De la jurisprudence européenne pour tous

Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel il s’adresse.

Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).

Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.

Stéphane Boonen,
Administrateur

Relevé dans L’Europe en bref n°992 du 25 novembre au 1er décembre 2022
L’Europe en bref n°993 du 2 au 8 décembre 2022
L’Europe en bref n°994 du 9 décembre 2022 au 19 janvier 2023
L’Europe en bref n°995 du 13 au 19 janvier 2023
L’Europe en bref n°996 du 20 janvier au 26 janvier 2023
L’Europe en bref n°997 du 27 janvier au 2 février 2023
L’Europe en bref n°998 du 02 au 09 février 2023
L’Europe en bref n°999 du 10 au 16 février 2023 
L’Europe en bref n°1000 du 17 février au 2 mars 2023
L’Europe en bref n°1001 du 3 au 16 mars 2023


Demandes de mesures provisoires à l’égard de la Fédération de Russie après son retrait de la Convention 

Une mesure provisoire dans une affaire concernant des enfants placés dans des structures d’accueil en Crimée ne peut être accordée, la demande se rapportant à des faits ultérieurs à la date à laquelle la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention (15 février)

Décision V.V.K. e.a. c. Russie, requête n°6719/23

L’article 39 du Règlement de la Cour EDH permet, dans un contexte particulier d’urgence, de prendre des mesures exceptionnelles si les requérants sont exposés à un risque réel et imminent de dommages irréparables. En l’espèce, les représentants légaux des requérants, 10 mineurs pupilles de l’Etat ukrainien vivant en 2014 dans des structures d’accueil en Crimée, craignaient, depuis la revendication par la Fédération de Russie de sa juridiction sur la Crimée, que celle-ci ne facilite leur adoption en leur imposant notamment la nationalité russe. En effet, dans leur requête tendant à l’indication de mesures provisoires déposée le 8 février 2023, les représentants soutenaient que les noms et photographies des enfants avaient été publiés sur des sites Internet russes et que certains auraient disparu, préjugeant de leur adoption récente ou future. Ils soutenaient ainsi une violation de leur droit au respect de la vie privée garanti à l’article 8 de la Convention. Toutefois, la Cour EDH rejette la demande car elle se rapporte à des faits ultérieurs au 16 septembre 2022, date à laquelle la Fédération de Russie a cessé d’être Partie à la Convention et où elle s’est vue déliée de ses obligations.

 
Violation de la Convention par la Fédération de Russie avant son retrait – recevabilité partielle

Les griefs allégués par le gouvernement ukrainien et néerlandais relatifs aux évènements survenus dans le Donbass depuis 2014, notamment le crash du vol MH17 et des enlèvements d’enfants, sont déclarés partiellement recevables (25 janvier)

Décision Ukraine et Pays-Bas c. Russie (Grande Chambre), requêtes n°8019/16, 43800/14 et 2825/20

A titre liminaire, la Cour EDH rappelle que la Fédération de Russie n’est pas déliée de ses obligations contenues dans la Convention concernant tous les faits accomplis avant le 16 septembre 2022, date de sa cessation de Partie à la Convention de sorte qu’elle est compétente pour examiner la présente affaire. Dans un 1er temps, elle analyse si les griefs invoqués par les requérants survenus en Ukraine relèvent bien de la juridiction russe. En l’espèce, la Fédération de Russie exerçait un contrôle effectif sur toutes les zones qui se trouvaient aux mains des séparatistes. En outre, elle a exercé une influence significative sur leur stratégie militaire, et leur a livré des armes et autres types de matériel militaire, tout en leur fournissant un soutien politique et économique. Dans un 2ème temps, la Cour EDH considère qu’il existe des éléments suffisants pour satisfaire le critère de la preuve requis au stade de la recevabilité concernant des griefs de pratiques administratives contraires à un certain nombre d’articles de la Convention, et elle déclare recevables la majorité des griefs formulés par le gouvernement ukrainien. De la même manière, le critère de la preuve aux fins de la recevabilité est atteint concernant les griefs présentés par le gouvernement des Pays-Bas relativement à la destruction de l’appareil qui assurait le vol MH17, et ces griefs sont par conséquent déclarés recevables eux aussi. Dans un 3ème temps, s’agissant des allégations de violations individuelles dont les incidents seraient à l’origine, la Cour EDH considère que le gouvernement ukrainien n’a pas démontré que les recours ouverts en Fédération de Russie n’avaient aucune chance d’aboutir. Par conséquent, les griefs individuels sont déclarés irrecevables. 

 
Violation de la Convention par la Fédération de Russie avant son retrait – recevabilité 

La Cour EDH est compétente pour traiter les requêtes dirigées contre la Fédération de Russie concernant les actions et omissions susceptibles de constituer une violation de la Convention qui surviendrait avant la date à laquelle elle n’est plus partie à la Convention (24 janvier)

Arrêts Kutayev c. Russie et Svetova c. Russie, requêtes n°17912/15 et n°54714/17

D’une part, dans la 1ère affaire, la Cour EDH constate que le Gouvernement de la Fédération de Russie s’est servie d’aveux obtenus sous la torture, et faisant suite à une arrestation et à une détention ne poursuivant aucun but légitime. Partant, elle conclut à la violation des articles 3, 5 §1, 6 et 18 de la Convention. D'autre part, dans la 2nd affaire, la Cour EDH considère que le caractère général des mesures invoquées lors de la perquisition ne permet ni au Gouvernement de justifier la révélation des sources journalistiques, ni aux requérants d’obtenir un contrôle effectif de la légalité de la saisie-perquisition. Partant, elle conclut à la violation des articles 8, 10 et 13 de la Convention. Par ailleurs, la Cour EDH rappelle que l’article 58 de la Convention prévoit que l’Etat qui cesse d’être partie à la Convention, dès lors qu’il a cessé d’être membre du Conseil de l’Europe, n’est pas délié des obligations contenues dans la Convention en ce qui concerne tout fait accompli par cet État antérieurement à la date à laquelle il n’est plus partie à la Convention. Ainsi, elle se déclare compétente pour ces 2 affaires, les faits à l’origine des violations alléguées étant antérieurs au 16 septembre 2022, date à laquelle la Fédération de Russie a cessé d’être une Haute Partie Contractante à la Convention.

