M’man, tu veux bien relire ma dissert’ ?

Je demande à un confrère de me confirmer qu’une affaire peut être considérée comme close et lui dis, au passage, le plaisir qui fut le mien de l’avoir rencontré à cette occasion. Ça se fait …

Il me répond :

Cher Confrère,

Nous vous confirmons également que nous clôturons ce dossier, dans lequel le plaisir que nous avons eu à vous rencontrer est partagé.

Bien dévoué,

Un joli condensé !

1.

À la formule d’appel, le nom utilisé pour désigner le ou la destinataire (client, collaboratrice, collègue, etc.) s’écrit avec une minuscule initiale sauf si la personne a un titre ou exerce une fonction officielle (comme ministre, juge, présidente, recteur, etc.) – Vitrine linguistique du Québec.

Cher confrère, donc.

Je concède toutefois y placer moi-même très souvent une majuscule, de peur que le ou la destinataire ignore cette règle et prenne ma minuscule pour une marque de mésestime …

Je profite de l’occasion pour signaler que, non, l’emploi de la formule Mon cher confrère n’est pas une faute : le dictionnaire de l’Académie française l’utilise pour illustrer le mot cher.

2.

Ainsi, mon cher confrère me “confirme également” qu’il clôture ce dossier.

Il veut pourtant dire qu’il clôt lui aussi ce dossier, PAS qu’il me confirme aussi : l’ordre des mots dans la phrase a de l’importance …

3.

Il en va de même de la virgule. Si, pour ne pas qu’on l’assaille de questions à un moment inopportun, mon personnage dit Je mange, les enfants ! je ne pourrai évidemment l’écrire, à peine de poursuites pour anthropophagie : Je mange les enfants ! L’emploi de la ponctuation est très compliqué, certes, mais souvent trop négligé (ce qui n’est pas pareil que trop souvent négligé).

Dans la phrase mise en exergue ci-dessus, par exemple, la virgule ne se justifie pas après le mot dossier. Sauf à soutenir la thèse de l’ellipse pour éviter une répétition : “Je clos ce dossier, dossier dans lequel j’ai par ailleurs …”. Rappelons toutefois qu’une ellipse est une “Omission d'un ou plusieurs mots dans un énoncé dont le sens reste clair”.

NB : J’esquive la discussion sur l’emploi de clore/clôturer. Certains ouvrages considèrent que le verbe clôturer est employé abusivement et qu’il serait préférable de recourir à clore, mais comme ce dernier ne peut pas être utilisé dans toutes les formes de conjugaison, “clôturer l’a progressivement remplacé dans ce sens et a réussi à s’implanter dans l’usage”, selon la Vitrine linguistique du Québec.

4.

Arrive la formule la plus alambiquée : “ce dossier dans lequel le plaisir que nous avons eu à vous rencontrer est partagé” !

Sans doute dans le sillage des formulations simplistes utilisées par des plateformes comme Facebook – Share –, le verbe partager est vraiment mis à toutes les sauces (ketchup).

Il existe en français suffisamment de verbes plus précis comme exprimer, émettre, raconter, communiquer (qui fait lui aussi l’objet de nombreux usages abusifs), faire part de … pour éviter de s’exprimer en charabia (je vise la situation générale, pas le courriel reçu). Il me semble qu’on entend trop souvent Je voudrais qu’on partage sur ce sujet, voire Je lui ai partagé mon sentiment ou encore (le pire ?) Nous avons partagé (pour Nous avons discuté).

Étymologiquement, il s’agit de faire des parts et, après le partage, la portion de chacun sera plus petite.

Certes, partager peut avoir pour complément un nom abstrait désignant ce qu’on pense de tel ou tel sujet ; il change alors de sens pour signifier agréer, accepter, faire sien. Et, comme le souligne l’Académie française, dans ce cas, ce qui est partagé ne diminue pas : Je partage votre point de vue signifie Je suis d’accord avec vous. Il reste que dans une conversation, on ne partage pas ses idées ou ses opinions : on cherche à les faire partager à son interlocuteur.

On veut donc faire partager son avis à ou par quelqu’un, certainement pas lui partager son avis !

Pour en revenir à la formule épinglée – le plaisir que nous avons eu à vous rencontrer est partagé –, on peut assurément parler d’un embrouillamini.

J’ai fait part de mon plaisir (de l’avoir rencontré) et il veut me répondre “plaisir partagé” mais me dit en définitive que son plaisir est partagé …

La dictée rapide est évidemment une nécessité mais pareil impératif ne peut nous dispenser d’une relecture. Il ne s’agit pas seulement de convenances ou d’urbanité mais, plus prosaïquement, de courtoisie.

Cela dit, je tombe un peu à plat ici, puisque l’intention de cet aimable confrère était parfaitement courtoise … C’est sa formulation qui péchait.

5.

La salutation est la formule de politesse qui termine une lettre. Elle est ici réduite à Bien dévoué !

Lorsqu’il est question quasiment d’un complément à la signature, nos aînés pratiquent volontiers la formule Votre bien dévoué.

Certains s’avancent un peu avec un Cordialement vôtre et d’autres mixent les deux, en ne se désignant plus mais en qualifiant la teinte à donner à leur propos, par un laconique Bien cordialement.

