La proposition de la commission de règlement du conseil relatif à la reconnaissance de la filiation entre les états membres et la position du CCBE

Poursuivant l'objectif de l’Union de développer un espace de liberté et de justice, fondé sur la libre circulation des personnes et le respect des droits fondamentaux, la Commission a adopté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement du Conseil, relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation, ainsi qu'à la création d'un certificat européen de filiation {2022/ 0402(CNS)}.

L'objet de la présente contribution synthétique est de livrer, d'une part, les grands axes de cette proposition de règlement sur la parentalité entre les États membres et, d'autre part, relayer la position du CCBE, adoptée, ce 31 mars 2023, lors de son dernier Comité permanent à Bruxelles.

1) Ce règlement européen sur la parentalité tend à l'harmonisation des règles de droit international privé, relatives à la filiation dans des situations transfrontières, sans se substituer aux règles de fond du droit de la famille, relevant du droit matériel des États membres.

L'objectif est de protéger les droits fondamentaux des enfants à une identité, à la non-discrimination, à la vie privée et familiale, ainsi qu'à leurs droits successoraux et leurs droits alimentaires, le tout en conformité avec leur intérêt supérieur.

Cette reconnaissance de filiation opère par ailleurs, quelle que soit la manière dont l'enfant a été conçu (PMA/GPA), est né et, quel que soit le type de famille (famille monoparentale ou parents de même sexe).

Dans son discours sur l’État de l’Union, la présidente de la Commission, Madame Ursula von der Leyen a déclaré en 2020 « si vous êtes parents dans un pays, vous êtes parents dans tous les pays » {Stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant (COM (2021)142 final}. 

La proposition de règlement a pour objectif complémentaire d'assurer, au sein de l'espace juridique et judiciaire européen, de la sécurité et de la prévisibilité, en harmonisant les règles relatives à la compétence internationale et à la loi applicable à la filiation, ainsi qu'à la reconnaissance de la filiation pour les familles et les systèmes judiciaires des États membres.

Aujourd'hui, deux millions d'enfants seraient confrontés à l’insécurité juridique, liée à l'absence de reconnaissance de leur filiation, dans l'État membre d'origine, par rapport à un autre État membre.

En synthèse, la proposition de règlement détermine :

  • des règles de conflit de juridiction des États membres, en son article 6, en privilégiant six critères alternatifs de compétence, dont celui de la résidence habituelle de l'enfant, de sa nationalité, celui de la résidence habituelle du défendeur, celui de la résidence habituelle de l'un ou l'autre des parents, ou de la nationalité de l'un ou l'autre des parents et enfin la juridiction de l’état dans lequel l'enfant est né ;
     
  • des règles relatives à la loi applicable, en son article 17, étant rappelé le caractère universel de la loi applicable (article 16), qui font prévaloir la loi de l'État membre dans lequel la personne qui accouche à sa résidence habituelle au moment de la naissance ou, à défaut, la loi de l'État de naissance de l'enfant ;

Si cette règle ne donne lieu qu’à l'établissement de la filiation à l'égard d'un seul des parents, des options sont ouvertes, permettant l’établissement de la filiation par rapport à chacun des deux parents ; 

  • des règles de reconnaissance de plein droit de la filiation, lorsqu'il s'agit de décisions de justice et d'actes authentiques établissant la filiation, sans autre procédure, énoncées à l'article 24 ;
     
  • la délivrance d'une attestation concernant un acte authentique établissant la filiation qui a un effet juridique contraignant, selon l'article 37, tandis que les actes authentiques sans effet juridique contraignant (exemple : extrait du registre national ou actes de l'état civil) sont dotés, grâce à l'article 44, de la même force probante dans tous les États membres ;
     
  • la création d'un certificat européen de filiation, prévu à l'article 46, qui atteste fidèlement les éléments de la filiation et produit ses effets dans tous les États membres.

2) Associé aux consultations approfondies menées par la Commission, lors de l'élaboration de la proposition, en 2022, comme partie prenante en qualité de professionnel du droit, le CCBE a fait valoir ses observations préliminaires, le 29 juillet 2022 et a fait connaître sa position sur cette proposition de règlement, ce 31 mars 2023.

Le CCBE accueille favorablement les objectifs du règlement, rappelés ci-avant, dans l'intérêt bien compris du respect des droits fondamentaux de l'enfant.

Il se félicite surtout que la proposition de règlement ne se limite pas uniquement à la reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions et actes authentiques en matière de filiation et à la création d'un certificat de filiation mais aborde aussi les règles de compétence internationale et de loi applicable.