 
Enquête insuffisante pour identifier les auteurs d’une agression - violation

L’enquête insuffisante menée par la Fédération de Russie ne permettant pas d’identifier les auteurs et le mobile à l’origine de l’agression de membres de Greenpeace, constitue une violation de l’article 3 de la Convention (31 janvier)

Arrêt Kreyndlin et autres c. Russie, requête n°33470/18

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle qu’une simple menace suffisamment réelle et immédiate peut relever du champ d’application de l’article 3 de la Convention. En l’espèce, l’agression est suffisamment grave pour avoir fait naître chez les requérants un sentiment d’insécurité et de peur. Dans un 2nd temps, elle ajoute que cet article impose aux autorités nationales de mettre en œuvre une enquête effective pouvant permettre d’établir l’identité des responsables. En outre, dans le cadre d’incidents violents, une exigence supplémentaire est attendue, à savoir la prise de mesures raisonnables pour démasquer tout motif de partialité dans la commission des actes. Dès lors, la Cour EDH estime que l’enquête était insuffisante puisqu’aucun effort réel n’a été fait pour identifier les agresseurs, aucune mesure n’a été prise afin de rechercher si un mobile de haine a joué un rôle dans l’agression et elle n’a pas été à même de décourager de futurs méfaits de cette nature. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 lu en combinaison avec l’article 14 de la Convention et également à la violation de l’article 38 de la Convention pour ne pas avoir produit une copie de l’intégralité du dossier d’enquête. 

 
Absence d’enquête suite à une opération ayant causé la mort d’une personne - violation

L’absence d’enquête effective et approfondie sur les circonstances de l’opération d’arrestation antiterroriste ayant causé la mort d’une personne est une violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural (19 janvier)

Arrêt Machalikashvili e.a c. Géorgie, requête n°32245/19

Dans un 1er temps, la Cour EDH constate plusieurs lacunes dans la procédure, en particulier l’enquête initiale conduite pour enquêter sur les circonstances de l’opération d’arrestation. Elle note des manquements dans la manière dont des éléments de preuve importants ont été recueillis et traités, un examen superficiel de la phase de planification et de contrôle de l’opération, le retard de 20 mois dans l’audition des agents impliqués et le refus d’octroi de la qualité de victime au père de la personne décédée, ce qui a empêché la famille de faire appel de la décision par laquelle le parquet avait clos l’enquête. Dès lors, la Cour EDH considère que les autorités n’ont pas satisfait aux exigences d’une enquête effective et approfondie, contrairement à ce qui est prescrit par la Convention. Dans un 2ndtemps, elle note que le proche des requérants soupçonné d’apporter un soutien matériel à un groupe associé à l’Etat islamique est décédé à l’hôpital après avoir été abattu alors qu’il aurait tenté de faire exploser une grenade au cours de l’arrestation. Or, la Cour EDH juge qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure, au-delà de tout doute raisonnable, qu’il est décédé dans des circonstances engageant la responsabilité de l’Etat. Partant, elle conclut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural et à la non-violation dudit article sous son volet matériel

 
Protection des lanceurs d’alerte - violation

L’auteur d’une divulgation portant sur des informations confidentielles obtenues dans le cadre d’une relation professionnelle peut bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention (14 février)

Arrêt Halet c. Luxembourg (Grande chambre), requête n°21884/18 

La Cour EDH rappelle que les lanceurs d’alerte bénéficient d’un droit à la liberté d’expression qui doit être examiné à la lumière de l’existence d’une relation de travail. Dans un 1er temps, elle utilise la grille de contrôle définie dans sa jurisprudence antérieure et précise qu’elle applique ces critères en tenant compte de la place occupée par les lanceurs d’alerte dans le contexte européen et international actuel, bien qu’elle s’abstienne de définir cette notion. Ainsi, la Cour EDH considère en l’espèce que la saisine des médias par le requérant était justifiée, que les informations divulguées étaient authentiques et d’intérêt public, que le requérant était de bonne foi et que le préjudice subi par l’employeur n’est pas avéré sur le long terme. Dans un 2nd temps, elle procède à la mise en balance des intérêts en jeu. La Cour EDH considère que l’intérêt public attaché à la divulgation de ces informations l’emporte en l’espèce sur l’ensemble de ses effets dommageables et que la condamnation pénale du requérant était disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. 

 
Motivation d’une décisions de mise sur écoute – question préjudicielle

Une décision d’autorisation de mise sur écoute ne viole pas l’obligation de motivation lorsqu’elle se fonde sur une demande détaillée et circonstanciée de l’autorité pénale compétente (16 février)

Arrêt HYA e.a. (Motivation des autorisations des écoutes téléphoniques), aff. C-349/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Spetsializiran nakazatelen sad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne estime qu’il n’est pas nécessaire que l’autorisation de mise sur écoute contienne une motivation spécifique et détaillée, lorsque la demande de l’autorité pénale compétente contient déjà une telle motivation, conformément à la législation nationale. En outre, elle précise qu’après information faite à l’intéressé qu’il a été mis sur écoute, la Charte des droits fondamentaux de l’Union impose que la personne intéressée, ainsi que le juge du fond chargé de vérifier la légalité de l’autorisation, soient en mesure de comprendre les motifs de l’autorisation. Cela implique que, par une lecture croisée de l’autorisation et de la demande motivée, ces personnes aient connaissance des raisons précises de l’autorisation, au regard des éléments factuels et juridiques. Ainsi, la Cour précise que la décision d’autorisation doit faire état de toutes les informations nécessaires, sans se limiter à une indication de la durée de validité de l’autorisation et à une déclaration de respect des dispositions légales. 