Le susdit Bien dévoué ne qualifie pas le propos mais son auteur, et il ne peut par conséquent PAS se passer du Votre, à peine de perdre tout sens. La concision n’impose pas la télégraphie.

Je voudrais en outre rappeler qu’on ne peut PAS être dévoué à un confrère (sauf à être son collaborateur ou son conseil), pas plus qu’à un magistrat ni, a fortiori, à un adversaire ou à un débiteur (qu’on menace de poursuites judiciaires tout en lui étant bien dévoué ?).

La formule de politesse est, elle aussi, trop souvent inadaptée, estropiée. Je me rappelle avoir suivi, stagiaire, un exposé sur la question (et même en avoir souligné l’intérêt à l’école du stage, beaucoup plus tard, de façon très éphémère) : la délicatesse n’est-elle pas une qualité – et même un devoir ! – de l’avocat ?

Cherchons donc des formules appropriées, quitte à ce qu’elles soient standardisées, mais, par pitié ! défaisons-nous du sommaire passe-partout quand il est incohérent.

Quand on s’adresse à un ou une juge, il n’est pas dégradant de prier de croire à l’assurance de ses sentiments respectueux (et non croire en : ce n’est pas un acte de foi…). Bon, je ne sais pas s’il est encore de mise d’y ajouter une gradation selon le niveau juridictionnel (très respectueux puis les plus respectueux), comme on nous le recommandait sous les neiges d’antan.

Un membre du parquet, on peut sans méprise lui demander d’agréer l’expression de sa considération distinguée (idem : de sa haute, voire de sa très haute considération, qu’on n’a alors plus besoin de distinguer).

Je ne vois pas de mal à inviter un greffe à recevoir l’expression de ses sentiments les meilleurs.

Et non, il ne faut pas y ajouter deux gros cœurs rouges ou une vilaine tête jaune qui s’esclaffe : on n’est pas entre ados. À quand le caca fumant dans des conclusions ?

Si on veut distiller un peu d’ironie à l’adresse d’un personnage désagréable, on peut évoquer l’expression (ou l’assurance) de ses sentiments choisis

Je confesse avoir déjà demandé que soient agréés mes sentiments consternés, mais ce n’est pas recommandé.

Je rappelle qu’on ne peut recevoir l’expression de salutations et que, si l’on fait précéder sa formule d’un participe présent (Espérant une réponse favorable), on ne peut le faire suivre d’un Veuillez, puisque le sujet du verbe principal doit être le même que celui du participe.

À titre personnel, j’ai banni les impératifs de ce genre (Veuillez, Agréez, …) qui m’ont toujours paru relever de l’injonction. Et, mis à part les commodes Bien cordialement ou Bien confraternellement, voire Bien amicalement, j’ai aussi écarté les formules brèves (lire : administrativo-bureaucratiques) telles que Sincères ou Meilleures salutations, ainsi que les agaçants et somme toute peu aimables Salutations distinguées. Pourquoi pas Salut en de kost, tant qu’on y est ?

Je m’autorise à terminer mon propos par quelques dernières suggestions que vous connaissez sans doute déjà mais qui ne me paraissent pas totalement superflues, à la lecture des articles de tout poil qu’on peut retrouver dans la Tribune ou l’Open barreau de Liège.

Les libelles seraient sans doute plus lisibles s’ils n’étaient engorgés de “Monsieur le Directeur du Centre de formation, Maître Albert Machin”, “Monsieur le Bâtonnier Trucmuche du Barreau de Houte-si-Plout” et autre “Madame la Représentante du Ministre de la Justice” ; quand le titre à rallonge n’est pas suivi, en guise de ponctuation, d’un laborieux “Qu’il en soit remercié !”.

Halte à la majusculite et aux labels pompeux.

Déjà, les dénominations des associations ayant un but (notamment) culturel ou professionnel, prennent une majuscule au premier nom : la Conférence libre du jeune barreau. Et si vous écrivez CLJB, tout le monde comprendra.

Par ailleurs, les appellations palaisdes congrès et palais des sports, tout comme palais de justice, sont des noms communs donnés à des lieux publics. Ils ne prennent pas de majuscule(s).

Le titre de maître (tout comme monsieur) prend la majuscule et s’écrit en toutes lettres si on s’adresse directement à la personne concernée. Lorsqu’on parle de quelqu’un, on abrège le titre (pour monsieur, c’est M. et non Mr), et si toutefois on décide de l’écrire au long, il prend la minuscule.

Enfin, un tel titre (maître ou bâtonnier) ne s’emploie PAS dans une signature, pas plus qu’il ne convient d’utiliser le titre de monsieur ou madame dans ce contexte.

On signe Carmen Martinez, notaire et non Maître Carmen Martinez (pas plus qu’on ne signerait Madame Carmen Martinez ni certainement Madame le Notaire Carmen Martinez). Ne riez pas, j’ai des exemples concrets encore plus saugrenus.

Je suis d’accord : rédiger soigneusement en français est un authentique parcours du combattant. PERSONNE ne pourrait se targuer d’écrire sans commettre la moindre faute. Mais ça ne prend tout de même pas un temps démesuré de se relire, si ? Juste pour enlever les trucs qui piquent les yeux.

Ne serait-ce que par délicatesse…

Jari Lambert,
Avocat au barreau de Liège


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