Atelier : Les successions

« Les successions en pratique, trois ans après la réforme »

Président : Me Jessica FILLENBAUM, avocat au barreau de Bruxelles

Intervenants :

1) M. Matthieu VAN MOLLE, notaire à Ittre

2) Me Frédéric LALIERE, avocat au barreau de Bruxelles

Rapporteur : Me Séverine BEVERNAEGIE, avocate au barreau de Bruxelles


1) Les problèmes posés par la consécration d’une réserve en valeur 

A. Exposé de Me Lalière 

Dans notre système juridique, la transmission de la propriété est une transmission directe et immédiate. Directe car elle ne passe pas par un tiers et immédiate car il n’y a pas de hiatus dans la propriété (> < common law). 

Dès lors, le légataire, même s’il n’a pas demandé la délivrance de son legs, peut disposer du bien qui lui a été légué. 

Il peut ainsi le vendre, sans en avoir demandé la délivrance. En effet, la saisine des héritiers réservataires a pour corrélatif une obligation dans le chef du légataire de ne pas prendre possession des biens. Toutefois c’est une obligation qui pèse sur le bien et pas sur le légataire lui-même. Si le légataire vend l’appartement à un tiers acquéreur, c’est ce tiers qui subira le non facere. 

Autre effet important : les créanciers du légataire peuvent saisir le bien légué même si la délivrance n’a pas été requise. 

Dès lors, cette transmission directe de la propriété a des incidences pratiques dans notre droit. 

C’est le cas notamment avec la réserve : l’objectif du législateur a été d’essayer de faire de la réserve une coquille vide. Elle est maintenue mais sans les armes qui existaient au profit des réservataires. 

Article 4.150 alinéa 4 du Code civil : si un légataire est institué légataire universel, les héritiers réservataires pourront faire valoir leur réserve en nature si le légataire est un tiers à la succession. C’est une exception à la réserve en valeur. 

A l’inverse, si c’est un héritier réservataire qui est institué légataire universel (ex : le conjoint survivant), un autre héritier réservataire ne pourra pas réclamer sa réserve en nature. Celle-ci s’exprimera en valeur. Il n’y aura alors plus d’indivision successorale. Il est simple créancier non privilégié de la masse. Le conjoint survivant devient l’exclusif propriétaire des biens successoraux. 

Le législateur n’a manifestement pas réfléchi aux implications de cette réserve en valeur. 

1ère implication : le notaire requis par l’épouse de dresser un acte d’hérédité devra indiquer celle-ci comme étant la seule propriétaire de la succession. 

2ème implication : l’action en liquidation partage visée à l’article 1207 du Code judiciaire suppose l’existence d’une indivision. Or, ici il n’y aurait pas d’indivision. L’héritier réservataire aurait uniquement une créance en valeur. 

Est-ce qu’un héritier réservataire exhérédé peut introduire une action en liquidation partage ? Non d’après Me Lalière, sauf à ce que le Code judiciaire soit modifié. 

Solution possible : demander la désignation d’un notaire en qualité d’expert, lequel a également la mission de concilier les parties et en cas d’échec, il doit rendre son rapport/ son avis écrit (articles 962 et suivants du Code judiciaire). Toutefois, il n’aura pas de pouvoir d’investigation. De plus, il s’agirait d’un avis d’ordre technique et non juridique. 

Constat pragmatique : aucun tribunal ne verrait/ ne soulèverait le problème actuellement.

Autre solution : rédiger le testament en léguant la quotité disponible et non pas en instituant légataire universel. 

3ème implication : L’article 4.3 du Code civil défère la saisine héréditaire à l’héritier légal. Chacun peut prendre possession de toute la succession. La saisine est indivisible. 

La situation est différente pour le légataire. Seul le légataire universel, institué par un testament notarié, qui n’est pas en concours avec les héritiers réservataires, bénéficie immédiatement de la possession. 

Les autres légataires doivent demander la délivrance de leur legs. 

Deux effets de la délivrance : la mise en possession et la ratification du legs (article 1338 § 3 de l’ancien code civil, non recodifié : la ratification a pour effet d’empêcher celui qui ratifie de s’opposer à l’acte qu’il ratifie. Il s’empêche donc d’agir ensuite contre le testament). 

