Pas de quartier ? par Pierre Joxe

En attendant, il y a une enfant maltraitée en France par un droit maltraité. Un droit assez tordu pour qu’elle puisse être expédiée en prison pour un petit larcin, alors que l’ancien président de la République française échappe à toute poursuite pendant des lustres pour des détournements de millions connus et reconnus de tous ! C’est d’ailleurs durant le dernier mandat de ce président, alors qu’il multipliait les manœuvres pour échapper à la justice, qu’a été lancée par un de ses obligés la grande offensive politique contre un prestigieux héritage de la Résistance : l’ordonnance du 2 février 1945 « relative à l’enfance délinquante ».

Pierre Joxe, plusieurs fois ministre (Industrie, Intérieur, Défense) sous François Mitterrand, puis président de la Cour des comptes et membre du Conseil Constitutionnel, a décidé, en 2010, à l’âge de 76 ans, de revêtir la robe d’avocat et de se consacrer à la défense des mineurs.

Il nous livre un témoignage saisissant, commençant par une série de portraits de toute cette jeunesse marginalisée, maltraitée, reléguée dans les oubliettes, désocialisée : petites voleuses, petites frappes, lycéens incendiaires, braqueurs, fugueurs, enfants violés devenus eux-mêmes violeurs, apaches.

Sans se départir d’une profonde admiration pour les travailleurs sociaux qui acceptent de se dévouer pour, de temps à autre, recevoir un regard de reconnaissance, il dénonce une machine qui tourne à vide, sur elle-même. 

Comment ne pas être ému par l’histoire de ces trois jeunes roms surpris alors qu’ils volaient des bricoles. L’ainée a quinze ans. Elle a un bébé de dix-huit mois. Les deux autres ont douze et onze ans. Enfin, on n’en est pas tout à fait sûr, car les renseignements qu’ils communiquent sont peu fiables. Quant à leurs antécédents, comment les connaître ? Ils ont plusieurs alias, jusqu’à (au moins) sept pour l’aînée… Après quelques heures de palabres, d’auditions, la juge décide de renvoyer l’aînée auprès de son bébé et de placer les deux autres dans un foyer d’accueil. Une éducatrice a été chargée de les y convoyer. A peine y est-elle arrivée, que les deux mômes « giclent » et s’évanouissent dans la nature. Mais elle ne revient pas découragée. Au moins auront-ils appris (enfin entendu) que leur place n’était pas dans la rue mais à l’école. Maigre satisfaction…

Dans une seconde partie, l’auteur nous conte comment on en est arrivé là. De l’ordonnance de De Gaulle du 2 février 1945, qui, marquée par l’esprit de la libération, instaurait un régime protectionnel, mettait en avant l’éducation des enfants en danger, la privilégiant sur la répression, en passant par une seconde ordonnance du 23 décembre 1958, alors que le général occupait, de façon passagère, l’hôtel Matignon, à une entreprise de déconstruction en règle, orchestrée par le parti qui se réclame de lui, à partir de 2002.

Il est vrai que, dans d’autres pays, et spécialement aux Etats-Unis, tout n’est pas plus rose. D’où le titre de l’ouvrage, emprunté à la Chanson de Roland… Le panorama n’est malheureusement pas complet. On aurait aimé y lire ce que pensait Pierre Joxe de notre loi de 1965 et de ses adaptations successives. Nous ne sommes certainement pas les plus à plaindre, même si…

Il y a peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains.

Ce n’est pas du Sarkozy. C’est du De Gaulle. Mais au moins Pierre Joxe aura-t-il eu la satisfaction de constater que la justice avait rattrapé le premier.

Patrick HENRY
Ancien Président

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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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