Si le droit m’était conté, par François Ost

 

Si le droit m’était conté, par François Ost, Paris, Dalloz, 2019, 216 p., 19 €.

« Un autre volet délicat de la Résolution que j’ai l’honneur de défendre devant le Tribunal concerne la présomption d’innocence et le droit au silence du prévenu ou de l’accusé », déclarât le bâtonnier. « Ces droit fondamentaux impliquent notamment que le doute profite à la personne mise en accusation ; mais peut-on imaginer que Dieu lui-même se mette à douter ? Ils impliquent aussi le droit pour l’accusé de ne pas répondre aux questions et de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même. Mais, ici encore, on peut se demander ce qui reste de ces garanties, dès lors que, comme chacun sait, rien n’échappe au Grand Juge, comme le découvrait déjà Caïn, poursuivi par l’œil de Dieu jusque dans la tombe ».

Et si les droits de l’homme s’appliquaient au jugement dernier ? La question peut paraître incongrue. Comment appliquer à Dieu des règles proprement humaines. Oui mais, la justice divine pourrait-elle être moins parfaite, moins compréhensive, moins miséricordieuse, moins juste disons-le, que la justice humaine ?

Ce conte, qui nous narre les tribulations du bâtonnier de Lisbonne, chargé de défendre devant un tribunal arbitral canonique une résolution exigeant l’application des garanties de la Déclaration universelle des droits de l’homme au jugement dernier, n’est donc pas une douce fantaisie. D’autant que dans certains pays (ou chez nous, en d’autres temps…), les règles qui semblent prévaloir au jugement céleste sont bel et bien appliquées par des magistrats qui prétendent agir au nom de l’être suprême (lequel ? eh bien, cela dépend du pays bien sûr).

C’est là tout le génie de la démarche de François Ost. Il nous narre des historiettes qui, à première vue, semblent n’être que d’incongrues fictions. Mais, mon enfant, c’est pour mieux te faire saisir l’absurdité, et parfois l’horreur, de certains aspects de notre société.

L’objet unique de ce livre est le droit lui-même, dans son inépuisable richesse.

Huit récits pour nous faire saisir le pouvoir civilisateur du droit, sa grandeur. Ce pourquoi il nous fait homme. Son sens.

Quel droit pour l’arche de Noé ? Pour ce lieu fermé où survivent quelques privilégiés, certains un peu plus et d’autres un peu moins, mais tous beaucoup plus que tous ceux qui n’ont pas eu l’heur d’être embarqués et qui, de temps à autre, lancent des S.O.S. pour être recueillis ?

Du XIIe au XIXe siècle, l’Occident chrétien instruisit des procès contre des animaux : devant les juridictions ordinaires lorsqu’ils étaient appréhendables (un chien, un cochon, un ours, …) ; devant les juridictions canoniques lorsqu’ils ne l’étaient pas (des criquets, des termites, des fourmis, … : ceux-là étaient alors excommuniés)[1]. Ici, c’est au tour de Martin, un ours à cinq pattes, ce qui fait évidemment de lui le suspect rêvé des crimes les plus affreux. Il prend la liberté de s’adresser à ses juges, non pour plaider sa cause, qu’il sait perdue d’avance puisqu’il est différent, mais pour tenter de leur faire prendre conscience du rôle réel qu’ils ont accepté de jouer. Est-il si différent de celui que tout juge accepte d’endosser ?

Tuer son propre clone, de surcroît doté d’une intelligence artificielle, est-ce un meurtre ? C’est la question à laquelle doit répondre le jury devant lequel comparaît Solange. Voyage aux confins de l’humanité : qu’est-ce qu’un homme ? Finalement, c’est une question que nous nous posons souvent, par exemple dans les débats sur l’avortement ou l’euthanasie. Science ou culture, qui détient la réponse ?

Fortune de mer tient une place un peu particulière dans ce recueil. Car ce dont il est question ici n’est pas une fiction mais d’une véritable catastrophe : le naufrage de l’Amoco Cadiz. Mais il est vrai que parfois la réalité dépasse la fiction. Et comment ne pas comprendre le message de Greta Thunberg en lisant ces lignes ?

Jamais deux sans moi… C’est la devise d’un chef d’État despotique, qui ne jure que par la transparence et la simplification, qui ne communique avec ces citoyens que par des messages de maximum 140 caractères. Il s’appelle Selfidor et toute dissemblance avec un président existant serait une pure coïncidence.

Quand le tiers, signe du droit, est exclu ou instrumentalisé, s’annonce une régression à l’état de nature où tous les coups sont permis. C’est le retour au face à face primitif, et bientôt à l’hégémonie du Un, avant de rejoindre le zéro : vide, néant, silence, encéphalogramme plat.

Un jeune thésard est expédié, à brûle-pourpoint, à Rio de Janeiro (il y a pire) pour y participer au congrès annuel de l’association brésilienne « Droit & Littérature ». Sujet de l’année : quel grand livre relatif à la justice emporteriez-vous sur une île déserte ? Dans l’avion qui l’emmène dans l’hémisphère Sud, notre jeune assistant somnole. Robinson Crusoé le rejoint bien vite, lui dont le bateau fit naufrage alors qu’il partait vers l’Afrique pour y quérir une cargaison d’esclaves. Que ce serait-il passé si c’était au retour qu’eût lieu la tempête ? La réponse est connue, malheureusement, car c’est ce qui arriva à la frégate française L’Utile en 1761. Île au trésor, île aux mouches, château d’If, Alcatraz, radeau de la méduse, colonie pénitentiaire, Laputa (l’île de Gulliver), Barataria (celle de Sancho Pança) : ne seraient-elles pas, finalement, des miroirs de nos aspirations de justice ?

Cherche bien, le secret de la justice est quelque part, caché dans un de ces livres.

Il en reste une. Elle commence par la citation d’un article paru dans le Bulletin de l’Association de la Noblesse du Royaume de Belgique : « Les confidences du mammouth », par le Chevalier Jean de Codt. Et nous voici parti dans les dédales du Palais de Poelaert (ou de Schuiten ? C’est le même mais cette nouvelle a été écrite avant le passage de Mortimer au Palais), à la recherche de ce fameux passage secret pour la découverte duquel le conseil de l’Ordre vota, en 1896, un budget de 250 francs devant financer une expertise qui permettrait d’en avoir le cœur net. Il nous mènera à la chambre des vengeances, puis à celle des plaideurs compulsifs (Chicaneau et la marquise de Pimbesche tentent d’y clore leur affaire), au tribunal de la conscience, à celui des affaires complexes (celles que notre droit est incapable de résoudre), au tribunal de l’Histoire et, pour finir, à la Cour des grâces et des pardons. Jean-Pierre, tu savais que tout cela siégeait dans ton vieux Palais ? Ou enfin, pas loin, au bout du passage secret ?

Dieu nous a créé libres : il s’est adressé à nous en termes d’interdits – « n’approchez pas de l’arbre », ce qui voulait dire que nous pouvions le faire si nous le voulions. Et nous l’avons fait ; dès les premiers jours nous avons fait usage de notre liberté. C’est à elle que nous tenons, même dans notre vallée de larmes ; et c’est elle que le droit protège ; c’est grâce à elle que le droit à un sens …

C’est gai la philosophie du droit avec François Ost, avec la littérature.

[1] Voyez la recension de l’ouvrage d’Emmanuel Pierrat, Le procès du dragon.

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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