« - Si Dieu existe, pourquoi diable s’encombre-t-il de ce régiment de malades mentaux qui vont finir pas détourner de Lui les vrais croyants ?
Malgudi éclate de rire.
- Ta réaction est typique d’un sans-Dieu… »
Un livre d’Alain Berenboom c’est un peu comme un film de Woody Allen. Il y a une histoire légère, amusante. Et puis, subitement, au détour d’une scène qui paraissait anodine, il y a une de ces phrases quasi-définitive qui vous laisse face à vous-même.
« - Au lieu de t’entêter à évoquer le XXe siècle, qui est pourri, parle-leur des hommes des cavernes. Une période, sans guerre, sans gaz ni électricité.
- Ah, tu crois ça ? explose-t-elle. On suppose que les homo sapiens – nos ancêtres directs – ont massacré sans états d’âmes leurs cousins de Neandertal qu’ils considéraient comme des sous-hommes. Le premier génocide de l’histoire moderne en somme. Pas un n’a survécu. Alors qu’il reste quelques Juifs pour témoigner et repasser les plats. A sa demander si la Seconde Guerre mondiale n’a pas été mois violente que la Préhistoire… »
Détrompez-vous, ce livre ne traite nullement de la Shoah, ni d’une guerre quelconque. Alain Berenboom nous conte l’histoire d’un agent immobilier un peu laborieux, chargé par une riche héritière de vendre un ancien cinéma prestigieux, le Crystal Palace. Déjà qu’il s’agit d’une gageure car le monument n’est pas idéalement situé mais, en plus, la dame a ses exigences. Pas à n’importe qui, pas pour faire n’importe quoi. Et en plus, elle a le mauvais goût de ne pas lui accorder l’exclusivité et de lui jeter dans les pattes un de ses ex-associés désormais vendu à une agence multinationale.
[caption id="attachment_3804" align="aligncenter" width="350"] Le rêve de Harry, par Alain BERENBOOM, Bruxelles, Genèse éditions, 2020, 248 pages, 22,5 euros.[/caption]Mais tout cela n’est que prétexte. Ce qu’Alain Berenboom veut nous communiquer c’est son amour du cinéma. Et, donc, nous distiller quelques-unes de ces petites phrases assassines dont il a le secret.
« - Les Juifs ont toujours servi de chiffon rouge. Et qui a gagné ? Le matador ou le taureau ?
- Le bide. La Shoah les a laissés tout à fait indifférents. Même ceux que je classai parmi les probables anti-impérialistes-américano-sionistes-pro-Palestiniens, d’habitude si prompts à s’énerver, m’ont supplié de laisser tomber. La nouvelle génération ne conteste plus la Shoah, elle la laisse indifférente. Grace aux jeux vidéo, les horreurs de la guerre n’impressionnent plus ces petits monstres. Et la réalité ne suscite plus que l’ennui… »
Il y a 43 chapitres dans cet ouvrage. Et tous portent le titre d’un film. Toujours un classique. Mais parfois relativement récent (de ce siècle, quoi). Hommage à un art en voie de disparition ? Espérons que non. Un art en pleine mutation en tout cas. Une période qui ne reviendra pas. Comme le Crystal Palace, voué à une inéluctable destruction.
Il n’est pas obligatoire d’aimer le cinéma pour lire ce livre. Mais, franchement, cela aide. Quel délice de découvrir, un à un, ces 43 chefs d’œuvre, de goûter leur saveur, souvent désuète. Le vieux style…
« - Je te trouve bien sarcastique. Je croyais que tu enseignais l’Histoire ?
- C’est la mythologie qui se nourrit de vengeance, Michaël, pas l’Histoire. »
Ah Alain, cela, je n’en suis pas sûr du tout.
Patrick Henry,
Ancien Président