Modes et tendances en matière de BC/FT : le rapport 2024 de la CTIF

La CTIF a publié son rapport annuel 2024 au mois de juin.

Comme chaque année, la Commission anti-blanchiment de l’OBFG vous invite à en prendre connaissance afin d’affiner vos analyses de risques.

Bien qu’il soit vivement conseillé de lire ce rapport dans son intégralité, voici les principaux éléments à en retenir. 

Blanchiment de capitaux

Constatations transversales

La CTIF expose que cette dernière décennie a été le témoin de l’autonomisation des services de blanchiment de capitaux, lesquels sont proposés par des réseaux spécialisés à d’autres organisations criminelles. L’auto-blanchiment, plus facile à détecter, compte moins d’adeptes ; les blanchisseurs ne sont ainsi plus nécessairement les auteurs des infractions sous-jacentes, voire sont actifs dans un autre domaine de criminalité. La CTIF cite à cet égard l’exemple d’entités spécialisées dans le travail au noir, qui doivent disposer de beaucoup de liquidités pour payer leurs travailleurs non déclarés et font appel à des trafiquants de drogue, lesquels disposent de ces liquidités qui leur sont remises en mains propres. Ces échanges reposent sur des mécanismes de compensation liés à des transactions factices et à de fausses factures. Si ce mécanisme de compensation était déjà bien connu, il se distingue aujourd’hui par le fait qu’il s’opère au sein de réseaux spécialisés.

L’usage de sociétés écran reste fréquent. La CTIF relève que 86% des réseaux criminels font usage de structures commerciales légales pour faciliter la commission d’infractions sous-jacentes, les dissimuler ou en blanchir le produit. Les criminels créent une nouvelle structure ou acquièrent des PME existantes, et dissimulent le véritable bénéficiaire effectif de ces structures.

Il convient donc d’être attentif dans le cadre de dossiers relatifs à des constitutions de société : quel est leur objet ? leurs (futurs) administrateurs sont-ils déjà organes d’autres sociétés ? si oui, sont-elles en ordre en ce qui concerne les déclarations des comptes à la centrale des bilans, en matière ONSS et fiscale ? la personne semble-t-elle être une personne de paille ? le business plan est-il cohérent ? l’objet social relève-t-il d’un secteur à risque ?

La constitution de sociétés appelle nécessairement l’intervention de professionnels du chiffre et du droit. L’avocat ne sera peut-être pas en première ligne mais (i) il sera particulièrement attentif lorsqu’il est consulté à de telles fins (ii) il le sera également lorsque son intervention sera relative, notamment, à des analyses ou rédaction de contrats de sous-traitance dans certains secteurs (personnel suffisant que pour offrir le travail de sous-traitance, compatibilité avec le business plan, etc.). L’avocat apportera également une attention particulière aux acquisitions de sociétés dormantes ou non déclarantes. 

Infractions sous-jacentes

En ce qui concerne la criminalité sous-jacente, la tendance est à la diversification : les fonds blanchis sont souvent issus d’activités polycriminelles.

Le trafic de stupéfiants reste important et la CTIF constate que les flux de marchandises et les flux d’argent ne suivent plus nécessairement le chemin et ne font plus nécessairement appel aux mêmes facilitateurs.

L’escroquerie est devenue l’infraction sous-jacente la plus importante en termes de nombre de dossiers traités par la CTIF. La fraude de masse (intérêt amoureux, promesses de sommes d’argent, phishing, hacking…) tend à diminuer au profit d’une fraude plus ciblée, opérée grâce aux réseaux sociaux. La CTIF mentionne également avoir traité des cas d’escroqueries à l’investissement. Celles-ci s’opèrent en deux étapes : un recrutement de masse dans un premier temps, suivi d’un traitement plus personnel.

La corruption est et reste une infraction sous-jacente importante. Les personnes physiques et morales impliquées ont essentiellement pour activité la politique, les marchés publics, le conseil, l'exploitation minière, la construction et les infrastructures, les transports, l'énergie et la santé. Le produit de la corruption est blanchi notamment au moyen de dépôts en espèces sur des comptes, de transports de fonds et de transactions de type money remittance, de transferts internationaux, de jeux d'argent, de transactions immobilières, de biens de luxe (voitures), ainsi que d’intermédiaires et de sociétés écrans.

La pédocriminalité en ligne est par ailleurs tristement devenue la cybercriminalité dominante.

Techniques de blanchiment

Le paiement pour le compte d’un tiers a gagné en importance. Il s’agit, pour une société ou un intermédiaire, d’effectuer un paiement au nom d’un tiers, créant ainsi une distance entre l’origine des fonds et leur destination. La CTIF explique : « Concrètement, un fournisseur (belge ou étranger) perçoit de ces structures le montant dû inhérent aux accords commerciaux signés avec son client qui, dans certains cas, est établi dans une région hors Union européenne considérée comme présentant un risque financier ou sanctionnée par les instances internationales. Le fournisseur ne remet pas en question la transaction pensant recevoir les fonds d’un « intermédiaire financier » mandaté par sa contrepartie contractuelle pour effectuer des paiements en EUR/USD et honorer ses obligations financières ».