Les observations du CCBE sont très techniques et il est donc renvoyé à la lecture intégrale de sa position.

En synthèse, pour ce qui concerne les considérants, le CCBE s'interroge sur la place des procédures de contestation et d'annulation de reconnaissance, aux côtés de celles de l'établissement de la filiation, de même que sur la notion de l'intérêt de l'enfant « âgé de moins de 18 ans » par rapport aux enfants à naître, ou encore à la définition, à côté de la filiation, du « parent », grand absent des définitions de l'article 4 du règlement.

À propos des règles de compétence de l'article 6, le CCBE préfère, pour éviter la course à la juridiction dans la parentalité, une approche hiérarchique plutôt qu’alternative (choix de la Commission pour faciliter l’établissement de la filiation) car elle apporte davantage de sécurité juridique et de protection à la partie la plus faible qui est l'enfant.

Il est à, cet égard, proposé de privilégier la juridiction de l'État membre de la résidence habituelle de l'enfant, avec l'adoption de règles subsidiaires en l'absence de résidence habituelle dans un État membre (État tiers ou enfant qui n'est pas encore né ou est décédé).

Il recommande aussi une possibilité d’accord limité de choix de for, si l'enfant a un lien étroit avec cet État membre et si les parties ont convenu librement de la juridiction, au plus tard au moment où la juridiction est saisie, ou si la juridiction a été expressément acceptée.

Le CCBE propose encore le renforcement, à l'article 15, du droit fondamental des enfants à exprimer leur opinion et à être entendus, à l'instar de ce qui figure dans le règlement Bruxelles II ter.

À propos de l'article 17 sur la loi applicable, le CCBE estime que le critère de la résidence habituelle de la personne qui accouche apporte de la clarté.

Mais, par ailleurs, selon l'affaire CE289/20 du 25 novembre 2021, la CJUE a considéré que toute personne a une résidence habituelle.

Il s'interroge donc sur l'utilité d’un critère subsidiaire et, en tout état de cause, lui préfère celui de « la loi de l'État dont la personne qui accouche de l'enfant a la nationalité » à celui de « la loi de l'État de naissance de l'enfant » précisément pour éviter la course à la juridiction qui est un critère plus malléable, puisqu’il suffit de déménager avant d’accoucher.

Le critère de la nationalité de la personne est en effet plus fort et plus stable, en termes de sécurité juridique.

Le CCBE invite aussi, à divers endroits du règlement, à un toilettage de terminologie et préconise l’usage plus neutre du terme « filiation » en lieu et place de « paternité » et de « maternité ».

Il regrette le caractère peu clair des actes authentiques sans effet juridique contraignant, de l’article 45 qui ne sont pas définis et doivent aussi se lire par rapport au règlement relatif aux actes publics.

Enfin, le CCBE préconise, à l'article 47 qui concerne le certificat européen de filiation, une modification du « représentant légal », notion déterminée par le droit national et aussi limitée à des candidats potentiellement peu nombreux, et lui préférer « toute personne justifiant d'un intérêt légitime », ce qui élargit son utilisation, par exemple à tous les parents sans droit de garde ou les grands-parents.

Pour conclure, il faut évidemment se féliciter de l'importante étape franchie sur le chemin de l'harmonisation des règles européennes de filiation et de parentalité, matières hautement sensibles et tellement légitimes.

L’on n’oubliera pas néanmoins que cette matière relève de l'état des personnes et que la règle de l'unanimité s'applique pour le Conseil, après consultation du Parlement européen.

Les obstacles ne manqueront pas, au sein des États membres, eu égard aux conceptions tellement divergentes, notamment à l’égard de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) ou encore de la parentalité de même sexe.

La voie de la reconnaissance de la filiation homoparentale est aujourd’hui largement ouverte, comme l’a rappelé encore récemment l’arrêt du la CJUE 14/12/2021, dans l’affaire VMA, sur la base du Droit de l’Union, de la Charte et de la directive 2004/38/CE

À l'instar du règlement dit Rome III sur la loi applicable au divorce, la piste de l'accord de coopération renforcée entre Etats membres, à défaut d’unanimité, devra être recherchée et privilégiée, s’il y a lieu.

À suivre dès lors de près, à l’occasion d’une prochaine Tribune.

Marina BLITZ 
Avocat au barreau de Bruxelles
Expert auprès du comité Famille et Succession du CCBE

A propos de l'auteur

Marina
Blitz
Avocate au barreau de Bruxelles

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