« Deux fois par semaine, Ramin-Grobiss, dit RG, comme il aimait à s’entendre appeler ainsi, trônait sur son banc en attente des hauts faits dont il allait devenir la vedette. Comme il était plaisant de déverser un mépris prétendument humoristique sur les falots comparaissant devant lui ! Plus succulent encore lorsque la presse relayait ses feintes dans les Echos du Tribunal. Il était de bon ton de rire car cela détendait l’atmosphère. Pas pour celui qui était moqué, nié, mal entendu dans la vérité qui était la sienne : mais avait-il réellement son mot à dire ? »
« Le haro bien-pensant se pratiquait régulièrement dans un sens bien établi : les tenants du pouvoir vers les tenus de l’adversité. Les misérables obtiendraient le prix fort de leurs écarts s’ils étaient en faute ou coupables et le prix faible s’ils avaient osé se plaindre d’un nanti. La justice de classe calculait avec une arithmétique aussi stupéfiante que particulière, et RG en était le champion le plus brillant… »
Je me suis toujours demandé si Corinne, ancienne (double) bâtonnière de Tournai, aimait les palourdes. Je ne le saurai sans doute jamais. Tant pis. Je savais qu’il lui arrivait de publier de courts romans mais elle ne m’avait jamais fait l’honneur de m’en prévenir et ils m’avaient donc échappé. Mon cousin est tombé récemment, dans une foire aux livres, sur deux d’entre eux. La lacune est donc comblée.
Au dos de Tumultes et dérisions, l’éditeur nous parle de Corinne : « Elle passa son temps à regarder, sans trop baisser les yeux… Depuis toujours, elle cherche à savoir ou à comprendre. Elle aime les tapis volants. Elle déteste les voleurs de vie. Elle vit de musique et de mots… ». C’est ainsi que je la connais.
Elle a une plume acérée. Et les protagonistes des dents de l’affaire, dont il m’étonnerait qu’ils soient sans ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé, y sont croqués avec une certaine férocité, voire une férocité certaine, comme s’ils étaient passés par le crayon d’un caricaturiste. Il y a donc RG, le magistrat, mais aussi Maître Duloup, le pénaliste, la bête de prétoire, aussi fat qu’imbu de lui-même, et Pinky Piggy, la greffière nymphomane, qui se partage (notamment) entre les deux susdits. Puis la mystérieuse L., sorte d’ange exterminateur, qui élève, entre deux volumes de Proust, cette fameuse « affaire » qui a des dents. Et Maurice Quasi, classeur de documents au Palais de justice, fils de Pinky et amoureux de L., qui observe toute cette curieuse ménagerie.
Cela grince et cela mord, comme Thémis (c’est le surnom de « l’affaire » en question) et comme la Justice. C’est un conte grotesque, nous dit l’éditeur, et ce, avec des mots soupesés, ciselés, pour qu’ils touchent où cela fait mal. Revigorant.
Tumultes et dérisions est un recueil de courtes nouvelles. Noires en général. C’est un peu comme dans les chansons qu’aime Renaud. Le héros meurt à la fin.
J’aime particulièrement Maddy. Sans doute parce qu’elle commence par ce qui est peut-être un malentendu. Sur un pilier routier est écrit « Maddy, malgré tout, je t’aimerai toujours ». Et sur le suivant « Moi aussi ». Corinne en imagine le dialogue figé de deux amoureux tumultueux. Moi, je n’aurais pas lu le message comme elle. J’y aurais vu l’irruption d’un facétieux, voire d’un rival. Mais qu’importe puisque cela donne l’occasion de croiser les destins de deux Maddy. Et c’est surtout celui de la seconde qui importe.
J’errais en mal de moi car je suis affublé de cette mentalité de piano qui me rend complètement désaccordé une fois l’an.
J’errais donc au volant d’une voiture, cet habitacle prisé des solitaires, cette coquille apparemment sociale, présumée utile. Je m’y terre avec des airs conquérants, à l’assaut des routes alibis…
Mais mon désaccord ne venait pas de la politique ni de l’état de notre monde. Mon désaccord était récurrent et faisait que mon la était très bémol, presque sol…
Corinne Poncin a pris le monde à deux mains. Mais dans ses livres elle le lit comme une poétesse.
Patrick Henry,
Ancien Président