Il est des rendez-vous incontournables qui rythment l’année judicaire.
Cette année, il revenait à la souriante Maître Manon WILLEMS, Présidente de la Conférence du Jeune Barreau, d’ouvrir la séance solennelle de rentrée.
La partie protocolaire avait pris ses quartiers au Palais des Congrès.
C’est toute en légèreté et un peu chahutée qu’est l’entame des prises de parole.
En effet, ce n’est pas forcément l’habitude, le public réagit de façon fort sympathique pas très protocolaire à l’énumération de chacun des invités prestigieux.
Il importe aussi de souligner l’accent mis sur le plaisir très renouvelé d’accueillir une délégation nombreuse et remarquée de notre Barreau jumelé de Nancy.
Maître WILLEMS s’est ensuite livrée à l’exercice habituel de la prétention de l’oratrice.
Depuis 1925, Namur n’avait eu le plaisir d’entendre qu’une douzaine de consœurs à la tribune de la rentrée, nonobstant une féminisation toujours plus grande de la profession.
La thématique sera très largement reprise par l’oratrice du jour, Maître Aurélie CARUSO.
Cette dernière partageant les valeurs de la Présidente et partageant également « le bureau d’à côté »…
Maître CARUSO est avocate depuis 10 ans et jeune maman. Elle pratique le droit des étrangers, le droit social et le droit de la famille mettant ainsi ses compétences au service des plus démunis ou plus fragiles.
Maître CARUSO est également depuis deux ans membre du Conseil de l’Ordre et, paraît-il, excellente danseuse classique, dotée de bon sens, un peu maniaque et extrêmement ordonnée.
C’est encore une inconditionnelle de Disney (c’est loin d’être la première oratrice qui est présentée avec cette particularité…).
Pour ceux qui la connaissent bien, Maître Aurélie CARUSO a choisi pour titre de son discours « La parité, un instrument au service de l’égalité ? ».
Le propos est engagé, sans trop de surprise lorsque l’on connait Maître CARUSO, sur l’égalité des chances d’accès au Barreau et la possibilité d’y poursuivre sa carrière.
Les anciens se souviendront que le sujet avait déjà été exploré en 2007 par Maître Nathalie DUVIVIER qui, à l’occasion d’une intervention brillante, avait notamment interrogé sa jeune fille sur les évolutions probables et la place de la femme dans le monde judiciaire (la petite histoire retiendra que la jeune Hélène, actuellement en première Master en droit, a suivi le chemin).
Maître CARUSO dispose des clés nouvelles pour répondre aux interrogations de l’époque.
Les consœurs sont devenues majoritaires et la confrontation à d’anciennes idées historiques discriminantes force plus le sourire que l’approbation.
Le propos est fort bien dit. L’oratrice navigue entre l’universalité des droits de l’Homme et les notions de parité, d’égalité, de citoyenneté et autres équités.
On peut faire le constat que l’état de droit a, par l’instauration obligatoire de certaines parités, apporté une partie de la solution aux inégalités et à la sous-représentativité féminine.
Des inégalités demeurent toutefois.
S’attardant à l’exemple du Barreau, il est rappelé que Madame Marie POPELIN fût la première diplômée en droit en Belgique en 1888 et s’était vue rejeter la possibilité de prêter serment d’avocat.
Il aura fallu attendre le 8 mai 1922 pour que Maître Paule LAMY et Marcelle RENSON soient les deux premières consœurs à prêter le serment d’avocate pour que l’autorisation de plaider soit enfin accordée par une loi du 7 avril 1922 et que la possibilité d’accéder à la magistrature soit ouverte en 1948.
Que de chemin parcouru depuis des approches totalement rétrogrades.
Force est de constater, de façon fort heureuse, que les dernières statistiques d’AVOCATS.BE pour 2022 permettent de dénombrer dans les 4.115 avocats 50,2 % de dames.
De là à dire que les choses sont parfaites, sans doute pas.
L’accès au Bâtonnat, aux fonctions au sein d’AVOCATS.BE mais également en matière de carrière, posent le constat que certaines améliorations doivent encore être cherchées.