Quid de l’héritier réservataire exhérédé dans le cas de figure d’un autre héritier réservataire institué légataire universel ? 

Le législateur n’a pas modifié la saisine donc l’héritier réservataire exhérédé pourrait prendre les clés et prendre possession de tous les biens. Toutefois, quel sens cela aurait de conférer une saisine à quelqu’un qui n’a plus de droits en nature et n’est plus propriétaire dans la masse successorale ? Sur base de cette réflexion, l’héritier exhérédé ne peut se mettre en possession. 

Me Lalière clôture son exposé par une séance de questions – réponses. 

B. Exposé de Me Van Molle 

Prudence dans la rédaction des testaments :

Le rédacteur du testament doit faire attention à rédiger le testament de manière précise et claire par rapport aux intentions du testateur pour éviter les questions d’interprétation du testament. 

Exemple de question d’interprétation du testament : legs de la quotité disponible. Laquelle ? Telle qu’elle existe au moment où le testament sort ses effets ou au moment où le testament est rédigé. 

Dès lors, le rédacteur du testament sera attentif à la rédaction. 

Effet fiscal négatif :

Quid quand on exhérède complètement un héritier réservataire : il n’a plus qu’une indemnité/ une créance en valeur. 

Effet fiscal totalement inattendu. Cette indemnité n’est pas taxable. Dès lors, la position de l’administration fiscale est que si elle n’est pas taxable, elle n’est pas déductible non plus. 

En conséquence, l’administration taxe intégralement les héritiers qui se sont vus octroyés les biens en nature de la succession tandis que celui réduit à sa réserve n’est pas taxé. Il a sa créance libre de toute taxe, et les autres héritiers, pourtant favorisés, paient davantage de droits de succession. 

A l’heure actuelle, beaucoup de notaires rentrent leur déclaration de succession comme par le passé et certains bureaux taxent comme par le passé mais il faut informer le testateur de ce potentiel effet fiscal négatif. 

Vu cet effet fiscal négatif, Me Van Molle a entrepris la rédaction de testaments avec legs à objet alternatif. 

Les droits et recours de l’héritier réservataire exhérédé :

Il est créancier chirographaire mais il n’est pas pour autant un créancier ordinaire. Il a droit au rapport, à établir des comptes, à l’action en réduction. Toutefois, il n’a pas de droit de préférence. 

Quels sont dès lors ses recours ? Nous retombons sur les classiques recours du tiers créancier. 

Le notaire requis de vendre un immeuble attribué au légataire universel doit vendre. 

Quel est le devoir d’information et de conseil du notaire, vis à vis des tiers à l’opération de vente ? 

Toute l’information s’effectuera au moment du règlement de la succession et de l’établissement de l’acte d’hérédité. Il va alors prendre contact avec les héritiers pour les informer qu’il y a un testament qui les exhérède, qu’ils ont une réserve, et donc que s’ils veulent exercer leurs droits, ils sont invités à consulter. 

Cela ne veut pas dire que tout notaire qui ne le ferait pas commettrait forcément une faute coupable. 

S’il veut s’opposer à la vente, l’héritier réservataire exhérédé pourrait envisager une saisie conservatoire. Toutefois, il n’obtiendra peut-être pas l’autorisation de saisir conservatoire à défaut de réunion les conditions de la saisie : la célérité et une créance certaine, liquide et exigible.  

Autre piste : l’action en référé devant le tribunal de la famille afin d’interdire la vente de l’immeuble. 

L’enfant légataire universel « baudet » :

Celui qui va porter la succession sur son dos pour tout le monde et au profit de tout le monde. 

Le fait que la réserve est en valeur permet de faire un testament permettant à un enfant de se faire remettre en nature tous les biens, à charge de les liquider, de payer les dettes et puis de répartir ces biens entre les différents héritiers. C’est un peu l’exécuteur testamentaire. 

Un seul interlocuteur pour le notaire, qui a tous les pouvoirs, qui signe seul les actes de ventes. 

Cette alternative familiale est intéressante si des héritiers résident à l’étranger, ou sont sujets à problème. 

Pour ce type de testament, il est opportun que le « baudet » soit averti préalablement, pour lui expliquer son rôle et être certain qu’il acceptera. 

