’Union, la juridiction nationale est en principe tenue de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel. La Cour précise que la juridiction nationale n’est toutefois pas tenue par cette obligation dans les cas où la question n’est pas pertinente, la disposition en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation ou lorsque l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. En ce sens, le fait que la juridiction nationale a déjà saisi la Cour d’un renvoi préjudiciel dans la même affaire ne relève d’aucune de ces hypothèses. La Cour relève, néanmoins, que dans le cas où les règles de procédure de la juridiction nationale s’opposent à un renvoi préjudiciel pour des motifs d’irrecevabilité du recours au principal, celui-ci portant sur des moyens introduits postérieurement à l’acte introductif d’instance, alors elle n’est pas tenue par l’obligation de procéder à un renvoi de la question devant la Cour. Les principes d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union doivent toutefois être respectés. 

 

Droit de l’U.E. – Manque d’indépendance de la Chambre du contrôle extraordinaire (Pologne) - violation

La Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême polonaise ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial établi par la loi au sens de la Convention (8 novembre)

Arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, requêtes n°49868/19 et 57511/19

La Cour EDH relève que le Conseil national de la magistrature polonais (« CNM ») ne présente pas de garanties suffisantes d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif ou exécutif, notamment en ce que ses membres sont désormais élus par la chambre basse du Parlement polonais. A ce titre, une de ses résolutions contenant des recommandations sur la nomination des membres de la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême a été suspendue par la Cour administrative suprême polonaise. Or, malgré cette suspension, le Président de la Pologne a procédé à la nomination de l’ensemble des juges de cette Chambre en suivant ces recommandations, en violation manifeste de la règle de droit. La Cour EDH estime donc que la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême polonaise ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention relatif au droit à un procès équitable et exige que la Pologne prenne des mesures rapides pour pallier le manque d’indépendance du CNM.

 

Droit de l’U.E. – Condamnation de la Pologne à une astreinte journalière de 1.000.000€

La Cour de justice de l’Union européenne condamne la Pologne à une astreinte journalière s’élevant à 1 000 000 d’euros afin qu’elle se conforme à son obligation d’adopter des mesures, à titre provisoire, pour garantir l’indépendance judiciaire (27 octobre)

Ordonnance Commission c. Pologne, aff. C-204/21 R

La Cour relève que la Pologne n’a pas adopté de mesures suffisantes pour se conformer aux obligations auxquelles elle est tenue par l’ordonnance du 14 juillet 2021 (aff. C 204/21 R), tendant à la suspension de plusieurs dispositions nationales relatives, notamment, aux compétences de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise. La Cour considère qu’il est nécessaire de mettre en place une mesure d’astreinte afin que la Pologne se mette en conformité, le respect de l’ordonnance étant indispensable pour éviter un préjudice grave et irréparable à l’ordre juridique de l’Union européenne. L’astreinte journalière produit ses effets à compter de la notification de l’ordonnance et jusqu’à ce que l’Etat membre adopte des mesures suffisantes pour se mettre en conformité avec ses obligations ou, au plus tard, le jour du prononcé de l’arrêt dans cette affaire. 

 

Droit des sociétés – Responsabilité civile d’une société filiale – question préjudicielle

La responsabilité civile d’une société filiale peut être engagée pour une infraction au droit de la concurrence commise par la société mère à condition que la victime de l’infraction puisse prouver l’appartenance de ces 2 sociétés à une même unité économique lors de l’infraction (6 octobre)

Arrêt Sumal (Grande chambre), aff. C-882/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Audiencia Provincial de Barcelona (Barcelone), la Cour de justice de l’Union européenne relève que l’action en réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle peut être introduite par chaque individu à l’encontre des entreprises ayant participé à celle-ci. Elle rappelle que les entités composant une unité économique sont responsables solidairement lors de la commission d’une infraction, de sorte que la victime d’une infraction commise par la société mère peut engager la responsabilité civile de la société filiale si elle a la capacité de prouver que les 2 constituaient une unité économique à ce moment-là. Pour ce faire, 2 conditions doivent être réunies, à savoir l’existence de liens économiques, organisationnels et juridiques entre ces 2 entités et l’existence d’un lien concret entre l’activité économique de cette société filiale et l’objet de l’infraction dont la société mère a été tenue responsable. Cependant, la filiale doit posséder tous les éléments nécessaires afin de contester son appartenance à cette entreprise.