 
Liberté d’expression – décision de justice ordonnant un correctif – non violation

La décision de justice ordonnant la publication d’un correctif à un article de presse concernant les liens supposés entre un responsable d’un parti politique et la disparition des avoirs ne constitue pas une violation de la Convention (17 janvier)

Arrêt Axel Springer SE c. Allemagne, requête n°8964/18

La Cour EDH rappelle que pour déterminer si l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression est une violation de la Convention, il convient d'en ménager un juste équilibre avec le droit au respect de la vie privée. Elle ajoute que la notification d’allégations non vérifiées à la personne concernée ne permet pas à la presse de les publier et n’empêche pas celle-ci d’avoir un droit de réponse. En l’espèce, la Cour EDH observe que la cour d’appel a examiné le contenu de l’article et conclut que le droit de réponse sollicité était suffisamment pertinent et rattaché à celui-ci. En outre, elle constate que la cour d’appel a ordonné que le rectificatif figure à la page portant le même numéro que celle de l'article initial et elle a refusé la demande tendant à le publier en première page du journal. Par ailleurs, la Cour EDH note que les éléments fournis par la personne visée sur ses liens avec le parti au pouvoir dans l’ancienne République démocratique allemande n’étaient pas disproportionnés. Ainsi, elle considère que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique, en répondant à un besoin social impérieux et en étant proportionnée, pertinente et justifiée. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention

 
Liberté d’expression – sanctions pécuniaires imposées par le CSA – non violation 

Les sanctions pécuniaires imposées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (« CSA ») à une chaîne de télévision après la diffusion de séquences attentatoires à l’image des femmes et stigmatisant les personnes homosexuelles ne constituent pas une violation de la Convention (9 février)

Arrêt C8 (Canal 8) c. France, requêtes n°58951/18 et n°1308/19

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégées par l’article 10 de la Convention. Dès lors, elle doit déterminer si les ingérences dans l’exercice du droit à la liberté d’expression étaient prévues par la loi, inspirées par un ou des buts légitimes et nécessaires dans une société démocratique pour les atteindre. A cet égard, la Cour EDH précise que la marge d’appréciation des Etats est élargie en l’absence de contribution ou de participation à un débat d’intérêt général. En l’espèce, les séquences télévisuelles en question n’étaient porteuses d’aucune information, opinion ou idée d’intérêt général et s’inscrivaient dans le cadre d’une émission de pur divertissement ayant pour but commercial d’attirer le plus large public possible. En outre, elle observe qu’elles ont été filmées dans une émission qui rencontre un écho particulier auprès du jeune public. Elle juge dès lors que les sanctions du CSA ont été prises sur la base de motifs pertinents et suffisants, à savoir des manquements multipliés aux obligations déontologiques de la chaîne malgré les mises en demeure, le caractère attentatoire à l’image des femmes, la nature stigmatisante et l’atteinte à la vie privée des personnes homosexuelles des séquences. Dans un 2nd temps, la Cour EDH admet la sévérité des sanctions imposées mais reconnait leur nature pécuniaire particulièrement adaptée aux comportements réprimés dont l’objet est purement commercial. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. 

 
Restriction d’un recueil de contes pour enfants - stigmatisation des relations homosexuelles  - violation

L’absence de but légitime propre à justifier la suspension temporaire de la distribution d’un recueil de contes pour enfants qui mettait en scène des couples homosexuels et l’apposition ultérieure sur ce livre d’un étiquetage le présentant comme nuisible pour les enfants de moins de quatorze ans constitue une violation de la Convention (23 janvier)

Arrêt Macaté c. Lituanie (Grande Chambre), requête n° 61435/19

Dans un 1er temps, la Cour EDH juge que les mesures adoptées par l’Université sont imputables à l’Etat puisqu’il s’agit d’un organisme public dont les décisions résultent de la législation nationale et qu’elles ont été examinées et validées par les juridictions  nationales. En l’espèce, la décision d’apposition d’un étiquetage sur les livres a entrainé une réduction du lectorat et a porté atteinte à la réputation professionnelle de l’auteure. Dans un 2nd temps, la Cour EDH rappelle que les mesures litigieuses ont une base en droit lituanien censée protéger les mineurs contre les effets nuisibles des contenus publics. Toutefois, de telles dispositions doivent poursuivre un but légitime au regard de la Convention. A cet égard, elle soulève que les écrits de la requérante ne suggèrent pas que le but visé de son conte était de promouvoir les familles homosexuelles au détriment des familles hétérosexuelles. La Cour EDH ajoute qu’une restriction dans l’accès des enfants à des contenus relatifs aux relations homosexuelles, sans indiquer les raisons pour lesquelles ils pourraient être nuisibles ou inappropriés, démontre une préférence des autorités à un certain type de relation contribuant à la persistance de la stigmatisation des relations homosexuelles. Partant, elle conclut à l’incompatibilité de ces restrictions avec les notions d’égalité, de pluralisme et de tolérance nécessaires à une société démocratique en violation de l’article 10 de la Convention.

 
Refus de changement de nom pour préserver l’intérêt public - non violation

Le refus motivé de l’administration belge et dûment contrôlé par la juridiction suprême de changer le patronyme de 2 requérants afin de préserver l’intérêt public de la fixité du nom dans l’ordre social, ne constitue pas une violation de l’article 8 de la Convention (7 février) 

Arrêt Jacquinet et Embarek Ben Mohamed c. Belgique, requête n°61860/15

A titre liminaire, la Cour EDH rappelle que le nom appartient au noyau dur des considérations relatives à l’article 8 de la Convention, à savoir le droit au respect de la vie privée et familiale. Toutefois, elle indique qu’une telle disposition ne garantit pas un droit inconditionnel de changer de nom de sorte que les Etats disposent d’une large marge d’appréciation pour règlementer cette procédure. Dans un 1er temps, la Cour EDH admet qu’il est d’intérêt public de garantir la stabilité du nom de famille en vue de garantir la sécurité juridique des rapports sociaux. En l’espèce, la dérogation à l’intérêt public de fixité du nom en droit belge constitue une mesure exceptionnelle et les autorités administratives se fondent sur les motifs invoqués dans la demande pour fonder leur décision. Dans un 2nd temps, elle précise que l’article 8 de la Convention impose à la juridiction nationale de contrôler si l’autorité administrative ayant refusé une demande de changement de nom a procédé à une mise en balance réelle et suffisante. Dès lors, les juridictions belges ont jugé que les requérants n’avaient pas suffisamment indiqué les aspects identitaires de leurs demandes qui auraient permis de justifier une exception au principe de sécurité juridique. Cette décision a été soumise à 2 avis et un contrôle motivés après l’enquête. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. 

