Le 23 septembre 2020, la Commission publiait son nouveau pacte européen sur la migration et l'asile. Beaucoup en attendaient beaucoup. Ils seront sans doute déçus.
Un objectif prévisible, mais décevant et surtout inefficace.
L’objectif politique annoncé est la réforme du règlement Dublin III (604/2013) du 26 juin 2013 qui prévoit, en substance que l’Etat membre (ci-après E.M.) qui devra traiter une demande d’asile est, en général, celui de l’Espace Schengen sur le sol duquel le demandeur d’asile (on dit « demandeur de protection internationale » -> DPI) a posé pour la première fois le pied. Cette politique qui est bien antérieure à 2013 est un échec. Et pourtant, elle reste la pierre angulaire du processus. Comme les D.P.I. proviennent du ou passent par le sud de la méditerranée, ce sont les E.M. du sud (Grèce, Malte, Chypre, Italie et dans une moindre mesure Espagne), qui doivent en principe traiter les demandes de protection. Il s’ensuit un engorgement des structures d’accueil de ces pays dont l’exemple le plus sinistre est le camp de Moria à Lesbos où s’entassaient jusqu’à son récent incendie, des milliers de demandeurs d’asile dont la Grèce, volens nolens, ne traitait pas la demande.
Le prétexte du pacte sur la migration et l’asile est une soi-disant ‘crise de l’asile’ qui aurait désorganisé l’équilibre du règlement Dublin III. On rappellera, au risque de sembler vouloir contester un axiome, que ce qui a été baptisé ‘crise de l’asile’ en 2015 a conduit moins de D.P.I. en Belgique que pendant la guerre d’ex-Yougoslavie (plus de 42.600 en 2000 contre un pic de 35.400 en 2015) et qu’il n’avait pas alors été question de ‘crise’. Mais il est vrai que les réfugiés d’alors étaient des Européens blancs et pas des Arabes. On rappellera aussi que si afflux de DPI il y eut en 2015, il n’était pas structurel mais provenait de la crise, pour le coup réelle, qu’était la guerre en Syrie, qui mit sur les routes un nombre impressionnant de réfugiés. Ils ont été accueillis pour l’essentiel par les pays voisins (Jordanie, Liban et Turquie). On rappellera enfin que cette ‘crise de 2015’ fut stoppée, après le courageux ‘Wir Schaffen das’, par un pitoyable accord avec la Turquie qui, contre 6 milliard d’euros (et la promesse européenne non tenue d’abolir le visa pour les ressortissants turcs), empêche les réfugiés syriens ou autres présents sur son territoire, de passer les frontières orientales de la Grèce. Mais s’il n’y a pas de crise de l’asile, d’où provient le malaise dans la migrance? Tout simplement de la tentation des pays ‘riches’ de s’opposer à une situation permanente et millénaire d’une partie de la jeunesse des pays pauvres, pas la plus précaire d’ailleurs[1], d’aller voir ailleurs, où cela semble mieux. Il s’est agi jadis des Irlandais ou des Italiens qui sont partis en Amérique au XIXème siècle, de l’immigration italienne et espagnole en Europe du Nord avant et surtout après la deuxième guerre mondiale, de l’immigration marocaine et turque, qu’elle soit autorisée selon les accords des années ’60 ou non autorisée après la fin de l’immigration décidée en 1974. Elle se manifeste actuellement au sein de la jeunesse des pays maghrébins, subsahariens et est africains ou, on se demande pourquoi, afghane. Cette volonté de migrance est tellement forte qu’aucune frontière ne peut la stopper[2]. Elle doit être convenablement gérée et organisée. Et malheureusement, le pacte sur la migration proposé le 23 septembre 2020 n’y contribue nullement.
Si la question de la politique migratoire est controversée dans chaque pays européen, elle est –si possible- encore plus compliquée au niveau européen. Une réforme cohérente de la politique d’asile serait passée par l’abolition du règlement Dublin III et la fixation de modalités équitables de répartition des demandeurs d’asile entre chaque Etat Membre, selon des clés et un budget à déterminer. Mais, notamment à cause des pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie), une telle solution était politiquement inenvisageable.
Il en est résulté une proposition de pacte sous forme d’une longue communication de la Commission ainsi que cinq propositions de règlement.
