La gouvernance durable d’entreprise

La consultation européenne

Vous trouverez sous ce lien la réponse faite par AVOCATS.BE à la consultation de la Commission européenne intitulée « sustainable corporate governance »[1]. Cette consultation concerne deux sujets de droit des sociétés : (i) ce que le droit français appelle le « devoir de vigilance » (en anglais « due diligence duty ») sur la « chaine de valeur » (en anglais « value chain ») et (ii) l’intégration du développement durable dans la gestion d’une entreprise et, dans ce but, une prise en compte des intérêts des « parties prenantes » (en anglais les « stakeholders »).

L’idée d’un « devoir de vigilance » pour les entreprises est née notamment après la catastrophe sociale du Rana Plazza (Bangladesh, 2013 – 1127 morts, 2500 blessés)[2] et les catastrophes environnementales de Fukushima (Japon, 2011), du naufrage de l’Erika (France, 1999)[3], de Bhopal (Inde, 1984) ou de Seveso (Italie, 1976), et avec la prise de conscience du dérèglement climatique.

La Tribune vous a informés du Green Deal[4] qui veut faire de l’Europe un continent neutre en carbone d’ici à 2050 et, dans ce Green Deal, du plan « de la Ferme à la Table »[5] qui aura un impact important sur notre alimentation et ses producteurs.

Les plans de la Commission européenne

A présent, la Commission européenne, vigoureusement encouragée par le Parlement européen (qui a déclaré l’« urgence climatique » depuis le 28 novembre 2019), veut imposer aux entreprise qu’elles intègrent dans leur stratégie (et pratiquement dans leur raison d’être en réalité) leur contribution positive au développement durable. La Commission voudrait inscrire cette orientation parmi les devoirs des dirigeants de ces entreprises. En vue de rendre plus réelle cette contribution, la Commission souhaite imposer à toutes les entreprises (sans négliger les PME, qui devraient avoir un régime adapté) un devoir de vigilance sur leur chaine de valeur, c’est-à-dire d’une part toute la chaine qui va de l’extraction de la matière première jusqu’au produit fini ou au service (chaine de production) et d’autre part toutes les relations d’affaires qui permettent au producteur ou au prestataire de services de tirer profit de son produit ou service (principalement les clients – c’est la chaine de valeur)[6].

AVOCATS.BE et l’OVB ont rédigé une réponse commune pour la Belgique à la consultation européenne, en réaction à un premier projet du CCBE qui a été profondément remanié par la suite.

Contribution belge à la consultation

La réponse belge contient notamment les réponses suivantes aux questions de la Commission :

  • Une société est créée par des actionnaires et doit dès lors veiller à assurer une certaine rentabilité à leur investissement, mais il n’est pas permis de considérer que les administrateurs d’une société ne doivent travailler qu’en fonction de cet objectif de rentabilité. Ils ont également l’obligation de tenir compte de l’intérêt d’une série de parties prenantes (employés, fournisseurs, pouvoirs publics, communautés locales, environnement …) en vue d’assurer la prospérité durable de la société. Notre Cour de cassation l’a dit en des termes qui prêtent à controverse dans un arrêt du 28 novembre 2013.[7]
  • Il parait difficile d’envisager une règle de droit européen qui organise la responsabilité des administrateurs vis-à-vis des parties prenantes. D’une part, le droit de la responsabilité des dirigeants n’est pas harmonisé jusqu’à présent, et, d’autre part, les parties prenantes ont, si elles subissent un dommage, un recours contre la société elle-même avant tout. Certes un dialogue avec ces parties prenantes peut impliquer des engagements, mais ce seront des engagements de la société.
  • Si un devoir de vigilance est créé qui pourrait amener des entreprises à devoir refuser leurs produits ou services à certains candidats parce qu’ils risquent de ne pas en faire un usage adéquat (pour l’environnement ou la société en général), il faudra préciser que les avocats doivent toujours intervenir pour les justiciables, même dans les « mauvaises » causes. Cette précision, qui peut paraitre, incongrue résulte de vifs débats au niveau du CCBE, certains barreaux considérant qu’il fallait écarter purement et simplement les avocats de toute obligation de « due diligence », ce qui parait excessif.
  • Les règles de « corporate governance » devraient être mises à jour pour intégrer de façon plus explicite le développement durable. Pour l’instant, la plupart des codes en vigueur évoquent pudiquement la « recherche d’un profit à long terme ». Il serait sans doute bon d’intégrer plus explicitement le principe de l’identification des principales parties prenantes qui contribuent à la prospérité de l’entreprise ou qui sont exposées à des risques du fait de l’activité de l’entreprise et d’un dialogue avec elles. La définition d’une stratégie qui intègre les défis à moyen ou long terme (notre planère sera-t-elle encore habitable en 2100 ?) est sans doute également souhaitable.
Et maintenant ?

La Commission européenne devrait prochainement publier les résultats de la consultation. Elle proposera ensuite probablement divers projets réglementaires ou de « soft law » pour mettre en œuvre son plan d’action.

Jean-Marc Gollier,
Avocat au barreau de Bruxelles
Membre du comité « responsabilité sociale de l’entreprise » du CCBE

 

[1] https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12548-Sustainable-corporate-governance
[2] Voir notamment l’article du journal Le Monde du 26 mai 2013 intitulé « Rana Plaza, la mort de l'industrie »
[3] Cette catastrophe causée par le naufrage d’un navire transportant du pétrole pour la firme Total a donné lieu à une jurisprudence importante qui a consacré jurisprudentiellement la notion de « préjudice écologique » et qui a constaté l’existence d’une faute de témérité de la société-mère Total qui n’a pas surveillé adéquatement, alors qu’elle s’y était engagée publiquement, l’affrètement d’un navire manifestement dangereux, le Erika (Cass. (crim.), 25 septembre 2012, 10-82.938, disponible sur le site https://www.courdecassation.fr/ ; voir notamment DAOUD, E., LE CORRE, C., « Arrêt Erika : marée verte sur le droit de la responsabilité civile et pénale des compagnies pétrolières », Lamy droit des Affaires, 22 novembre 2012)
[4] https://latribune.avocats.be/le-green-deal-un-pas-de-plus-dans-le-sens-de-la-rse-responsabilite-societale-de-lentreprise/
[5] https://latribune.avocats.be/nouvelles-strategies-europeennes-de-la-ferme-a-la-table-et-sur-la-biodiversite/
[6] Pour prendre un exemple, la « chaine de valeur » d’un avocat ou d’un cabinet d’avocat est composée notamment de ses collaborateurs, de son personnel, du fournisseur de papier, du fournisseur de matériel informatique, du prestataire de services informatiques, de la firme de nettoyage, de son parc automobile (ou de son vélo ou des transports publics), du bâtiment qu’il occupe (et qui consomme de l’énergie – éclairage, chauffage, climatisation…). Tout cela est en effet ce qui lui permet de produire son service juridique. Sa chaine de valeur est composée de ces différents agents auxquels s’ajoutent les clients de l’avocat ou du cabinet.
[7] Voir notamment D. Willermain, « L’intérêt social selon la Cour de cassation: « The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits », RDC, 2014, 855-865 et J.-M. Gollier, « Intérêt social », note sous Cass., 28 novembre 2013, RPS, 2014, 46-63.

A propos de l'auteur

Jean-Marc
Gollier
Président du comité environnement et changement climatique du CCBE

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