 
Refus d’utilisation d’une langue officielle par un avocat – violation

La conduite injustifiée d’un juge ayant empêché un avocat de s’exprimer en ijékavien alors qu’il avait autorisé l’emploi de l’ékavien et que ces 2 variantes de la langue serbe jouissaient du même statut officiel est une violation de la Convention (7 février)

Arrêt Paun Jovanović c. Serbie, requête n°41394/15 

La Cour EDH rappelle que si l'article 14 de la Convention interdit toute discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans la Convention, l'article 1 du Protocole n°12 introduit une interdiction générale de la discrimination. Dans un 1er temps, elle examine en l’espèce si le requérant, avocat employant la langue serbe ijékavienne, a subi une discrimination de la part du magistrat en raison de la manière dont il a été traité par rapport à un avocat utilisant la langue serbe ékavienne. La Cour EDH considère que le requérant a été traité différemment de l’autre avocat se trouvant dans une situation analogue et qu'aucune raison objective et raisonnable ne justifiait un tel traitement. Dans un 2nd temps, elle constate que la Cour constitutionnelle a refusé de traiter le recours du requérant sans préciser dans quelle mesure les conditions préalables au traitement de ce recours n'avaient pas été remplies. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 1 du Protocole n°12 et de l’article 6 §1 de la Convention.

 
Honoraires d’avocat – informations préalables – question préjudicielle

Une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur qui fixe le prix selon le principe du tarif horaire, sans comporter d’autres précisions, n’est pas suffisamment claire et compréhensible (12 janvier)

Arrêt D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), aff. C-395/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie), la Cour de justice de l’Union européenne a donné des indications quant aux clauses contractuelles de fixation d’honoraires conclues par les avocats. Dans un 1er temps, la Cour considère qu’une clause d’un contrat de prestation de services juridiques, conclu entre un avocat et un consommateur, qui fixe le prix des services fournis selon le principe du tarif horaire, entre dans la notion d’« objet principal du contrat ». Rappelant que ce type de clause doit être clair et compréhensible au sens de la directive 93/13/CEE, la Cour juge dans un 2ème temps que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, le contrat de prestation de service qui fixe le prix selon le principe du tarif horaire doit permettre au consommateur d’évaluer les conséquences économiques qui en découlent pour lui. Or, la clause qui se borne, sans autre précision, à indiquer la fixation du prix selon le tarif horaire, ne répond pas à cette exigence et constitue une clause abusive au sens de ladite directive. Le juge national peut rétablir la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence d’une clause abusive en laissant le professionnel sans rémunération pour les services fournis.

 
Matière fiscale - secret professionnel de l’avocat – question préjudicielle

L’obligation imposée à l’avocat, intermédiaire d’une planification fiscale transfrontière potentiellement agressive, de notifier sa dispense de déclaration à tout autre intermédiaire, porte atteinte à la protection du secret professionnel et n’est pas justifiée (8 décembre)

Arrêt Orde van Vlamse Balies e.a. (Grande chambre), aff. C-694/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Grondwettelijk Hof (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, est amenée à se prononcer sur la compatibilité du régime de déclaration par un avocat de montages fiscaux transfrontières avec les articles 7 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Le régime en cause prévoit que l’avocat intermédiaire d’un tel dispositif, tenu par son secret professionnel, peut être dispensé de cette déclaration, à condition de notifier tout autre intermédiaire, ou à défaut le contribuable concerné, de l’existence de cette dispense et des obligations de déclarations qui incombent à cet autre intermédiaire. Dans un 1er temps, la Cour considère qu’il n’y a pas de violation de l’article 47 de la Charte, en ce que cette obligation de notification est déconnectée de tout lien avec une procédure judiciaire. Dans un 2ème temps, elle constate que la notification des autres intermédiaires a pour conséquence que ceux-ci prennent connaissance de l’identité de l’avocat et de son analyse du montage fiscal à laquelle il participe. Dès lors, cette obligation porte atteinte à la protection renforcée des échanges entre l’avocat et son client prévue à l’article 7 de la Charte. Dans un 3ème temps, la Cour juge que cette restriction n’est pas justifiée, dans la mesure où elle n’est pas limitée à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général de lutte contre l’évasion fiscale poursuivi par la directive 2011/16/UE. Par conséquent, la Cour déclare cette disposition invalide au regard des droits protégés par la Charte. 

 
Refus d’indiquer le genre intersexué – sécurité des actes de l’état civil – non violation

Le refus des autorités nationales d’inscrire la mention neutre ou intersexe sur l’acte de naissance d’une personne intersexuée à la place de la mention masculin ne constitue pas une violation de la Convention (31 janvier)

Arrêt Y. c. France, requête n°76888/17

La Cour EDH rappelle que le droit à l’identité sexuelle et à l’épanouissement personnel est un aspect fondamental du droit au respect de la vie privée consacré à l’article 8 de la Convention. En l’espèce, elle relève que la discordance entre l’identité biologique du requérant et son identité juridique est de nature à provoquer chez lui souffrance et anxiété. Toutefois, mettant en balance l’intérêt général et les intérêts de celui-ci, la Cour EDH considère que les motifs tirés du respect du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et de la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français, avancés par les autorités nationales, sont pertinents. En effet, elle souligne que la reconnaissance par le juge d’un sexe neutre entraînerait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination. Or, en l’absence de consensus européen sur cette question, qui relève d’un choix de société, il revient à l’Etat de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, tout en tenant compte de leur difficulté au regard du respect de leur vie privée. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention en considérant que l’Etat défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée. 