 

Droit du travail – périodes à prendre en compte pour le calcul de la pension – question préjudicielle 

Toutes les périodes d’assurance, y compris celles accomplies dans un autre Etat membre doivent être prises en considération pour calculer le montant de la pension de retraite (21 octobre)

Arrêt Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie, aff. C-866/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Sąd Najwyższy (Pologne), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle tout d’abord que si le règlement (CE) 883/2004 n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, les Etats membres doivent néanmoins respecter les dispositions relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union européenne de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres. Par ailleurs, la Cour ajoute que le règlement entend répartir la charge respective des prestations entre les institutions des Etats membres au prorata de la durée des périodes d’assurance accomplies sous la législation de chaque Etat. Ainsi, pour les besoins de la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives, l’Etat membre concerné doit, lors du calcul du montant théorique de la prestation, tenir compte de toutes les périodes d’assurance, y compris celles accomplies sous la législation d’autres Etats membres. Cependant, le calcul du montant effectif de la prestation s’effectue au regard des seules périodes d’assurance accomplies sous la législation de l’Etat membre concerné.

 

Droit familial – compétence territoriale – question préjudicielle 

Un époux ne peut avoir qu’une seule résidence habituelle dans un Etat membre même lorsqu’il partage sa vie entre 2 Etats membres et, dès lors, il peut uniquement demander le divorce devant les juridictions de cet Etat membre (25 novembre)

Arrêt FA, aff. C-289/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour d’appel de Paris (France), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 3 §1, sous a), du règlement (CE) 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Observant l’absence de définition de cette notion, la Cour relève tout d’abord que sa formulation est au singulier. Elle rappelle ensuite que l’adjectif habituelle renvoie à un aspect de stabilité ou de régularité et s’entend comme le centre permanent ou habituel des intérêts de l’intéressé. Enfin, la Cour retient que l’interprétation de cette notion doit permettre de concilier l’équilibre entre la mobilité des personnes au sein de l’Union européenne et les impératifs de sécurité et de prévisibilité juridique. Dès lors, une approche qui tendrait à reconnaître plusieurs résidences habituelles à une même personne serait incompatible avec le règlement. 

 

Droit familial – attribution du nom du père – violation 

En cas de désaccord des parents, l’attribution automatique du nom du père suivi par celui de la mère à un enfant constitue une discrimination fondée sur le sexe contraire à la Convention (26 octobre)

Arrêt Léon Madrid c. Espagne, requête n°30306/13

La Cour EDH relève qu’en application de l’ancienne règle en vigueur à l’époque des faits, le père et la mère de l’enfant ont été traités de manière différente sur la base d’une distinction uniquement fondée sur le sexe. Or, la Cour EDH estime que l’application automatique de cette loi, sans prendre en compte les circonstances particulières de la requérante, ne se justifie pas par des raisons suffisamment objectives et raisonnables. En effet, bien que la règle ne soit pas en contradiction avec la Convention, l’impossibilité d’y déroger est excessivement rigide et discriminatoire envers les femmes. En outre, si le choix de placer le nom du père en premier répond au besoin de sécurité juridique, cette dernière serait également assurée par le choix de placer le nom de la mère en premier. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. 

 

Droits fondamentaux – asile – retour d’un enfant – non violation

La décision des juridictions ordonnant le retour d’un enfant n’emporte pas violation de la Convention lorsque l’intérêt supérieur de celui-ci a été pris en considération (23 novembre)

Arrêt S.N et M.B.N c. Suisse, requête n°12937/20

La Cour EDH rappelle que le retour d’un enfant, ordonné par des juridictions constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale prévue par la Convention de La Haye, de telle sorte qu’il doit être justifié par l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, la Cour EDH estime que dans le cadre d’une procédure contradictoire, équitable et orale, les tribunaux nationaux se sont basés sur les faits pertinents de l’affaire et ont dûment pris en compte tous les arguments des parties. Par ailleurs, ils ont rendu des décisions détaillées qui, selon eux, poursuivaient l’intérêt supérieur de l’enfant et ont exclu tout risque grave pour celui-ci. Enfin, elle constate que les autorités compétentes ont entrepris des démarches appropriées en vue de garantir la sécurité de l’enfant dans l’éventualité de son retour en Thaïlande. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. 