Maître CARUSO conclut son propos par une nouvelle interrogation, celle consistant à se demander si la parité devrait être imposée dans les Ordres pour établir l’égalité parfaite.
Comme à l’habitude le dernier mot, par le biais de la réplique, revenait au Bâtonnier de l’Ordre, Maître Jean SINE.
Pas avare d’un bon mot, Maître SINE prend le parti de la contradiction en enjoignant à l’oratrice un peu moins de prudence, plus d’audace, voire plus de radicalité.
Les statistiques judiciaires sont plutôt encourageantes.
Le monde judiciaire pourrait figurer en bon élève s’agissant de la place à réserver à la femme dans notre société.
Notons par exemple que le Barreau le plus important de Belgique francophone, celui de Bruxelles, ait pour la première fois une Bâtonnière à sa tête, Maître Marie DUPONT.
Les Barreaux du ressort de la Cour d’Appel de Mons, soit ceux de Charleroi, Mons et Tournais, auront trois femmes pour présider à leur destinée.
Nous avons également le plaisir d’avoir une femme à la fonction de Procureur Général par la Cour d’Appel de Mons, outre que la Première Présidente de la Cour d’Appel de Liège, Madame Evelyne LAHAYE, une ancienne namuroise, dirige désormais les travaux de notre Cour d’Appel.
L’on se plait à constater, avec réalisme, que les propos historiques sont de très loin tellement ridicules.
Monsieur le Bâtonnier Jean SINE, poursuit sur le ton de la confidence, … pour pouvoir répliquer avec à-propos il s’est procuré de la littérature féminine…
Il semble toutefois impossible de se détacher du constat que la domination masculine reste une évidence.
Le patriarcat demeure sérieusement enraciné culturellement, structurellement, et il reste également économique, culturel et symbolique.
Prenant à son compte les écrits de l’autrice Lauren BASTIDE (« Ville, médias, politique, quelle place pour les femmes ? ») le Bâtonnier ne se montre pas fan des quotas imposés.
L’autrice est connue pour avoir relevé que « l’égalité entre les hommes et les femmes sera atteinte lorsque les femmes auront droit à la même médiocrité que les hommes ».
Maître SINE observe ensuite que rien n’est jamais acquis. C’est notamment le constat posé face à la régression au niveau du droit à l’accès à l’avortement aux Etats-Unis, l’interdiction faite aux petites filles de fréquenter les écoles en Afghanistan,...
Toutefois, en Iran, une lueur d’espoir retient (paradoxalement ?) l’attention. Quel courage insensé faut-il à ces femmes pour enlever leur voile ou leur tchador et exposer leurs cheveux en guise de protestation ultime du régime et au risque d’exposer leur vie.
Citant BEAUMARCHAIS dans le Barbier de Séville, Maître SINE affirme haut et fort : « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ».
En guise de conclusion, Monsieur le Bâtonnier exorde à une certaine forme de passion dans l’exercice professionnel permettant ainsi à chacun et chacune de prendre sa place.
Non sans avoir noté que depuis la mythologie grecque, Dame Justice est représentée par la déesse Themis, il demeure nécessaire de s’adjoindre le collectif, la collaboration et la sororité des mouvements féministes actifs depuis des décennies pour que le progrès advienne.
A nouveau, l’affirmation, son contraire et la nuance auront dès lors été la règle dans le petit exercice de style.
Le reste de la journée n’a pas failli aux habitudes.
La Revue s’est attardée aux « Clabauderies du Barreau de Namur », relatant çà et là diverses anecdotes du quotidien du petit monde judiciaire namurois en ce qu’elles étaient notamment colportées par un mystérieux corbeau…
Ensuite, la ferme de Mehaignoul aura pu accueillir chacun des convives pour un repas (qui a semble-t-il fait l’unanimité positive) et une soirée véritablement endiablée jusqu’aux petites heures du matin.
Le rendez-vous est incontestablement pris pour l’année prochaine.
Karl Steinier,
Avocat au barreau de Namur