 

Refus de protection des couples de même sexe – violation

Le refus de la Fédération de Russie de reconnaître et de protéger juridiquement les couples de même sexe constitue une violation de l’article 8 de la Convention (17 janvier)

Arrêt Fedotova e.a c. Russie (Grande chambre), requêtes n°40792/10, n°30538/14 et n°43439/10

La Cour EDH souligne que permettre aux couples de même sexe de bénéficier d’une reconnaissance et d’une protection juridiques sert incontestablement les valeurs de pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture en ce qu’elles confèrent une légitimité à ces couples et favorisent leur inclusion dans la société, sans égard à l’orientation sexuelle des personnes qui la composent. Elle ajoute que la société démocratique au sens de la Convention rejette toutes stigmatisations fondées sur l’orientation sexuelle, celle-ci ayant pour socle l’égale dignité des individus et qu’elle se nourrit de la diversité qu’elle perçoit comme une richesse et non comme une menace. Ainsi, la Cour EDH rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que l’article 8 doit être interprété comme imposant, à un Etat partie, la reconnaissance et la protection juridiques des couples de même sexe par la mise en place d’un cadre juridique spécifique. Cette position est également consolidée par les positions convergentes de plusieurs organes internationaux. En l’espèce, elle observe que le droit russe ne prévoit aucune possibilité de reconnaissance juridique des couples de même sexe, indépendamment de la forme que cette reconnaissance revêt et que l’Etat n’a pas l’intention de modifier son droit interne. La Cour EDH écarte l’argument du gouvernement selon lequel la majorité des Russes désapprouvent l’homosexualité, en réaffirmant que la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.  

 
Réouverture d’une enquête pour propos homophobes – non violation

La réouverture d’une enquête pour propos homophobes par les autorités lituaniennes démontre un changement dans la répression de ces délits, même si elle n’aboutit pas à une condamnation, et ne constitue pas une violation de l’article 13 de la Convention (17 janvier)

Arrêt Valaitis c. Lituanie, requête n°39375/19

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que l’article 13 de la Convention exige la mise en place, par les autorités nationales, d’un recours interne apte à traiter le fond du grief et d’accorder une réparation appropriée. En l’espèce, la Lituanie avait déjà été condamnée dans une affaire très similaire pour violation de cet article car les requérants s’étaient vu priver de toute voie de recours effective pour demander réparation à la suite de propos discriminatoires. Cependant, elle relève que depuis le prononcé de cet arrêt, les juridictions lituaniennes ont réexaminé de nombreuses décisions procédurales en la matière, que de nouvelles mesures multiformes ont été prises et qu’il existe désormais, à tous les niveaux de juridictions, un recours interne effectif pour connaître des plaintes pour homophobie. Toutefois, dans un 2nd temps, la Cour EDH précise que l’obligation qui incombe aux Etats de mener une procédure effective est une obligation de moyens et non de résultat. Dès lors, le fait que la réouverture des enquêtes n’ait pas abouti à une condamnation ne peut pas être un motif pour conclure à leur ineffectivité. En effet, elle souligne le changement d’attitude clair et positif dans la répression des discours de haine contre les minorités sexuelles et qu’aucune attitude discriminatoire des autorités lituaniennes n’a été constatée pendant l’enquête. Partant, la Cour EDH juge que les autorités ont tiré les conclusions nécessaires de l’arrêt précédent et conclut à la non-violation de l’article 13 de la Convention.

 
Examen d’un acte d’appel sans joindre la procuration - violation

La déclaration d’irrecevabilité de l’acte d’appel, déposé par procuration, se bornant à examiner uniquement l’acte alors que la procuration n’avait pas été jointe par le greffier, constitue une violation du droit d’accès à un tribunal (2 février)

Arrêt Rocchia c. France, requête n 74530/17

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que le droit d’accès à un tribunal protégé par l’article 6 §1 de la Convention peut être limité par des conditions procédurales tant qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En l’espèce, l’article 502 du Code de procédure pénale français prévoit que la déclaration d’appel doit être déposée au greffe par l’appelant lui-même, un avocat, ou par un fondé de pouvoir spécial. Elle relève qu’une telle disposition est de nature à garantir la sécurité juridique. Dans un 2nd temps, la Cour EDH note que la procuration fournie avec l’acte d’appel peut être qualifiée de pouvoir spécial si elle répond aux exigences prévues par la législation nationale. Toutefois, le greffier n’ayant pas annexé ladite procuration à l’acte d’appel, la juridiction d’appel a examiné la recevabilité de l’acte uniquement sur la base de celui-ci, conformément à la jurisprudence nationale applicable. Ainsi, la requérante n’a pas pu prouver l’existence d’un pouvoir spécial par d’autres moyens. Partant, elle juge qu’en déclarant l’appel irrecevable, les juridictions internes ont fait peser sur la requérante une charge disproportionnée rompant l’équilibre entre le but légitime d’assurer le respect de la bonne administration de la justice et le droit d’accès au juge, violant ainsi l’article 6 §1 de la Convention. 

 
Mandat d’arrêt européen – question préjudicelle

Le défaut de compétence de la juridiction appelée à juger la personne recherchée dans l’Etat membre d’émission ne constitue pas, en principe, un motif de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (« MAE ») (31 janvier)

Arrêt Puig Gordi e.a. (Grande chambre), aff. C-158/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunal Supremo (Espagne), la Cour de justice de l’Union européenne juge, dans un 1er temps, que l’autorité judiciaire ne peut en principe pas refuser d’exécuter un MAE en se fondant sur un motif de non-exécution qui procède du seul droit de l’Etat membre d’exécution, au risque de priver la décision-cadre 2002/584/JAI de son effet utile. Elle considère en outre que l’autorité requise ne peut pas non plus vérifier si un MAE a été émis par une autorité judiciaire qui était compétente à cette fin en vertu de son droit national et refuser de l’exécuter sur ce fondement. Dans un 2nd temps, et par exception, elle admet néanmoins que l’autorité requise puisse refuser de l’exécuter lorsque la personne recherchée allègue que sa remise à l’Etat membre d’émission l’exposera à une violation de son droit fondamental à un procès équitable, en ce qu’elle y serait jugée par une juridiction dépourvue de compétence. En pareil cas, l’autorité requise doit apprécier le bien-fondé de cette allégation et ne peut refuser d’exécuter le MAE que si elle constate des défaillances systémiques ou généralisées affectant le système juridictionnel de l’Etat émetteur du MAE ainsi qu’un défaut manifeste de compétence de la juridiction appelée à juger la personne recherchée dans ledit Etat membre. 