 

Droits fondamentaux – asile – ordre de quitter le territoire – non violation

La décision de refus d’une demande de séjour, assortie d’une obligation de quitter le territoire français, adoptée à l’égard d’un ressortissant étranger ayant été titulaire d’un titre de séjour n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention dès lors que celui-ci n’a pas démontré l’existence de liens de dépendance avec ses proches résidant en France (21 novembre)

Décision Melouli c. France, requête n°42011/19

La Cour EDH souligne que la situation d’un immigré établi et celle d’un étranger sollicitant l’admission au séjour sur le territoire national sont, en fait et en droit, différentes. Dans ces conditions, les critères permettant d’apprécier si le retrait du permis de séjour d’un immigré établi est compatible avec l’article 8 ne peuvent être transposés automatiquement à la situation du requérant alors même qu’il avait auparavant résidé régulièrement sous couvert de certificats de résidence. En l’espèce, la Cour EDH constate que le requérant a sollicité à plusieurs reprises un titre de séjour, mais seulement 10 ans après l’expiration de son dernier certificat de résidence. Elle ajoute qu’il n’a pas été en mesure de démontrer qu’il avait vécu de façon habituelle en France depuis 2007, ni l’existence de liens de dépendance avec ses proches résidant en France impliquant nécessairement sa présence auprès d’eux. Par ailleurs, il ne justifie d’aucune intégration dans la société française puisqu’il est célibataire et sans enfant. Partant, la Cour EDH rejette la requête considérant que les juridictions nationales ont ménagé un juste équilibre entre les divers intérêts en jeu.

 

Droits fondamentaux – asile – interdiction de territoire – non violation

La sanction pénale d’interdiction du territoire pour une durée de 10 ans prononcée à l’encontre d’un ressortissant étranger résidant en France depuis plus de 20 ans n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention (21 novembre).

Décision Ngumbu Kikoso c. France, requête n°21643/19

La Cour EDH rappelle que les Etats parties à la Convention ont la faculté d’expulser un étranger délinquant, entré et résidant légalement sur leur territoire. Cependant les décisions adoptées dans ce cadre doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique et être motivées de manière circonstanciée, lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 §1 de la Convention, afin de permettre à la Cour EDH d’assurer son contrôle. En l’espèce, les juridictions nationales ont pris en compte la durée particulièrement longue du séjour régulier en France du requérant. La Cour EDH ajoute que le requérant a été condamné à plusieurs reprises, notamment pour détention et usage de faux documents administratifs. En outre, célibataire et sans enfant, il n’a pas apporté de précision quant aux attaches familiales et privées qu’il aurait en France. Dans ces conditions, les juridictions nationales pouvaient légitimement considérer qu’une mesure d’interdiction du territoire de 10 ans était nécessaire à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales. Partant, la Cour EDH rejette la requête.

 

Droits fondamentaux – asile – regroupement familial – question préjudicielle

L’enfant mineur de parents ressortissants de pays tiers ayant des nationalités différentes et dont l’un des parents s’est vu octroyer le statut de réfugié dans un Etat membre peut obtenir ce statut à titre dérivé pour le maintien de l’unité familiale, en vertu de dispositions nationales plus favorables que celles de la directive 2011/95/UE (9 novembre)