On ne s’attardera pas ici sur la communication qui n’a de valeur qu’indicative, si ce n’est pour souligner que la volonté de concilier les divergences manifestées au sein du Conseil conduit à des textes profus, qui frôlent la jargonaphasie, bref, dont la lecture est particulièrement indigeste.
L’essentiel du projet est à trouver dans quatre[3] projets de règlement du Parlement et du Conseil à savoir :
- Un règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration ;
- Un règlement établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures ;
- Un règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union ;
- Un règlement modifiant le règlement Eurodac.
On relèvera d’emblée que l’instrument choisi est résolument le règlement.
1° Le règlement relatif à la gestion de l’asile prévoit différents systèmes présentés comme des palliatifs aux défauts du règlement Dublin III.
- Un mécanisme qui permet aux E.M. de manifester leur solidarité à l’égard des Etats en situation de ‘pression migratoire’, soit par la relocalisation des D.P.I., mais aussi des réfugiés reconnus depuis moins de trois ans, soit en prodiguant différentes « aides au retour » (conseils et assistances divers allant jusqu’à l’organisation matérielle des retours/expulsions). On relève que dans certaines circonstances, la Commission pourra imposer des relocalisations aux E.M.
- S’agissant d’une refonte du règlement Dublin III, la proposition reprend pourtant les règles de détermination de l’E.M. responsable du traitement de la D.P.I. et ajoute un critère supplémentaire à savoir la responsabilité de traiter la demande par un E.M. qui a délivré antérieurement un diplôme au D.P.I.
Ce projet de règlement devait contenir LA transformation attendue du principal vice du règlement Dublin III, à savoir la fin de la règle du traitement de la demande de protection internationale. par l’E.M. de premier débarquement du migrant. Las, la montagne a accouché d’une souris. Ce principe inique, inefficace et générateur d’instabilité dans les E.M. de première arrivée est maintenu. La solidarité attendue des autres E.M. est ‘à la carte’ : relocalisation ou aide à l’expulsion. Il ne faut pas être docteur en science politique pour percevoir que ce système fera l’objet d’applications diverses selon le degré de xénophilie des gouvernements des E.M. Il est peu probable que la Commission ait les moyens de contraindre les E.M. récalcitrants. Il n’est pas non plus interdit de penser aux migrants eux-mêmes. D.P.I où ils auront été relocalisés contre le gré du gouvernement forcé de les accueillir ?
2° Un projet de règlement établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures.
Il s’agit ici de l’instauration d’une nouvelle étape dont on peut dire très succintement qu’elle uniformise les modalités d’identification des ressortissants de pays tiers qui se présentent à une frontière extérieure de l’Union sans visa ou titre de séjour ou qui sont appréhendés sans papier sur le territoire d’un E.M. et dont il s’avère qu’ils n’ont pas été identifiés précédemment.
Le filtrage doit notamment consister en:
- Un contrôle d’identité par rapport aux informations contenues dans les bases de données européennes et l’enregistrement des données biométriques (données dactyloscopiques et images faciales) dans les bases de données correspondantes ainsi qu’un contrôle de sécurité via les différentes bases de données dont principalement le S.I.S. (système d’information Schengen), Etias…
- Un triage et une orientation vers la procédure jugée ad hoc, à savoir soit une procédure de « retour » ( lire : refus d’entrée et expulsion), soit une procédure d’asile en cas de demande de protection internationale, soit une procédure accélérée, la procédure d’asile à la frontière ou, enfin, la relocalisation dans un autre État membre.
A l’issue du filtrage, un compte-rendu sera établi portant indication d’orientation vers une procédure de retour, une procédure d’asile ou une procédure d’asile abrégée.
Le filtrage sera effectué avant le franchissement de la frontière. Qu’on n’en doute pas, il faudra prévoir des camps dans lesquels les personnes qui souhaitent franchir la frontière et qui ne disposent pas d’autorisation pour ce faire seront ‘filtrées’[4]. Nonobstant les proclamations de respect des droits fondamentaux, on doit d’emblée redouter la création de camps dans lesquels les conditions d’accueil ne vaudront guère mieux que celles dans lesquelles l’égoïsme des E.M. à laissé les Grecs se débrouiller seuls, notamment le camp de Moria à Lesbos..
Il est prévu que la procédure de filtrage ne dépasse pas cinq jours…sauf situation de crise.