 
Collecte systématique des données biométriques de toute personne mise en examen - violation

La collecte systématique des données biométriques et génétiques de toute personne mise en examen aux fins de leur enregistrement policier est contraire à la protection accrue des données personnelles sensibles (26 janvier)

Arrêt Ministerstvo na vatreshnite raboti (Enregistrement de données biométriques et génétiques par la police), aff C-205/21

Dans un 1er temps, la Cour de justice de l’Union européenne considère que, ni la directive 2016/680 relative à la protection des personnes physiques quant aux traitements de leurs données à caractère personnel dans le cadre de procédure pénales, ni la Charte des droits fondamentaux de l’Union ne s’opposent à ce que le droit national permette à une juridiction pénale d’imposer une mesure forcée de collecte de données, lorsqu’une personne mise en examen pour une infraction intentionnelle poursuivie d’office refuse de coopérer. Dans un 2nd temps, la Cour rejette néanmoins la systématisation de la collecte des données pour toutes les personnes mises en examen pour cette catégorie d’infraction. Considérant celle-ci particulièrement générale, elle pourrait conduire à une collecte des données sensibles pour la plupart des personnes mises en examen indépendamment, notamment, de la nature, de la gravité et des circonstances particulières de l’infraction. Ainsi, la Cour juge que l’autorité compétente doit vérifier, d’une part, que la collecte est absolument nécessaire à l’atteinte des objectifs poursuivis et, d’autre part, que ces objectifs ne peuvent pas être atteints par des mesures constituant une ingérence de moindre gravité pour les droits et les libertés de la personne concernée.

 
Condamnation pénale contraire au droit de l’Union - violation

La condamnation pénale, contraire au droit de l’Union européenne, pour pêche illicite d’un propriétaire de navire constitue une violation de l’article 6 §1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n°1 (6 décembre) 

Arrêt Spasov c. Roumanie, requête n°27122/14

Dans un 1er temps, la Cour EDH, rappelle, au regard du principe de primauté du droit de l’Union, qu’un règlement, contrairement à une directive, est obligatoire et d’effet direct. Dès lors, une telle disposition l’emporte sur le droit national contraire. En l’espèce, elle observe que le règlement (CE) n°2371/2002 est applicable au litige et que la Commission avait clairement indiqué que la législation nationale roumaine lui était contraire. De plus, cette position avait été communiquée avant que la cour d’appel ne rende un arrêt définitif de condamnation. Dès lors, la Cour EDH juge que la juridiction nationale, en condamnant le requérant sur la base du droit interne contraire au droit de l’Union, a commis une erreur de droit manifeste, constitutive d’un déni de justice, et violant ainsi l’article 6 §1 de la Convention. Dans un 2nd temps, elle indique que la base légale de la décision de sanction pécuniaire complémentaire infligée au requérant était contraire au droit de l’Union, conformément à ce qu’elle a déclaré précédemment concernant la poursuite pénale. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 1 du Protocole n°1 et de l’article 6 §1 de la Convention. 

 
Interdiction du droit de voter pour des détenus condamnés pour des crimes graves – non violation

L’interdiction générale de voter pour les détenus condamnés à perpétuité pour des crimes graves ne constitue pas une violation de l’article 3 du Protocole n°1 à la Convention (6 décembre)

Arrêt Kalda c. Estonie (n°2), requête n°14581/20

La Cour EDH rappelle que le droit de vote est fondamental pour le maintien d’une démocratie, le suffrage universel étant désormais le principe de référence. Toutefois, compte tenu des différences historiques, politiques et culturelles entre les Etats membres, elle ajoute que l’étendue de son organisation est laissée à leur libre appréciation. La Cour EDH observe que le requérant, un détenu purgeant une peine d'emprisonnement pour divers crimes graves, a été empêché de voter aux élections européennes de 2019. Or, elle relève que les juridictions estoniennes ont méticuleusement examiné les circonstances de l’espèce, notamment la gravité et le nombre de crimes que le requérant a commis, son comportement criminel en milieu carcéral ainsi que sa peine à perpétuité. Elle considère ainsi que les tribunaux n'ont pas outrepassé la latitude qui leur a été laissée lorsqu’ils ont examiné l'interdiction de voter faite au requérant et jugé celle-ci proportionnée. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 3 du Protocole n°1 à la Convention. 

 
Assignation à résidence préventive – absence de violation

L’assignation à résidence préventive d’un islamiste radicalisé durant 13 mois lors de l’état d’urgence à la suite des attentats terroristes, entourée de garanties procédurales suffisantes, n’est pas contraire à la Convention (19 janvier)

Arrêt Pagerie c. France, requête n°24203/16

A titre liminaire, la Cour EDH souligne qu’il lui revient de tenir compte du contexte particulier dans lequel s’inscrit l’affaire, marqué par la vague d’attentats terroristes commise sur le territoire français à compter de 2015. A cet égard, elle rappelle que la Convention impose aux Etats de concilier la protection de la population avec la garantie effective des droits protégés. La Cour EDH considère tout d’abord que la loi du 3 avril 1955 qui constitue la base légale de l’assignation à résidence est une législation d’exception qui prévoit des garanties adaptées contre les risques d’abus et d’arbitraire. Afin d’évaluer la nécessité de l’ingérence litigieuse, elle observe ensuite que le ministère de l’Intérieur s’est fondé sur un ensemble d’éléments permettant de caractériser un comportement de nature à susciter des raisons sérieuses de penser qu’il constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, dans une perspective de prévention du passage à l’acte terroriste. En outre, la Cour EDH constate que la nécessité de l’assignation à résidence a été réétudiée à 8 reprises par le ministère de l’Intérieur et que l’ensemble des mesures de décisions administratives prises à son encontre ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel avec des garanties procédurales appropriées. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 2 du Protocole n°4. 