La CTIF donne pour exemple le cas d’une agence de voyage exploitée à des fins illicites par des blanchisseurs professionnels (« achat » de billets d’avions au nom de personnes connues comme participant à une organisation criminelle, au moyen d’une société écran). Une attention particulière doit ainsi être portée aux paiements transfrontaliers, aux intermédiaires multiples et à toute transaction dépourvue de justification économique claire.

La CTIF évoque encore le phénomène des facilitateurs de blanchiment, titulaires de professions financières ou non-financières en Belgique ou à l’étranger, opérant via la constitution de sociétés. Généralement les facilitateurs sont des tiers à l’organisation criminelle autrice des infractions sous-jacentes. La CTIF évoque l’implication de bureaux comptables mandatés mais également, notamment, de « professionnels du droit », « ainsi que leur intervention active par la mise à disposition de leurs compétences au service de réseaux criminels, en particulier, lors de la constitution de sociétés en série utilisées pour complexifier et dissimuler les flux financiers ».

Le rapport 2024 de la CTIF insiste également sur la montée en puissance du blanchiment via cryptoactifs, par exemple pour le paiement de factures, notamment dans des relations B2B et B2C.

L’investissement immobilier, essentiellement à l’étranger (Espagne, Emirats arabes unis, Turquie et Maroc), demeure un vecteur privilégié du blanchiment de capitaux. La CTIF cite les cabinets d’avocats comme possibles « facilitateurs » à cet égard. Elle vise, ce faisant, des avocats qui interviendraient, à l’instar d’agents immobiliers, pour l’acquisition de pareils biens.

Les biens de luxe (voitures, montres, or, œuvres d’art) sont également toujours utilisés pour dissimuler ou déplacer des valeurs. Ces biens, aisément revendables et transportables, permettent de transférer discrètement des richesses au-delà des frontières.

Le rapport souligne encore que les techniques de blanchiment tendent à se combiner : un même dossier peut parfaitement impliquer des sociétés écrans, des paiements pour compte de tiers, des transactions en cryptoactifs et un investissement immobilier final.

Secteurs à risque

Les secteurs vulnérables aux risques d'ingérence criminelle restent ceux de la construction, des sociétés faisant un usage intense de liquidités (notamment l'horeca), et de la logistique (en ce compris le transport et l’import/export).

Financement du terrorisme

La CTIF constate que « les systèmes bancaires traditionnels, les transactions en espèces et les services de transfert de fonds de type money remittance restent des moyens courants pour transférer de l’argent à l’étranger ».

Elle relève également qu’outre les organisations terroristes jihadistes, l’extrémisme de droite reste une problématique. Les flux financiers ont dans ce dernier cas une dimension fortement locale, avec toutefois un certain degré d’influence étrangère au moyen de paiements issus de plateformes de crowdfunding. Elle ajoute que « l'année 2024 a marqué un tournant dans l’adoption d’une gamme toujours plus étendue de nouvelles plateformes de paiement numérique » qui « semble aller de pair avec l'influence croissante des réseaux sociaux sur la société. Les moyens de connexion numérique à l'échelle mondiale sont variés et offrent également de nombreuses opportunités dans le domaine financier, y compris la collecte de fonds, les transferts et les paiements. Les plateformes de crowdfunding sont très accessibles, autonomes et susceptibles d'attirer un public international ». La CTIF appelle à une vigilance accrue face au succès du crowdfunding, couplé au quasi-anonymat des dons.

La CTIF indique avoir également traité des dossiers « nexus », terme utilisé pour désigner les connexions entre le terrorisme et le crime organisé. La création de structures commerciales et les systèmes de paiement pour compte de tiers ont été également utilisés dans ce contexte. Ils obligent la CTIF à « rester vigilante face à un éventuel passage du microfinancement au macrofinancement ».

Elle ajoute que « le partage de contenus terroristes, extrémistes ou radicaux peut également servir à financer certaines campagnes de solidarité. Certains individus malveillants ont trouvé dans le (co)financement par le biais de contenus extrémistes ou radicaux une source de revenus intéressante (par exemple, pour couvrir des frais de justice). ».

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En conclusion, rappelons ces quelques principes de base :

  • une vigilance particulière est de mise lors de la constitution ou de l’achat de sociétés. Dans ce cadre, un avocat pourrait (involontairement) se voir associé à l’organisation d’une opération de blanchiment et être perçu comme un « facilitateur » ;
  • d’autres éléments peuvent amener à appliquer une vigilance renforcée : paiements transfrontaliers, intermédiaires multiples, transactions dépourvues de justification économique claire, secteur utilisant beaucoup de cash, usage de cryptoactifs, acquisition ou vente d’immeubles en Belgique ou à l’étranger ;
  • l’identification des personnes politiquement exposées est cruciale en matière de lutte contre la corruption.

La Commission anti-blanchiment


Vous pouvez toujours adresser vos questions à blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire dans les meilleurs délais.
Rappelons que tous les documents proposés par la Commission anti-blanchiment pour vous faciliter la lutte anti-blanchiment se trouvent sur l’extranet d’AVOCATS.BE.

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