Outre les conditions matérielles dans lesquelles les ressortissants de pays tiers attendront l’audition en vue de filtrage, se posent de nombreuses questions relatives notamment à la possibilité de disposer de suffisamment de services de traduction et aussi de l’assistance juridique réservée aux ‘filtrés’.
Le projet de règlement est muet à cet égard. Pourtant, les avocats qui, sous l’égide d’ELIL (European Lawyers in Lesvos) ont conseillé à Moria les D.P.I. avant leur audition par les autorités grecques attestent que le taux de recevabilité des demandes varie de 1 à 3 selon que le demandeur a eu ou non accès à un avocat.
Mais peut-on imaginer d’imposer durablement l’organisation de tels services à des cabinets d’avocats situés près des frontières de l’Union soit souvent dans des petites villes où les cabinets d’avocats ne sont pas légions….et sans que rien ne soit dit au niveau européen pour le financement solidaire de telles prestations ?
En résumé, cette proposition fait naitre des inquiétudes quant aux conditions matérielles dans lesquelles les ressortissants de pays tiers attendront le filtrage et quant aux modalités de son déroulement. Il est à craindre que nonobstant le respect des garanties de la Charte des Droits Fondamentaux de l’U.E. on ne glisse facilement et souvent d’une procédure rapide à une procédure expéditive.
3° Règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union. Instauration d’une procédure accélérée de l’examen de certaines demandes d’asile à la frontière.
Une nouveauté importante contenue dans cette proposition de règlement est la création d’une procédure d’asile accélérée, à la frontière, lorsque le D.P.I. provient d’un pays dont les reconnaissances de la qualité de réfugié ne dépassent pas 20% des demandeurs provenant de ce pays tiers. Une procédure accélérée à la frontière sera aussi appliquée lorsque le demandeur ‘a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses informations ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable’;
Dans ce cas, le délai d’introduction de la D.P.I. sera de cinq jours au lieu de 10 et la durée de la procédure sera de douze semaines au maximum. Si la procédure accélérée n’a pu être menée à terme au bout des douze semaines, le D.P.I. sera autorisé à entrer sur le territoire de l’E.M.
Pendant cette période, les D.P.I. seront hébergés à des endroits situés aux frontières extérieures ou dans les zones de transit, mais aussi à proximité de ces endroits.
Les ressortissants de pays tiers dont les demandes d’asile auront été rejetées passeront alors à une procédure de retour. Pendant cette période, les étrangers concernés devraient être maintenus aux frontières extérieures, à proximité de celles-ci ou dans les zones de transit; toutefois, lorsque l’État membre se trouve dans l’incapacité de les y maintenir, il peut utiliser d’autres endroits de son territoire. Ils pourront aussi être placés en ‘rétention’ en cas de crainte de fuite.
Ces diverses procédures pourront faire l’objet d’un recours. Suspensif en 1ère instance uniquement. Ce recours, en matière de procédure d’asile accélérée devra s’inscrire dans le délais des douze semaines évoqué précédemment. Le projet de directive prévoit qu’il faudra disposer de services de traduction. Il est par contre muet quant à l’assistance d’avocats.
Filtrage, procédures accélérées à la frontière, procédure de retour à la frontière. Tout cela signifie de nouvelles procédures accélérées mais diverses aux frontières avec comme corrolaire la création de centres ouverts ou fermés pour hébérger les demandeurs d’asile en cours de filtrage, de procédure accélérée d’asile ou de retour. Comment ne pas craindre la création de camps similaires au honteux camp de Moria en Grèce ?
Et aussi, que deviendront les droits à une procédure effective et équitable si une part importante des procédures d’asile et de recours se décide aux frontières où, dans nombre de cas, le recours aux services d’avocats sera une gageure alors que l’ont perçoit que la technicité du droit matériel et procédural rendra les procédures incompréhensibles pour la quasi-totalité des intéressés ?
4° Les modifications au système Eurodac tendent notamment à y intégrer plus de données telles que les données biométriques relevées à un quelconque moment, qu’il s’agisse du passage de frontière ou lors d’un contrôle dans un E.M. ou encore lors d’une demande de protection internationale, l’existence d’une relocalisation ou d’un transfert de responsabilité (du traitement de la demande de protection internationale.), le rejet antérieur d’une demande de protection internationale par un E.M., le débarquement dans un E.M. à la suite d’une opération de recherche et de sauvetage ou encore la considération qu’au terme du filtrage, une personne peut constituer une menace pour la sécurité intérieure. Outre l’augmentation des données personnelles qui seront saisies dans Eurodac, le projet de règlement prévoit l’accès et le croisement des données Eurodac avec nombre d’autres banques de données créées dans le cadre des procédures européennes relatives à la migrance (ETIAS, SIS…). En bref, renforcement de l’enregistrement de nombre de données relatives aux migrants et D.P.I. et accroissement de l’interopérabilité de ces données.
