Smart contract et droit européen

Le droit ne peut rester indifférent face aux nouvelles technologies qui révolutionnent notre société.

Peut-être pourrions-nous d’abord donner une définition du « smart contract » (contrat « intelligent ») suivie d’un schéma[1]. Ensuite, nous évoquerons les aspects de droit européen liés aux « smart contracts ».

1. Notion

Le « smart contract » est un ensemble d’engagements coulés en forme digitale incluant des protocoles à l’intérieur desquels les parties vont exécuter leur engagements[2]: Généralement le « smart contract » s’exécute sur une blockchain ce qui rend inaltérable l’enregistrement des opérations.

Le « smart contract » n’est pas nécessairement un contrat au sens juridique du terme : c’est d’abord un logiciel. Sur le plan juridique, la caractéristique qui nous paraît essentielle par rapport au contrat classique est que le « smart contract » ne permet plus de discuter une fois le contrat conclu et que, en cas d’inexécution, les sanctions (paiement forcé etc…) deviennent automatiques.

A part les cryptomonnaies, il y a, à notre connaissance, relativement peu d’applications du « smart contract » dans notre vie quotidienne mais le futur devrait offrir un développement important à ces nouvelles opportunités technologiques.

2. Droit européen

En premier lieu, le « smart contract » doit être, selon nous, réglementé. En effet, il pose problème au niveau de la validité du consentement, de la fiabilité du fonctionnement, de la protection du débiteur dans le cadre de l’inexécution, tout comme au niveau du respect de la vie privée notamment. Le droit applicable et la résolution des différends doivent également être appréhendés[3].

En second lieu, le « smart contract » est par essence un contrat qui ne connaît pas les frontières tout comme toute opération digitale. Une législation au seul niveau national est vaine et doit laisser la place à la norme européenne.

Le législateur européen ne s’y est pas trompé puisqu’il entend régir cette matière, tandis que, à l’aube du « Brexit », le législateur britannique a, pour sa part, déjà produit le fruit de ses travaux sur cette question[4].

Le « digital finance package » traite aussi de cette question[5].

Quant au Parlement européen, il appelle de ses vœux la réglementation des « smart contracts » sur la base des considérants suivants[6] :

« O.  considérant que les contrats dits «intelligents», qui s’appuient sur les technologies des registres distribués, y compris les chaînes de blocs, qui permettent une tenue des registres décentralisée et entièrement traçable et l’auto-exécution, sont utilisés dans plusieurs domaines et ce, en l’absence de tout cadre juridique approprié; qu’il existe des incertitudes quant à la valeur juridique de ces contrats et à leur force exécutoire dans les situations transnationales; »

Ensuite, Le Parlement demande que cette législation apporte :

  • Une base juridique claire ;
  • Un équilibre contractuel ;
  • Une protection des consommateurs ;
  • Un respect du droit de la concurrence ;
  • Un accès à la justice.

Nous croyons qu’une réglementation spécifique aux « smart contracts » devrait être rédigée.

L’Institut de droit européen (European law Institute[7]) a mis sur pied un groupe de travail composé de juristes et d’opérationnels qui va dans les prochains mois, émettre des principes applicables en matière de « blockchain » et de « smart contracts », ce dont il faut se réjouir.

Les nouvelles technologies évoluent à grande vitesse ; le législateur européen doit prendre cette évolution à bras le corps.

 

Denis PHILIPPE, 
Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg
Professeur à l’UCLouvain
Professeur invité à l’Université de Paris Ouest

 

[1] Voy. notre article publié dans la revue DAOR (droit des affaires-ondernemingsrecht), 2018, pp.6 à 17.
[2] Nick SZABO, Smart Contracts: Building Blocks for Digital Markets, 1996.
[3] Voy. notre article précité.
[4] Voy. UK Jurisdiction Taskforce Statement on Crypto Assets and Smart Contracts sous la présidence de sir Geoffrey Vos.
[5] Voy. package https://ec.europa.eu/info/publications/200924-digital-finance-proposals_fr.; Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL on Markets in Crypto-assets, and amending Directive (EU) 2019/1937 ; COM/2020/593 final ; voy.COM(2020) 594 final 2020/0267(COD), Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL on a pilot regime for market infrastructures based on distributed ledger technology 
[6] A9-0177/2020 Législation sur les services numériques: adaptation des règles de droit commercial et civil pour les entités commerciales exerçant des activités en ligne
[7] Voy. le site europeanlawinstitute.eu

A propos de l'auteur

Denis
Philippe
Expert belge en droit européen des contrats du CCBE

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