Arrêt Bundesrepublik Deutschland (Grande chambre), aff. C-91/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’en vertu de la directive 2011/95/UE, le statut de réfugié s’obtient par la réunion de 2 conditions, à savoir la crainte d’être persécuté et le défaut de protection contre les actes de persécution dans le pays tiers dont le demandeur détient la nationalité. Si le demandeur possède la nationalité de plusieurs pays tiers, il ne doit pouvoir réclamer la protection d’aucun de ces pays. La directive ne prévoit pas, en outre, que le statut de réfugié puisse être octroyé aux membres de la famille y compris s’ils sont mineurs. Or, dans la situation en cause au principal, la requérante est une enfant mineure née sur le territoire de l’Etat membre d’accueil qui possède plusieurs nationalités, dont celle d’un pays tiers dans lequel elle ne risquerait pas d’être persécutée. Toutefois, la Cour précise que conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les Etats membres peuvent octroyer le statut de réfugié à un enfant mineur, à titre dérivé et aux fins de maintien de l’unité familiale, selon des normes plus favorables que celles de la directive et à condition que celles-ci soient compatibles. 

 

Droits fondamentaux – poursuite disciplinaire dans le but d’intimider – violation

Les poursuites disciplinaires engagées dans le seul but d’intimider une magistrate critique à l’égard du Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») sont contraires à la Convention (19 octobre)

Arrêt Miroslava Todorova c. Bulgarie, requête n°40072/13

La Cour EDH rappelle l’importance primordiale de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt général tels que l’indépendance de la justice. En l’espèce, le CSM a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre de la requérante, magistrate et Présidente de l’association des juges. Si de sérieux manquements professionnels de la part de la requérante ont constitué le motif formel des sanctions, la Cour EDH constate toutefois que les poursuites ont été engagées en raison des prises de position publiques de la requérante et de ses critiques à l’égard du CSM. Dès lors, elle considère que ces poursuites et sanctions ont pu avoir un effet dissuasif sur l’exercice du droit à la liberté d’expression de la magistrate. En outre, la Cour EDH estime que les autorités nationales n’ont pas fourni de motifs suffisants et pertinents pour justifier que les poursuites et sanctions étaient nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Elle estime enfin que ces poursuites avaient un but inavoué, à savoir de sanctionner et d’intimider la requérante pour ses critiques et prises de position. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 10 et 18 de la Convention.

 

Droits fondamentaux – mutation d’un juge vers une autre juridiction – question préjudicielle

La décision de mutation d’un juge vers une autre juridiction est contraire aux principes d’indépendance et d’inamovibilité si la mesure n’offre pas les garanties et les voies de recours nécessaires (6 octobre)

Arrêt W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – nomination), aff. C-487/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Sąd Najwyższy (Izba Cywilna) (Pologne), la Cour de justice de l’Union européenne considère que les mutations d’un juge vers une autre juridiction ou entre 2 sections d’une même juridiction, sans son consentement, peuvent porter atteinte aux principes d’indépendance et d’inamovibilité des juges garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, de telles mutations peuvent entraîner des conséquences importantes sur la vie et la carrière des juges et produire les effets d’une sanction disciplinaire. De plus, ces mutations peuvent être utilisées pour exercer un contrôle sur le contenu des décisions judiciaires. Il importe donc que de telles mesures, non consenties, ne soient décidées que pour des motifs légitimes tels que la bonne administration de la justice, et puissent être contestées en justice. En outre, la Cour estime que si le processus de nomination d’un juge contient des irrégularités de nature à générer, dans l’esprit des justiciables, des doutes quant à l’indépendance et l’impartialité du juge concerné, les décisions rendues par celui-ci ne peuvent être considérées comme émanant d’un tribunal indépendant et impartial. 

 

Droits fondamentaux – absence de mention de l’article fondant le recours - violation

En déclarant irrecevable une requête pour absence de mention de l’article fondant le recours, la Cour de cassation luxembourgeoise a fait preuve d’un formalisme excessif contraire à l’article 6 §1 de la Convention (12 octobre)