 
Impossibilité de poursuivre des délits de violence sexuelle sur mineur en l’absence de plainte – non violation

L’impossibilité de poursuite ex officio du délit de violence sexuelle à l’encontre des mineurs ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention lorsque l’enquête a été menée de manière effective (1 décembre).

Arrêt D.K c. Italie, requête n°14260/17

La Cour EDH rappelle que sa jurisprudence ne s’oppose pas, s’agissant de l’applicabilité de l’article 3 à des actes commis par des particuliers, à ce que la mise en œuvre des poursuites soit subordonnée à un dépôt de plainte dans un délai prévu par la législation applicable. En l’espèce, elle constate d’une part, que les allégations de viol et d’agression sexuelle qu’aurait subies la requérante par un membre de sa famille sont suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. D’autre part, les anciennes dispositions pénales ne permettaient pas d’engager une procédure d’office. Ainsi, la plainte ayant été déposée 15 ans après les faits, à la majorité de la requérante, les autorités ont classé celle-ci au motif qu’elle avait été déposée tardivement. La Cour considère que les autorités d’enquête ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et que celles-ci ont analysé avec soin les éléments dont elles disposaient avant de classer l’affaire. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural.

 
Demandeurs d’asile – refus d’hébergement – violation

Le refus des autorités administratives d’exécuter des ordonnances de référé enjoignant à l’Etat d’héberger en urgence des demandeurs d’asile et leurs enfants constitue une violation de l’article 6 §1 de la Convention (8 décembre)

Arrêt M.K. e.a c. France, requêtes n°34349/18, 34638/18, 35047/18

Dans un 1er temps, la Cour EDH considère que l’octroi ou le refus d’une place en hébergement d’urgence constituait, en l’espèce, un droit civil qui ne saurait être regardé comme une décision relative à l’immigration, à l’entrée, au séjour ou à l’éloignement des étrangers. Elle conclut dès lors que l’article 6 §1 de la Convention est applicable. Dans un 2ème temps, la Cour EDH note que le gouvernement, qui se prévaut d’une saturation des structures d’accueil dans le département, ne démontre pas la complexité de la procédure d’exécution des ordonnances de référé. En effet, la préfecture n’a pas signalé les difficultés à l’administration centrale, ni recherché des hébergements dans d’autres départements. En outre, elle observe que les requérants ont fait preuve d’une diligence particulière afin d’obtenir l’exécution de ces ordonnances. Dans un 3ème temps, la Cour EDH relève que le préfet n’a pas apporté les explications sollicitées par le tribunal en phase administrative d’exécution, ni répondu aux sollicitations des requérants et n’a pas exécuté ces ordonnances avant l’intervention des mesures provisoires prononcées par la Cour à la suite desquelles seulement les requérants ont été hébergés. Ainsi, elle déplore l’entière passivité des autorités administratives compétentes, en particulier pour un litige mettant en cause la dignité humaine de personnes placées dans une situation de particulière vulnérabilité et conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention. 

 
Incendie d’un centre de détention suite à des lacunes dans la fouille de migrants illégaux - violation

Les lacunes dans la surveillance et la fouille de migrants illégaux détenus dans un centre de rétention dans lequel s’est déclaré un incendie n’ont pas permis de protéger suffisamment leur droit à la vie (17 janvier) 

Arrêt Daraibou c. Croatie, requête n°84523/17

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que l’article 2 est l’une des dispositions les plus fondamentales de la Convention et qu’il enjoint aux Etats de prendre les mesures appropriées pour sauvegarder la vie des personnes. En l’espèce, elle observe qu’il y a eu de graves manquements dans la fouille et la surveillance des détenus. En effet, la police est censée prendre certaines précautions élémentaires pour minimiser les risques d’accidents graves à l’égard des personnes placées sous sa garde. Dès lors, les autorités n’ont pas offert une protection suffisante et raisonnable de la vie des personnes détenues. Dans un 2nd temps, la Cour EDH précise qu’en vertu de l’article 2 de la Convention, lorsque des vies ont été perdues dans des circonstances susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat, celui-ci doit assurer par tous les moyens une réponse adéquate afin que toute violation du droit à la vie soit réprimée et sanctionnée. Or, même si l’enquête a démarré rapidement, certaines questions sont restées sans réponse et aucune démarche n’a été faite pour rechercher les lacunes institutionnelles afin d’éviter qu’un tel accident se reproduise. Partant, la Cour EDH conclut à la double violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet matériel et procédural. 

 
Procédure disciplinaire à l’égard d’un juge – non violation

La procédure disciplinaire menée à l’encontre d’un juge soupçonné d’immixtion dans l’activité d’un autre juge et le contrôle juridictionnel subséquent ont respecté les exigences du droit à un procès équitable (17 janvier) 

Arrêt Cotora c. Roumanie, requête n°30745/18

La Cour EDH est amenée à examiner la conformité à l’article 6 §1 de la Convention de la procédure disciplinaire à l’encontre d’un juge devant le Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») et vérifier si le contrôle opéré par la juridiction roumaine à ce propos était suffisant. Elle précise dans un 1er temps qu’elle entend par tribunal  toute juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays, ce qui était le cas du CSM en l’espèce. Dans un 2ème temps, la Cour EDH affirme qu’en l’espèce, aucun élément n’était susceptible de démontrer la partialité des membres du CSM concernés ou de mettre en doute leur indépendance. Dans un 3èmetemps, elle constate que l’appréciation livrée en l’espèce par le CSM n’apparait ni arbitraire, ni manifestement déraisonnable et que la juridiction de contrôle a opéré un examen adéquat. Ainsi, la Cour EDH juge que la procédure devant la section disciplinaire du CSM a satisfait aux exigences de l’article 6 §1 de la Convention et que le contrôle qui en a été fait par la juridiction nationale était suffisant. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 6 §1 Convention. 

