Chères Consœurs,
Chers Confrères,
Dans la foulée de la journée européenne de l’avocat du 25 octobre 2022, nous avons tenu à consacrer notre éditorial de cette Tribune à l’état de droit.
Comme celui-ci est sur tous les fronts nous y consacrerons même un double éditorial.
Nous avons tendance à vite relever les manquements à l’état de droit parfois criants dans d’autres pays où la situation politique pose problème au regard de la démocratie et des droits humains essentiels.
Mais nous devons également être particulièrement sensibles aux manquements dans notre propre pays si nous voulons y préserver l’état de droit. Rien n’est jamais acquis en la matière !
Malheureusement, un manquement essentiel que connait actuellement la Belgique est la façon dont y sont traités les réfugiés.
Le barreau de Bruxelles a publié une lettre ouverte au premier ministre et aux membres du gouvernement fédéral dans La Lettre du barreau du 21 octobre 2022 (n°632) pour stigmatiser la situation des demandeurs de protection internationale et le non-respect par la Belgique de ses obligations en matière d’accueil.
Faut-il rappeler que les décisions judiciaires condamnant l’Etat belge ne sont pas exécutées ? Que le Petit Château est saturé ? Que des adolescents sont laissés dans la rue ?
Cette situation inadmissible a été portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Le 31 octobre 2022, celle-ci a rendu un arrêt dans l’affaire Camara c. Belgique indiquant une mesure provisoire à charge de la Belgique.
L’affaire concerne un ressortissant guinéen ayant introduit une demande de protection internationale devant les instances belges le 15 juillet 2022. Depuis lors, ce réfugié vit dans la rue, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) ne lui ayant pas désigné de place d’accueil en raison de la prétendue saturation du réseau d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique.
La Cour a décidé d’enjoindre à l’Etat belge d’exécuter l’ordonnance rendue par le tribunal du travail francophone de Bruxelles et de fournir au requérant un hébergement et une assistance matérielle pour faire face à ses besoins élémentaires.
Cette décision a fait l’objet d’un communiqué de presse auquel AVOCATS.BE a adhéré et qui est repris en annexe.
Il ne faut pas baisser les bras. Lors de ma présidence, j’entends mettre sur pied un observatoire pour la défense de l’état de droit qui veillera à relever les manquements à l’état de droit, d’abord sur le plan judiciaire. Je ne manquerai pas d’y revenir dans une prochaine Tribune.
Votre bien dévoué,
Pierre Sculier
Président
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Défense de l’état de droit à tous les étages
Coïncidence, c’est le 25 octobre 2022, journée européenne de l’avocat, que le commissaire européen à la justice, notre compatriote Didier Reynders organisait une « table ronde sur l’état de droit » à laquelle j’ai représenté notre institution.
Participaient à cette réunion des représentants de la magistrature, du barreau, du Conseil supérieur de la justice et de différentes organisations actives dans le secteur des droits humains (Ligue des droits humains FR et NL, Institut fédéral pour la promotion et la protection des droits humains, Transparency International Belgium).
Sans nous concerter préalablement, le président de l’O.V.B., le bâtonnier Peter Callens, et moi-même avons tenu le même discours, en faisant part de nos inquiétudes concernant la surpopulation carcérale et l’état des prisons belges, la tentative d’exclusion des avocats du comité de gestion du nouveau registre des décisions de l’ordre judiciaire où nous n’avons récupéré que d’extrême justesse un siège uniquement consultatif, et les menaces qui pèsent sur l’exercice de la profession.
À cet égard, j’ai évoqué les demandes agressives des fonctionnaires des finances, de même que les pressions et intimidations des enquêteurs, à l’égard des avocats, l’augmentation de la tendance à assimiler l’avocat à son client et à le faire entendre comme témoin dans des affaires concernant son client, l’état de délabrement avancé des bâtiments de justice, le nombre insuffisant de greffiers, les retards importants dans l’informatisation de la justice, en soulignant que le barreau avait pris sa part dans celle-ci, en mettant en place le registre de gestion des faillites, le Salduz numérique et la D.P.A. par exemple.
Peter Callens et moi-même avons aussi souligné que l’Union européenne devrait parfois, en matière d’état de droit comme en d’autres, balayer devant sa propre porte. Il est en effet des hypothèses où elle ne respecte pas elle-même l’état de droit, notamment lorsqu’elle décide d’interdire la fourniture de conseils juridiques à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie - sauf lorsque les services juridiques visent à promouvoir « directement la démocratie, les droits de l’homme ou l’état de droit en Russie et moyennant une autorisation des « autorités compétentes » - (Règlement 2022/1904 adopté le 6 octobre 2022) et dans le cadre du futur règlement « A.M.L. » (Anti Money Laundering soit Lutte Anti- Blanchiment) dont le texte actuel prévoit de soumettre en la matière les autorités ordinales au contrôle d’une autre, publique, ce qui constitue à l’évidence un risque important d’atteinte à notre indépendance et à notre secret professionnel.
Il est bon de rappeler de temps à autres aux donneurs de leçon les vertus de l’exemplarité !
Stéphane Gothot
Vice-président