En ce jour de Printemps, ce délicieux solstice, retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !
L’expression : Battre son plein
Machinalement, lors d’un évènement, d’un spectacle, d’une soirée, l’on s’exclame “la soirée bat son plein !”, avec enthousiasme... D’aucuns me diront, comme Henri Troyat, que les grèves (russes) peuvent aussi battre leur plein1.
Arrêtons-nous sur ces 3 curieux mots. Ils semblent en effet naturellement juxtaposés pour résonner aisément avec l’idée de point culminant. Battre suggère en effet une activité intense, éventuellement bruyante et plein évoque un maximum. Mais les interprétations sont, elles, divergentes.
Certes, les plus éméchés se convaincront facilement qu’ils sont “pleins” et que l’expression signifie simplement “taper dans le dos de son ami saoul” au moment le plus fort de la soirée.
D’autres, enivrés par la musique, affirmeront que le son est à son apogée, qu’il est donc plein, et que ladite soirée bat donc ce son pleinement. Dans le même registre, on renverra à la qualité sonore d’un instrument (une cloche, un tambour). En ce sens, un son plein, par opposition à un son creux, est riche en harmoniques. Les sonorités de cet instrument battant son plein seraient donc remarquables, nous offrant à son climax musical, l’égrégore...ou l’acmé.
J’entends néanmoins les puristes hurler dans mes portugaises ensablées : au pluriel, ne dit-on “les fêtes battent leur plein” et non “les fêtes battent son plein” ? “Tout-à-fait Nicolaaaas”2. Cette expression musicale qui s’écarte de l’idée du substantif « plein » et de l’adjectif possessif « son » fut imposée, à tort, par des cuistres ayant imaginé qu’il s’agissait donc plutôt d’un instrument qui battait un son plein, écrivant donc au pluriel « les fêtes battent son plein ». Ces derniers, fiers de leur élégance, accusaient de barbarisme ceux qui disaient très correctement : battaient leurs pleins.
L’explication la plus inattendue, et pourtant exacte, est empruntée, une fois de plus, au monde de nos amis les marins, milieu du XIXe siècle.
“Son” reste donc un adjectif possessif et “plein” un substantif désignant la marée haute. Les vogueurs disent que la mer bat son plein quand elle s’étale, qu’elle bat le rivage, qu’elle est à son plus haut niveau, avant de redescendre. L’image n’est donc plus sonore mais visuelle.
Tout comme le reflux de la marée, l’évènement bat son plein, à son apothéose, avant de redescendre de façon inéluctable.
Que nous dit finalement l’Académie française à ce propos ? « Si l’expression battre son plein a naguère encore suscité quelques controverses, tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui à donner raison au Littré. Dans cette expression empruntée à la langue des marins son est bien un adjectif possessif et plein un substantif, les meilleurs auteurs se rangent à ce point de vue. Le plein, c’est la pleine mer, et l’ont dit que la marée bat son plein lorsque, ayant atteint sa plénitude, elle demeure un temps stationnaire. On dit donc bien les fêtes battent leur plein ». Si l’Académie le dit…
Il est rare d’utiliser cette expression à la première personne, mais André Gide ne manqua pas de s’y essayer à plusieurs reprises “En transe, je bats mon plein” ou “Si j’ai conscience de pouvoir ajouter à la joie, je bats mon plein”.
Ou encore :
“Quand Marigny, en répétant ce nom, regardait dans son âme, il était sûr que son amour n’avait pas baissé ; qu’il y battait son plein comme cette mer qu’il voyait à ses pieds battre le sien sur la grève sonore”3.
Je vous souhaite que ce printemps batte son plein de bonheur, de soleil et de joies.
L’insulte : Coquefredouille
Une coquecigrue est une bêtise, un mensonge. La coquecigrue était un animal imaginaire, mélange de coq, de cygne et de grue : le mot servait, par extension, à désigner toute chose ou parole inventée et sans valeur. On disait aussi « à la venue des coquecigrues » pour signifier « jamais »4. Ou « regarder voler des coquecigrues », signifiant « se faire des illusions », « regarder des choses chimériques ».
Et on appelait coquefredouille un benêt, un niais. Selon le Littré, un pauvre hère, un homme sans esprit5.
Le mot : Oscule, n.m.
Orifice par où l’éponge rejette l’eau.
Aussi en botanique : pore d’un grain de pollen.
La curiosité : La famille « Paix et Payer »
Le nom paix est bien ancien en français, puisqu’il apparait durant la seconde moitié du Xe siècle. Il vient du latin pax, « paix, tranquillité, repos ».
Le verbe payer date exactement de la même époque ; tout d’abord attesté sous la forme se payer, il signifiait « se réconcilier avec quelqu’un ». Il faut attendre 1180 pour le rencontrer avec le sens de « rétribuer ». Payer vient du verbe latin pacare, « faire la paix, pacifier », dérivé du nom… pax, « paix » ! Ce fait étonnant s’explique ainsi : on est passé en latin du sens de « pacifier » à celui de « satisfaire, apaiser », puis dans les langues romanes dont le français, à celui de « satisfaire avec de l’argent ». La paix n’est jamais gratuite…
Jean-Joris Schmidt,
Administrateur
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1 Henri Troyat, Tant que la terre durera
2 Monsieur Manatane
3 Jules Barbey d’Aurevilly, Une vieille maîtresse, 1849. Ce dernier, Jules Barbey d’Aurevilly, écrira aussi de façon voluptueuse “(...) seins éblouissants battant leur plein majestueux au bord découvert des corsages (...)”, Les Diaboliques, Le plus bel Amour de Don Juan II.
4 1532 : coques cigrues : RABELAIS, Pantagruel, é 1. V. L. Saulnier, chap. IX bis, 1. 259 et aussi en 1534 : a la venue des coquecigrues c'est-à-dire « jamais » (RABELAIS, Gargantua, éd. R. Calder et M. A. Screech, chap. XLVII).
5 Dans Xénophon, Hercule est ennuyeux, dans Aristophane, un coquefredouille. (La Nouvelle Revue française, Numéros 58 à 60, 1957)