 
Liberté d’établissement – question préjudicielle

Le conditionnement du versement d’une subvention publique à une école privée confessionnelle à la reconnaissance par un Etat membre de l’Eglise ou société religieuse qui la soutient peut être justifié et ne restreint pas la liberté d’établissement (2 février)

Arrêt Freikirche der Siebenten-Tags-Adventisten in Deutschland, aff. C-372/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne considère, dans un 1ertemps, que même si les traités européens ne règlent pas la question des rapports des Etats membres avec les Eglises et communautés religieuses, l’activité économique de celles-ci, telle que l’activité d’enseignement financée par des fonds privés, n’est pas par principe soustraite au droit de l’Union. Dans un 2ème temps, la Cour constate que l’exigence de reconnaissance par le droit national d’une Eglise ou d’une société religieuse comme préalable au versement de subventions publiques à une école privée confessionnelle reconnue et soutenue par cette Eglise ou société religieuse constitue une restriction à la liberté d’établissement. En effet, les conditions de cette reconnaissance sont susceptibles d’être remplies plus aisément par les Eglises ou les sociétés religieuses établies dans cet Etat membre, au détriment de celles établies dans d’autres Etats membres. Dans un 3ème temps, la Cour juge cependant que cette restriction poursuit un objectif légitime, en permettant aux parents de choisir librement l’éducation de leurs enfants en fonction de leurs convictions religieuses, et est, en l’espèce, proportionnée à l’atteinte de cet objectif. 

 
Réduction du prix d’un voyage affecté par la pandémie – question préjudicielle

L’organisateur d’un voyage à forfait affecté par les mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19 peut être tenu de fournir une réduction du prix du voyage (12 janvier)

Arrêt FTI Touristik (Voyage à forfait aux îles Canaries), aff. C-396/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Landgericht München I (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne est amenée à interpréter les dispositions de la directive (UE) 2015/2302 relative aux voyages à forfait, dans le contexte de la crise sanitaire mondiale. Dans un 1er temps, la Cour constate que la directive prévoit, en ce qui concerne le droit du voyageur à une réduction du prix, une responsabilité sans faute de l’organisateur, qui ne cède que lorsque l’inexécution du contrat de voyage est imputable au voyageur. Elle ajoute qu’il est donc sans importance à cet égard que les restrictions sanitaires aient été imposées aussi bien sur le lieu de voyage que sur le lieu de résidence permanente du voyageur. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que les non-conformités invoquées constituent effectivement des inexécutions contractuelles. Dans un 2nd temps, elle précise que la réduction de prix doit s’apprécier au regard de la valeur des services non-conformes, lesquels peuvent être explicitement stipulés ou résulter intrinsèquement du but du contrat.

 
Décision d’une équipe médicale de passer outre les directives anticipées du patient – absence de suspension

La décision d’une équipe médicale de passer outre les directives anticipées d’un patient, dans les circonstances particulières de l’espèce, n’est pas caractéristique d’une situation d’urgence avec un risque imminent de dommage irréparable nécessitant de suspendre la décision (2 décembre)

Décision Medmoune c. France, requête n°55026/22 (communiqué de presse)

L’article 39 du règlement de la Cour EDH permet, dans un contexte particulier d’urgence, de prendre des mesures exceptionnelles si le requérant est exposé à un risque réel et imminent de dommages irréparables, sans présager ultérieurement de la recevabilité et du traitement du fond de l’affaire. En l’espèce, la décision médicale d’arrêt des traitements de maintien des fonctions vitales a été déclarée par le Conseil constitutionnel français comme ne contrevenant pas au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à la liberté de conscience. En effet, la législation française prévoit qu’à certaines conditions, l’équipe médicale peut passer outre les directives anticipées du patient si celles-ci paraissent manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation. Dès lors, elle considère que l’absence de toute perspective thérapeutique et la gravité des conséquences médicales pour le patient dans la poursuite des soins susceptibles de constituer une maltraitance ou une obstination déraisonnable justifient cette décision. Partant, la Cour EDH décide de ne pas indiquer de mesures provisoires au gouvernement français. 

 
Gestation pour autrui - impossibilité d’obtenir un lien de filiation - violation

L’impossibilité légale d’obtenir un lien de filiation entre des enfants issus d’une gestation pour autrui (« GPA ») rémunérée et leur mère d’intention ne tient pas compte de l’intérêt supérieur des enfants et constitue dès lors une violation de l’article 8 de la Convention (6 décembre)

Arrêt K.K. e. a. c. Danemark, requête n°25212/21

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que le droit au respect de la vie privée d’un enfant, protégé par l’article 8 de la Convention, implique qu’une législation nationale puisse offrir la possibilité de reconnaître un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA et son parent d’intention. Toutefois, une telle reconnaissance ne doit pas revêtir une forme juridique spécifique telle que l’inscription du nom de la mère sur l’acte de naissance. En l’espèce, les autorités danoises ont refusé l’adoption des enfants par la mère d’intention, conformément à la législation nationale qui interdit l’adoption moyennant rétribution. Dans un 2nd temps, la Cour EDH indique qu’il est primordial de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, réduisant ainsi la marge d’appréciation de l’Etat. Dès lors, les enfants se sont trouvés dans une situation juridique incertaine sans reconnaissance d’un lien de filiation légal et les autorités nationales n’ont pas suffisamment ménagé ces intérêts et celui de la société, à savoir les conséquences négatives de la GPA commerciale. Partant, elle conclut à une violation de l’article 8 de la Convention à l’égard des enfants. Cependant, la Cour EDH ne retient pas de violation de ce même article en ce qui concerne la vie familiale et le respect de la vie privée de la mère, car les enfants n’ont eu aucune difficulté à mener et poursuivre une vie familiale.

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Stéphane
Boonen
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