Le courrier mixte a-t-il encore un avenir ?

A chaque livraison de la Tribune, nous tenterons de vous rappeler certains principes de déontologie par des exemples pratiques.

Il ne s’agira pas de faire le tour du sujet mais de porter à votre attention un point particulier de nos règles.

Aujourd’hui, la correspondance….

 

1. Le cas

Deux avocats de barreaux différents se rencontrent dans le cadre d’un litige locatif.

L’avocat du locataire écrit au conseil du bailleur une lettre libellée comme suit :

Mon Cher Confrère,

J’ai bien reçu votre lettre qualifiée d’officielle du 20 octobre dernier.

J’en conteste le caractère officiel : la proposition que vous avez formulée n’a en effet jamais été acceptée par mon client.

Celui-ci me prie pour le surplus de faire savoir au vôtre qu’il entend exécuter le congé qui lui a été notifié et quittera les lieux pour le 29 novembre prochain.

Il est en revanche exclu qu’il cède au diktat de votre client et les libère pour la fin de ce mois. Comme vous le savez, il peut prétendre à un préavis de trois mois, soit jusqu’à la fin du mois prochain. Les griefs formulés par votre client et que celui-ci entend invoquer à l’appui d’une rupture immédiate du bail sont totalement fantaisistes, comme nous en avons notamment pu le constater lors de notre visite sur les lieux et donc formellement contestés.

Remplaçant une communication de partie à partie, la présente est officielle.

Votre bien dévoué, 

 

2. Officiel ou pas ? Les éléments de réponse

Contrairement à ce que pourrait laisser penser la dernière phrase du courrier, la lettre est confidentielle en application de l’article 6.1 du code de déontologie :

« La correspondance entre les avocats est confidentielle. Même lorsque les conseils sont d’accord, elle ne peut être produite qu’avec l’autorisation du bâtonnier. Cette disposition vise aussi bien la production judiciaire qu’extra-judiciaire ».

En effet, le principe est et reste le caractère confidentiel des échanges entre avocats.

De plus, cette lettre ne répond pas aux hypothèses prévues à l’article 6.2 du code de déontologie qui, pour rappel, reprend les cinq hypothèses où un courrier perd son caractère confidentiel.

Dès lors qu’il s’agit d’exceptions à un principe, elles sont d’interprétation restrictive.

Or, ce courrier :

  • fait référence à un courrier et une proposition tenus pour confidentiels,
  • comprend des appréciations personnelles (« diktat », « fantaisistes »),
  • elle implique directement les avocats (« comme nous avons pu le constater »).

D’aucuns auraient plaidé pour considérer ce texte comme un courrier « mixte » puisqu’il annonce la date de départ du locataire pour le 29 novembre, cette partie pouvant être considérée comme officielle au sens de l’article 6.2.2° du code de déontologie qui précise : « Perd son caractère confidentiel et peut dès lors être produite sans autorisation du bâtonnier : (…) 2° toute communication qui, qualifiée expressément non confidentielle, manifeste un engagement unilatéral et sans réserve ».

Et même si certains regretteront le lyrisme et l’emphase de certains courriers, je ne pense pas que ce soit encore possible d’envisager ce caractère mixte : n'oublions pas qu’il est non seulement recommandé de s’assurer par un écrit de l’accord des clients sur le contenu des communications officielles mais aussi de libeller avec concision les communications auxquelles s’attache un caractère officiel, de rappeler ce caractère et de consigner dans une lettre distincte toutes autres communications qui conservent un caractère confidentiel. (Code de déontologie, article 6.2 $3).

Enfin, et pour autant que de besoin, le différend sur la production des échanges de courrier est de la compétence des deux bâtonniers aux conditions de l’article 6.46 al. 2 du Code de déontologie qui précise :

« Si une contestation relative à la production de correspondance surgit entre des avocats de barreaux différents, la correspondance ne peut être produite qu’avec l’autorisation préalable des bâtonniers dont ils relèvent, étant toutefois entendu que :

1° en cas de dissentiment, la décision appartient au bâtonnier du barreau du lieu de la juridiction dans laquelle la correspondance doit être produite, pour autant qu’un des avocats intéressés y soit inscrit ; dans les autres cas, notamment devant les juridictions internationales et étrangères, l’opinion la plus restrictive l’emporte ; 

2° cette règle de compétence subsiste si la production est demandée pour la première fois en degré d’appel ; 

3° tout conflit sur la production de semblable correspondance surgissant à l’audience est tranché par le bâtonnier du barreau du lieu de la juridiction saisie de l’affaire ;

4° s’il y a changement de conseil en cours d’instance, l’avis déjà donné par le bâtonnier du barreau dont relevait l’avocat précédent lie le bâtonnier dont relève l’avocat successeur. »

Jean-Noël BASTENIERE,
Avocat au barreau de Brabant wallon
Membre de la commission déontologie d'AVOCATS.BE

A propos de l'auteur

Jean-Noël
Bastenière
Avocat au barreau de Brabant wallon

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