Arrêt Foyer Assurances S.A. c. Luxembourg, requête n°35245/18

La Cour EDH rappelle que le droit d’accès à un tribunal peut être limité dès lors que ces limitations ne sont pas de nature à restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En l’espèce, la requérante n’a pas indiqué la base légale fondant son action en responsabilité à la suite d’un dommage causé par un accident de la circulation. Or, la Cour EDH constate que si 3 types de responsabilité délictuelle sont prévus par le droit national, le régime d’indemnisation est commun. Elle ajoute qu’aucune des décisions judiciaires rendues dans l’affaire ne s’est prononcée sur la base légale fondant le responsabilité de l’accusé. La requérante ne saurait donc se voir reprocher d’avoir invoqué les 3 dispositions légales à l’appui de son moyen de cassation. En faisant preuve d’une approche trop formaliste, la Cour de cassation a porté atteinte au droit d’accès de la requérante à un tribunal, dans son essence même. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention.

 

Droits fondamentaux – absence d’enquête suite à l’assassinat d’un individu - violation

L’absence d’enquête effective à la suite de l’assassinat d’un individu au Royaume-Uni par les agents des services secrets russes engage la responsabilité de la Russie (21 septembre)

Arrêt Carter c. Russie, requête n°20914/07

La Cour EDH rappelle que pour établir une violation de l’article 2 en son volet matériel, l’autorité et le contrôle des individus par les agents de l’Etat sont l’un des critères régissant l'exercice de la compétence extraterritoriale. En l'espèce, elle juge qu’il existe une forte présomption qu’en empoisonnant M. Litvinenko au Royaume-Uni, les agents du KGB aient agi en qualité d’agents de l’Etat russe. Elle relève que le gouvernement n’a ni fourni d’autre explication satisfaisante et convaincante pour les faits, ni réfuté les conclusions de l’enquête publique britannique. Par ailleurs, s’agissant de la violation de l’article 2 en son volet procédural, la Cour EDH rappelle que l’ouverture par les autorités étatiques d’une enquête sur le meurtre d’un individu survenu sur un autre territoire suffit à établir un lien juridictionnel avec cet Etat. En l’espèce, la Cour EDH relève qu’une enquête a bien été ouverte par les autorités russes mais que celle-ci n’a pas été menée de manière effective permettant l’établissement des faits et, le cas échéant, l’identification et la sanction des personnes responsables du meurtre. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 2 et 38 de la Convention. 

 

Droit pénal – peine d’emprisonnement à vie – violation

Les peines d'emprisonnement à vie, avec possibilité de libération conditionnelle après seulement 40 ans d'emprisonnement, sont contraires à l’article 3 de la Convention (28 octobre) 

Arrêt Bancsók et László Magyar (n°2) c. Hongrie, requêtes n°52374/15 et 53364/15

La Cour EDH rappelle qu’une condamnation à perpétuité ne peut être compatible avec l’article 3 de la Convention que s'il existe dans le droit national une possibilité de réexamen de cette condamnation avec une perspective de libération. Elle ajoute qu’au regard des législations des autres Etats signataires, ce réexamen doit pouvoir se faire au plus tard 25 ans après l'imposition d'une peine d'emprisonnement à perpétuité et qu’il doit être couplé avec d'autres réexamens périodiques du bien fondé de la condamnation. Or, dans le cas d’espèce, les requérants doivent attendre 40 ans avant de pouvoir bénéficier d’un tel réexamen et ils ne peuvent envisager de libération anticipée. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

 

Droit pénal – communication préalable des informations détaillées sur l’accusation – question préjudicielle

Une législation nationale doit, d’une part, prévoir une voie procédurale permettant de remédier à des irrégularités du réquisitoire et, d’autre part, préserver le droit d’une personne poursuivie de se voir communiquer des informations détaillées sur l’accusation (21 octobre)

Arrêt ZX (Régularisation de l'acte d'accusation), aff. C-282/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Spetsializiran nakazatelen sad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le sens de l’article 6 §3 de la directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, ces 2 articles s’opposent à une législation nationale qui ne prévoit pas de voie procédurale permettant de remédier aux vices entachant le réquisitoire et qui empêche le justiciable de connaitre les accusations portées contre lui afin de pouvoir y réagir de manière effective. Les droits procéduraux que la directive consacre doivent être assurés tout au long de la procédure pénale, et donc également après l’audience préliminaire. La Cour ajoute qu’il incombe au juge national d’interpréter son droit national en conformité avec la directive. A défaut, il lui reviendra de laisser inappliquée la norme nationale contraire au droit de l’Union européenne, l’article 6 §3 de la directive étant d’effet direct, et de renvoyer l’affaire devant le procureur afin que celui-ci établisse un nouveau réquisitoire. 