2) L’acte d’hérédité

A. Exposé de Me Van Molle 

Comment l’héritier va-t-il prouver sa qualité d’héritier ? Très traditionnellement, les notaires établissaient un acte de notoriété : témoignage de deux personnes qui vont témoigner d’un fait établi et connu d’eux, qui est censé être un fait de notoriété publique. 

Cette pratique était jugée par les notaires comme lourde et dépourvue de sens puisque les témoins étaient choisis par eux et ne connaissaient pas le défunt. 

L’acte de notoriété est devenu l’acte d’hérédité : un notaire établit le rappel des faits et en déduit les conséquences juridiques qui s’imposent. 

Cet acte d’hérédité va être légalisé en 2009, à la demande des banques, pour les sécuriser à la libération des avoirs financiers. 

C’est cet acte d’hérédité qui est l’objet du nouvel article 4.59 du Code civil.  

Le législateur a rajouté un § 6 à cet article 4.59 du Code civil par rapport à l’ancien article 1240 bis du Code civil, pour conférer une portée probatoire. 

L’accent est mis sur le caractère probatoire de l’acte. La libération des avoirs grâce à l’acte d’hérédité n’est plus qu’une des possibilités qu’il laisse. 

Cet acte devient un moyen de preuve de la qualité successorale en général (même pour un légataire particulier qui n’a encore rien fait, ou un héritier qui n’a pas encore opté). 

Ce n’est évidemment pas l’unique moyen de preuve de la qualité successorale, qui est toujours admise par toutes voies de droit. 

Qui dresse l’acte d’hérédité : un notaire mais cela peut aussi être l’administration fiscale s’il n’y a pas de testament ni d’institution contractuelle. 

Le notaire prêtera une attention particulière à la rédaction, afin qu’elle n’emporte pas, par exemple, acceptation de la succession. 

Dans la mesure où ce sont des actes unilatéraux, rédigés à la demande de différents héritiers, l’existence de plusieurs actes d’hérédité contradictoire est possible. Quid dans cette hypothèse ? Aucun ne vaut plus qu’un autre. Le litige doit être tranché judiciairement. 

Tel n’est toutefois pas le cas si l’acte d’hérédité doit être transcrit. 

Ainsi, depuis l’introduction du nouveau livre 3 du Code civil, le législateur a introduit un article 3.30, 7° qui dispose que sont soumis à transcription les actes d'hérédité constatant qu'une personne a acquis un droit réel immobilier pour cause de mort.  

Cette obligation de transcription pèse sur le notaire. 

Sanction du défaut de transcription : article 3.30 §2 : deux types de sanctions : 

  1. Sanction d’inopposabilité : l’acte d’hérédité constatant qu’une personne a acquis un droit réel immobilier pour cause de mort sera inopposable aux tiers de bonne foi qui disposent d'un droit concurrent sur le bien immobilier.  La personne qui a acquis un tel droit ne pourra donc pas se comporter sur le marché comme un propriétaire apparent. Les créanciers de l’héritier apparent peuvent par contre prendre des hypothèques, même si l’héritier apparent n’a pas encore accompli les formalités de transcription. 
     
  2. Mécanisme de blocage : l’héritier apparent qui ne bénéficie pas encore d’un acte d’hérédité transcrit et qui vend, ne pourra pas faire transcrire son acte de vente tant que l’acte d’hérédité n’est pas transcrit, sauf si l’acte est un acte de partage (où toutes les parties interviennent par essence).

Quid en cas de discordance d’actes d’hérédité immobilier transcrits ? 

La règle dans la loi hypothécaire est que c’est le premier acte transcrit qui compte.

Or, ici, c’est l’inverse car c’est l’acte postérieur qui primera puisqu’il viendrait réparer une erreur/ une omission du premier. 

Le conflit devra in fine être tranché par le tribunal. 

Remarque de Me Lalière : L’article 4.59 § 5 dispose que le notaire ou le bureau d’administration peuvent refuser toute remise d’acte d’hérédité si les documents remis ne leur permettent pas d’effectuer les vérifications utiles et de désigner avec certitude les héritiers. 

Les notaires vont sans doute se ruer sur cette disposition.  En tant qu’avocat, nous ne pouvons pas nous contenter d’un refus, il faudra exiger qu’ils le motivent. 
 

A propos de l'auteur

Séverine
Bevernaegie
Avocate au barreau de Bruxelles

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