Mise en faillite de l'avocat

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Pour ce numéro, André Renette, ancien bâtonnier du barreau de Liège, a souhaité partager avec nous le texte suivant. N’hésitez pas à réagir !

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La loi du 11 août 2017 portant insertion du livre XX « Insolvabilité des entreprises », dans le Code de droit économique, est entrée en vigueur le 1er mai 2018.

Dans le texte initial, l’entreprise était définie comme étant « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique (…) », et une première loi de repentance du 15 avril 2018, quelques jours avant la sortie de ce nouveau blockbuster, nous donnait la version définitive de la définition de l’entreprise comme suit :

« a) Toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant ;

  1. b) Toute personne morale ;
  2. c) Toute autre organisation sans personnalité juridique.

(…) »

La même méthode essai–erreur aboutissait le 15 avril 2018 à la version ultime de la définition du titulaire d’une profession libérale comme étant « toute entreprise dont l’activité consiste principalement à effectuer de manière indépendante et sous sa propre responsabilité, des prestations intellectuelles pour lesquelles une formation préalable et permanente est nécessaire et qui est soumise à une déontologie dont le respect peut être imposé par une institution disciplinaire désignée par la loi ou en vertu de celle-ci ».

Pour toute nouvelle procédure introduite depuis le 1er mai 2018, l’avocat peut être suivi par des juges enquêteurs du service des entreprises en difficulté du Tribunal de l’Entreprise, (ex-Commerce, depuis le 1er novembre 2018), peut veiller à sa continuité en se mettant à l’abri de ses créanciers par une procédure de réorganisation judiciaire, ou faire aveu de faillite ou être cité en faillite par ses créanciers et/ou le Parquet du Procureur du Roi.

Il y a une vieille tradition déontologique selon laquelle il n’est pas indigne, pour un avocat, d’être confronté à un important passif, hors les conséquences de ses malversations, mais que constituerait une faute déontologique le fait de ne rien faire pour tenter d’indemniser ses créanciers.

C’est ainsi que les Ordres relevant d’AVOCATS.BE ont peu ou prou accueilli vaille que vaille les avocats qui n’avaient d’autres ressources, à l’époque, que d’introduire une requête en règlement collectif de dettes, procédure dont ils sont, depuis le 1er mai 2018, exclus.

C’est ainsi que, depuis le 1er mai, à notre connaissance, ont été déclarés en faillite une SPRL Bureau d’architectes, une SPRL abritant l’activité d’un médecin, et un avocat en personne physique.

Et, par une décision prononcée le 6 juin 2018 le tribunal a déclaré ouverte la réorganisation judiciaire d’un avocat, l’objectif de la procédure étant un accord collectif, c’est-à-dire la proposition qui demeure à faire à ses créanciers de les indemniser moyennant des délais de paiement (maximum 5 ans) et un abattement de leurs créances, (la proposition de paiement ne pouvant légalement être inférieure à 20 % du montant de la créance en principal). L’homologation du plan de redressement voté favorablement par les créanciers ne pourra être refusée par le Tribunal de l’Entreprise qu’en cas d’inobservation des formalités requises par la loi ou pour violation de l’ordre public.

Ainsi le législateur n’a pas voulu se départir de la contrainte idéologique qui consistait, s’étant débarrassé de la notion de commerce et de lucre, à placer toutes les entreprises sur la même ligne de front :

  • d’une part, les entreprises dont la démarche ontologique est de faire du profit ;
  • d’autre part, les entreprises plus nuancées dans la quête de cet horizon indépassable, tel l’avocat contraint par la juste modération dans le prix de la prestation et par un serment faisant appel à l’âme et à la conscience pour l’acceptation des causes qu’il considérera comme juste.

Au lieu de dédier un livre XX bis aux OVNI que constituent dans ce barnum les professions libérales, le législateur a préféré, au chausse-pied, de les faire entrer de force dans l’univers impitoyable des entreprises ex-commerciales, mais en prenant certaines précautions.

C’est ainsi que, notamment, la loi fait défense d’une interprétation de son contenu qui restreindrait l’obligation au secret professionnel ou affecterait le libre choix du client de l’avocat. De plus lorsque le Tribunal de l’Entreprise est frappé d’un « doute » quant au respect du territoire sacré de la profession libérale, il peut demander l’avis des Ordres ou des instituts dont dépend le titulaire de la profession libérale. Enfin, à certaines étapes des procédures visées par le livre XX, le greffe avise l’Ordre ou l’Institut dont dépend la profession libérale de l’état de la procédure.