 

Droit pénal – exclusion d’une jurée atteinte de cécité - violation

L’exclusion totale d’une jurée atteinte de cécité de la participation aux audiences pénales en raison de sa situation de handicap constitue une discrimination contraire au droit de l’Union européenne (21 octobre)

Arrêt Komisia za zashtita ot diskriminatsia, aff. C-824/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Varhoven administrativen sad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’une personne admise par tirage au sort au rôle de jurée de jugement, mais exclue de la participation aux audiences pénales en raison de sa cécité, subit une différence de traitement fondée sur le handicap contraire à la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Si le fait de posséder des capacités physiques particulières peut être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour certaines professions, une telle exigence doit poursuivre un but légitime et être proportionnée. Or en l’espèce, la requérante a été exclue de manière absolue de toutes les audiences pénales, sans que sa capacité à remplir les fonctions de juré ne soit évaluée et sans que des aménagements raisonnables ne lui soient proposés. Dès lors, la Cour estime que la différence de traitement est disproportionnée et ne peut donc être justifiée.

 

Droit pénal – confiscation d’un immeuble appartenant à un individu condamné – non violation

La confiscation d’un immeuble appartenant à un individu condamné pour récidive d’association de malfaiteurs n’est pas contraire à l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention (7 octobre)

Décision Djordjević c. France, requête n°15572/17

La Cour EDH constate que la confiscation a été ordonnée sur le fondement d’une base légale, accessible, précise et prévisible. Dans la mesure où elle vise à lutter contre le crime organisé en réprimant la participation à une association de malfaiteurs par une sanction patrimoniale dissuasive, il s’agit d’une mesure poursuivant un but d’intérêt général. La Cour EDH note que la confiscation litigieuse avait vocation à sanctionner des faits particulièrement graves et que les juridictions nationales n’ont prononcé qu’une confiscation partielle du patrimoine du requérant. Elle ajoute que ce dernier a pu contester la mesure litigieuse devant les juridictions nationales dans le respect de son droit à un procès équitable. Ainsi, au regard de la marge d’appréciation dont bénéficie la France dans le cadre d’une politique visant à combattre des phénomènes criminels, la mesure n’apparaît pas disproportionnée par rapport au but poursuivi. Partant, la Cour EDH rejette le recours.

 

Fiscalité – déduction de la TVA refusée suite à la mention d’un fournisseur fictif – question préjudicielle

L’exercice du droit à déduction de la TVA doit être refusé à l’assujetti qui mentionne volontairement un fournisseur fictif sur la facture correspondant à l’acquisition de biens qui lui ont été livrés (11 novembre)

Arrêt Administracion General del Estado, aff. C-281/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunal Supremo (Espagne), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le droit à déduction de la TVA est subordonné à des conditions matérielles et formelles, au sens de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA. D’une part, s’agissant des conditions matérielles, la personne concernée doit revêtir la qualité d’assujettie et avoir été livrée ou fournie en biens ou services par un autre assujetti. D’autre part, s’agissant des conditions formelles, l’assujetti doit disposer d’une facture. Lorsque les conditions matérielles sont remplies et même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis, le principe de neutralité de la TVA exige la déduction de cette taxe dès lors qu’elle a déjà été acquittée en amont. En revanche, si le manquement aux exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve que certaines des exigences de fond ont été remplies, notamment lorsque cela conduit à l’impossibilité de vérifier la qualité d’assujetti du fournisseur, alors le droit à déduction peut être refusé. Il en va de même lorsque l’assujetti a commis une fraude ou lorsqu’il savait ou aurait dû savoir que par l’acquisition des biens ou services, il participait à une opération impliquant une fraude à la TVA.

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Stéphane
Boonen
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