Le vendredi 12 mars, AVOCATS.BE était entendu par la commission de l’Intérieur de la Chambre sur l’avant-projet de loi pandémie. Nous y avons fait part de nos observations, politiques et techniques, et les parlementaires ont manifesté un intérêt réel sur ces délicates questions. Car le sujet est sensible. Manifestement, cet avant-projet devra être revu de fond en comble.
Une des thèses que nous défendons est celle du respect de la séparation des pouvoirs avec un retour au Parlement de la fonction de légiférer qui est, comme un peu partout en Europe, de plus en plus souvent concentrée entre les mains du pouvoir exécutif. C’est une dérive de notre démocratie. Et cette dérive est dangereuse.
Certains y voient une certaine forme d’aboutissement de la particratie. C’est un des maux dont souffre notre pays. Ce n’est évidemment pas un scoop.
Nous savons aujourd’hui que le processus décisionnel n’est plus au Parlement mais bien dans les bureaux des présidents de parti ou dans les couloirs des ministères. C’est donc un petit groupe de personnes qui prennent les décisions sur des sujets qui, initialement, étaient traités par les élus de la Nation.
Nous n’avons pas dit autre chose lorsque nous avons souligné que, depuis une année, la plupart des mesures prises pour endiguer la pandémie l’ont été par un Ministre, sans base légale claire, plutôt que par ou en vertu d’une loi spécifique si ce n’est sans doute durant la première période couverte par une loi de pouvoirs spéciaux.
Cette évolution d’une démocratie vers une particratie n’est pas nouvelle. Le danger d’un tel système est de voir l’intérêt électoral du parti primer sur l’intérêt général. Il faut reconnaître que la plupart des mesures qui ont été prises par les gouvernements successifs en matière de lutte contre la pandémie ont visé l’intérêt général et ont été souvent très courageuses Mais on ne peut s’empêcher de constater que, en préambule des divers comités de concertation, on entend les différents responsables des partis, de l’opposition ou de la majorité, et même certains ministres des divers gouvernements, prendre des positions tranchées dont on sent le soufre de l’électoralisme. C’est un risque réel.
Mais restons de bon compte : nous n’aimerions pas devoir nous-mêmes prendre les décisions qu’ils prennent.
Faire revenir au Parlement les décisions essentielles qui concernent les citoyens de ce pays est, notamment, l’enjeu de cet avant-projet de loi pandémie. C’est également l’enjeu du grand débat sur les réformes institutionnelles qui se prépare. Ne nous trompons pas de débat : la question ne sera pas de savoir si telle matière doit être défédéralisée ou refédéralisée mais bien de poser la question du meilleur traitement démocratique qui peut lui être fait.
Une autre thèse que nous défendons est celle du renforcement du contrôle juridictionnel des dispositions prises dans le cadre de la loi pandémie. Il faut permettre au juge naturel de la légalité des décisions gouvernementales, le Conseil d’Etat, de jouer son rôle de manière efficiente.
Durant cette pandémie, nous avons dû constater que la plupart des recours en suspension ont été rejetés par le Conseil d’Etat faute d’urgence. Le contrôle juridictionnel est donc devenu inefficace.
La solution que nous préconisons est donc simple :
- La loi doit d’ores et déjà être suffisamment précise quant aux mesures qui peuvent être prises et quant aux conditions dans lesquelles elles peuvent l’être
- C’est par arrêté royal que ces mesures seront effectivement mises en œuvre
- Pour qu’il y ait un recours juridictionnel efficient, l’urgence sera présumée de manière irréfragable dans le cadre des recours en suspension devant le Conseil d’Etat de tout arrêté pris en exécution de cette loi.
C’est une mini-révolution mais ne faut-il pas innover ?
Enfin, pour permettre de retrouver l’adhésion d’une population désabusée face aux différentes mesures prises, il faut qu’elles le soient sur une base légale solide mais également sur base d’éléments clairs. Puisqu’aucune obligation de motivation formelle des arrêtés réglementaires n’existe, il conviendrait, dans un cadre comme celui de la gestion d’une crise sanitaire, d’organiser bien plus substantiellement et plus précisément la publicité active et la mise à disposition, presque en temps réel lors de l’adoption de nouveaux arrêtés restreignant les droits et libertés, des documents scientifiques ayant conduit à l’adoption de ces arrêtés. Il en va du respect du droit fondamental à la transparence administrative, garanti par l’article 32 de la Constitution.
Une nouvelle fois, nous n’avons jamais fait aucun reproche aux divers gouvernements et autre organisme de concertation quant aux mesures prises pour tenter de contenir la propagation de la Covid-19. Mais nous devons, comme organisation professionnelle d’avocats, souligner la manière inadéquate de prendre de telles mesures.
Le sentiment des participants aux premiers débats de la commission de l’Intérieur de la Chambre est d’avoir été écoutés. Puissions-nous avoir été compris !
Xavier Van Gils,
Président