Les Ordres ou les instituts doivent publier annuellement une liste des praticiens de l’insolvabilité qui pourront être désignés, notamment, comme co-curateurs d’une profession libérale, le schéma étant dès lors, dans cette hypothèse, celui de la nomination de deux mandataires de justice : un avocat tiré de la liste des curateurs du Tribunal de l’Entreprise et un membre de la profession libérale reconnu par ses pairs comme praticien de l’insolvabilité. Dans les exemples cités, le Bureau d’architectes en faillite a un curateur avocat et un co-curateur architecte, le médecin exerçant en SPRL a pour curateur un avocat et pour co-curateur un médecin, et pour celui de l’avocat deux avocats… dès lors que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.

Face à cette immersion forcée dans les fonds abyssaux du droit de l’insolvabilité, la réaction des Ordres communautaires a été pour le moins contrastée. L’OVB s’est crispée sur la notion de dignité et entend écarter, ne fût-ce que temporairement, l’un de ses membres déclarés en faillite, tandis qu’AVOCATS.BE s’est satisfait d’une obligation d’information des instances ordinales de la part de l’avocat confronté à ces procédures, permettant ainsi un suivi approprié.

L’attrait et la nouveauté certaine de cette nouvelle loi est d’avoir instauré ce nouveau principe que le curateur n’a plus de droit sur les nouveaux revenus de la personne en faillite, excluant « de l’actif de la faillite les biens, les montants, sommes et paiements que le failli recueille à partir de la déclaration de la faillite en vertu d’une cause postérieure à la faillite ».

En outre, puisqu’on ne pouvait « excuser » qu’une personne physique qui avait commis une faute, ce qui n’était pas convenable à la doxa de la seconde chance, cette notion d’excusabilité a laissé la place sémantique à celle de la notion neutre de l’effacement des dettes non indemnisées par la vente de l’actif du failli, sans que le tribunal ne puisse se saisir d’office d’une « faute grave et caractérisée ayant contribué à l’état de faillite ».

Assurément, il faudra revisiter les mesures provisoires que peut prendre le Bâtonnier, et qui devront être mieux encadrées que celles, toutes poussiéreuses, visées à l’article 473 du Code judiciaire et « notamment » la désuète interdiction de Palais. Il y aura des cas qui ne seront pas, hélas, que malheureux ou trop malheureux pour permettre la continuité de l’entreprise de l’avocat sans un accompagnement ordinal fort dans l’intérêt des justiciables.

La loi sur l’insolvabilité est cependant d’ordre public économique et a consacré le principe d’airain de la seconde chance, de sorte qu’est posée la question de savoir si les règlements de déontologie ou des mesures conservatoires du Bâtonnier peuvent défaire la volonté du législateur, nonobstant le fait que la loi sur l’insolvabilité des entreprises s’applique « sans préjudice du droit particulier qui régit les professions libérales réglementées, en ce compris l’accès à la profession, les restrictions à la gestion et à la transmission du patrimoine et le respect du secret professionnel ».

Les difficultés financières que rencontre la profession sont nombreuses et les accidents de la vie, la perte d’un client important, les difficultés croissantes d’exercice de la profession pliant sous un tombereau de contraintes diverses et variées, le droit que tirent les confrères déjà en règlement collectif de dettes de récupérer par l’effet de la faillite la pleine et entière gestion de leurs prestations dans la perspective d’un effacement accessible six mois après le jugement déclaratif de faillite, vont probablement faire prospérer cette figure juridique atypique d’un avocat en réorganisation judiciaire ou en faillite.

Il me reste, en guise de conclusion, de vous laisser méditer sur quelques situations que la loi autorise, le tout par rapport la perception classique ou traditionnelle de la déontologie, en vous laissant lâchement le soin de trouver la solution à ma place :

  1. que dire du Confrère qui obtient l’homologation d’un plan de redressement où son stagiaire, son collaborateur, les cotisations à l’Ordre sont indemnisés sur cinq ans qu’à concurrence de 20 % ?
  2. que penser d’un Confrère en réorganisation judiciaire avec pour objectif le transfert des activités sous autorité de justice, lequel, assurant la continuité de son entreprise, se rachète, dans le cadre d’une nouvelle activité ou d’une newco, à un prix qui ne permet pas d’indemniser les créanciers tels que les stagiaires, les collaborateurs et les cotisations à l’Ordre ?
  3. que penser d’un Confrère criblé de dettes auprès des créanciers institutionnels, ONSS, précompte professionnel, cotisations sociales, honoraires des stagiaires, collaborateurs, qui, après avoir fait faillite, sollicite l’effacement de ses dettes, aucun créancier ne songeant à évoquer une faute grave et caractérisée ayant contribué à l’état de faillite, parce qu’inexistante ?

Nous vivons décidément une époque moderne…

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