Conclusion toute provisoire.
Les modifications proposées sont des emplâtres sur des jambes de bois. Elles ne créent absolument pas une situation sereine et pérenne mais multiplient les difficultés et chausse-trappes pour les demandeurs d’asile.
Outre la complexification des procédures, il est frappant et préoccupant de constater que dans nombres d’E.M., la possibilité de l’assistance effective et efficace d’un avocat sera très difficile voire impossible.
Loin de lutter contre les abus des passeurs, ces nouveaux règlements risquent fort de les enrichir puisque leurs services auront à contourner des barrières physiques et procédurales de plus en plus complexes.
Il y a plus de 25 ans, le professeur Jean Yves Carlier plaidait déjà pour l’abolition des visas pour entrer en Europe.
Il s’agit là de la seule solution raisonnable pour apaiser les prétendues ‘crises de l’asile’.
Qu’on ne caricature pas stupidement : il ne s’agit pas d’une proposition de frontières ouvertes. Mais simplement de dispenser de visas les ressortissants de pays tiers qui souhaitent se rendre en Europe pour un court séjour (c’est-à-dire de trois mois au maximum).
Sait-on que les ressortissants de nombreux pays[5] sont dispensés de visas pour entrer en Europe sans que le continent n’en soit submergé[6]?
Bien entendu, ils doivent montrer qu’ils disposent des moyens de subsistance nécessaires à leur séjour, d’une assurance médicale et doivent donner des garanties de sécurité (casier judiciaire vierge et « screening » négatif dans les banques de données européennes de contrôle des frontières).
Si on observe en Europe une certaine clandestinité de ressortissants des pays dispensés de visas, elle est bien moindre et bien moins dure que celle des ressortissants de ‘pays à visa’ qui une fois rentrés dans la forteresse Schengen ne veulent souvent plus en sortir.
Leur attitude ne serait-elle pas toute différente s’il leur était dit que pour autant qu’ils disposent des moyens de subsistance, qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et qu’ils se manifestent à une ambassade européenne dans leur pays au maximum trois mois après être entrés dans l’espace Schengen, ils pourront y revenir quand ils veulent ?
Et ne devons-nous pas souhaiter que ceux qui sont poursuivis dans leur pays pour des raisons ethniques, de religion, sociales ou politiques et qui doivent se voir reconnaître le statut de réfugié, puissent arriver sans encombre à nos frontières ?
Une lueur d’espoir ? Elle est probablement à trouver paradoxalement dans le renforcement de la politique de filtrage et de collecte toujours plus nombreuse d’informations notamment biométriques.
Ces données pourraient permettre de contrôler efficacement la régularité du franchissement des frontières des centaines de milliers de personnes qui viendraient en Europe pour un court séjour en traversant les mers et déserts, comme nous le faisons tous, en avion, et non au péril de leur vie, avec des passeurs.
Jean-Marc Picard,
Avocat au barreau de Bruxelles,
Expert d’AVOCATS.BE au comité « migration » du C.C.B.E.
[1] Voir en ce sens F. Gemenne, ‘On a tous un ami noir. Pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations’. Fayard 2020. P.56 sq.
[2] Quiconque a traversé le Sahara dans la benne d’un camion, a été emprisonné en Lybie dans des prisons clandestines et souvent y a été torturé, a traversé la méditerranée en barcasse pourrie alors qu’il ne sait pas nager, n’est nullement impressionné par les frontières Schengen.
[3] On n’a pas examiné le cinquième règlement relatif aux mesures à adopter en temps de crise.
[4] On verra que ces camps seront nécessaires pour l’application des autres règlements.
[5] Il s’agit par exemple des brésiliens, des mexicains, des vénézuéliens, des honduriens ou nicaraguayens.
[6] pas plus d’ailleurs que la Suède n’est submergée de bulgares alors que le revenu moyen varie entre les deux d’un facteur sept (soit un différentiel supérieur à celui entre le Maroc et l’Espagne)