Le procès Mawda par Laurent Kennes

« Ce n’est donc plus « la défense » qui s’exprime face à l’accusation, mais l’avocat, révolté avant tout par le sort que la Belgique réserve à celles et ceux qui, comme les parents de Mawda, comme les autres occupants de la camionnette, comme les milliers de personnes qui, dès que l’occasion se présente et à quel prix que ce soit, tentent de traverser une frontière qui leur est fermée. 

L’avocat, révolté par le manque de nuance et de réflexion qui ont dominé les débats autour de ce drame, tant dans le procès judiciaire qu’en dehors. L’avocat, révolté toujours par le sort réservé à cet homme sur les épaules de qui notre société a, injustement, fait peser le poids de la mort d’une enfant. 

Le procès n’a pas mis en avant la réalité des migrants. C’est regrettable… »

Laurent Kennes a défendu Victor (prénom d’emprunt), le policier dont le tir, accidentel plus que vraisemblablement, a tué la petite Mawda. Il est sorti révolté de ce procès. Il voulait le crier. Il voulait expliquer pourquoi. Il le fait.

Disons-le d’emblée. C’est un réquisitoire que prononce l’avocat. Un réquisitoire, d’abord, contre nos gouvernants, ceux qui dictent une politique soi-disant « humaine mais ferme », mais qui font tout pour déshumaniser les « migrants », réduits à cette seule dénomination collective, sorte de horde affamée qui serait prête à tout pour nous voler une petite parcelle de notre Eldorado.

Un réquisitoire aussi contre ceux qui ont fait de Victor le fusible chargé d’endosser toute la responsabilité de ce drame, lui qui n’était qu’un policier peu expérimenté, lui qui pensait être à la poursuite d’une camionnette convoyant, non des migrants, mais des auteurs de vols-cargos (le pillage de camions sur nos aires d’autoroutes), lui qui ignorait qu’il y avait des enfants dans cette camionnette et, plus encore, à l’avant de celle-ci, lui qui a voulu, comme les manuels le lui enseignaient, tirer dans le pneu de la camionnette pour provoquer une crevaison lente, lui qui, n’ayant jamais eu à faire cela, a visé soigneusement mais peut-être un peu trop longuement car cela a permis au conducteur du véhicule fou de donner un coup de volant obligeant son collègue à effectuer une brusque manœuvrer d’évitement, lui qui, déséquilibré par cette manœuvre, a dès lors laissé échapper le tir mortel.

Lui qui sera dès lors déclaré seul responsable de la mort de Mawda. Lui qui vivra donc le reste de sa vie avec ce poids. Pendant que ceux qui organisent ce trafic, comme ceux qui le répriment, ceux pour qui tout cela n’est qu’un épiphénomène sans importance, ceux qui, comme beaucoup, pensent que « cela devait arriver » (et d’ailleurs « que cela n’arrive pas si souvent », comme le disait Prévert), que cela est bien triste mais inévitable, tous ceux-là continueront à dormir sur leurs deux oreilles.

« Dans l’affaire Mawda, ce qui est effarant, ce n’est pas le coup de feu tiré par un policier, un homme de 40 ans, Victor, qui n’aurait pas dû sortir son arme. Ce qui est révoltant, c’est que 27 êtres humains, dont 4 enfants de 18 mois à 4 ans, étaient entassés à 2 heures du matin à l’arrière d’une camionnette pour tenter de rejoindre l’Angleterre après des années d’errance. Ce qui est terrifiant, c’est que les parents ont été menottés pendant que leur fille agonisait dans l’ambulance. Ce qui est révoltant, c’est que des hommes politiques ont, le lendemain du décès, tenu à insister sur la responsabilité de ces mêmes parents. »

Plusieurs témoignages, extraits librement du dossier répressif, des autres passagers de la camionnette, viennent illustrer la grande misère de ces pauvres gens qui ont pris tous les risques dans l’espoir d’un avenir un peu plus souriant. Cela ne donne que plus de force à la dénonciation. Entendre, ne fût-ce qu’une fois, la voix des sans-voix.
Un livre courageux, donc, dans lequel l’auteur livre le plus profond de lui-même. Le livre d’un homme révolté qui ne peut admettre le rôle qu’il a dû endosser, le rôle qu’on lui a fait jouer dans une pièce bien trop cynique. 

Je confesse néanmoins un certain malaise. D’avocat, Laurent Kennes se fait critique. Critique de tous les autres acteurs de ce procès : ceux qui ont enquêté, ceux qui ont requis, ceux qui ont plaidé, ceux qui ont jugé. Avait-il le recul nécessaire pour ainsi critiquer les positions de ceux qui ont été ses adversaires dans ce procès ? J’ai quelques fois eu l’impression qu’il y avait de la revanche dans ses propos. Peut-être eut-il fallu passer au tiers pour renforcer le poids de ses accusations ? 

Cela n’enlève cependant rien à la sincérité du cri – salutaire, car la justice doit aussi pouvoir être critiquée par ceux qui participent à son œuvre – qu’il profère. 

Je souligne encore qu’au passage, Laurent Kennes ne manque pas de dénoncer un scandale ordinaire mais particulièrement choquant en l’occurrence.

« L’homme que je défends, alors sous antidépresseur et suivi par un psychiatre, apprend ces poursuites comme toute la population : par la presse. C’est ce que l’on appelle la violence judiciaire. Je ne doute pas un instant que le procureur général n’a pas pensé au mal qu’il allait faire. S’il lit un jour ces quelques lignes, qu’il sache que les avocats, eux, « vivent » leurs clients et dénonceront toujours de tels actes, devenus une habitude au sein de la magistrature. Une habitude qui me révolte. »

L’égalité des armes, disiez-vous …

Patrick Henry,
Ancien Président

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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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