Boorman-Bloemkool avait donc contribué à soustraire à la Justice des collabos notoires. Mais la page était désormais tournée. Les condamnations se faisaient de plus en plus rares. Ceux qui avaient réussi à échapper aux poursuites, dans la fièvre et la vindicte de l’après-guerre, pouvaient souffler, leur inconduite était oubliée. Les gens ne voulaient plus entendre parler de la guerre, de ses horreurs, de ses victimes, ni de l’Occupation. Rien ne valait une bonne amnésie pour construire un avenir prometteur.
Oyez, oyez, Michel Van Loo, le célèbre détective amateur de gueuze grenadine, n’est pas mort, comme on aurait pu le craindre après sa précédente enquête. Il est vrai que, chronologiquement, celle-ci se situe en 1957, et donc avant Van Loo disparaît.
Le brave Michel, sa charmante (et délurée !) fiancée flamande Anne, et leurs éternels complices, le pharmacien Hubert, le coiffeur Federico et les frères syndicalistes Motta sont donc de retour pour une nouvelle enquête.
Ce ne sont plus des spectres qu’ils recherchent cette fois, quoique… Nous sommes en terre flamande, au milieu des années ’50 (1957 exactement), au moment de la renaissance du mouvement flamand. La Volksunie vient d’être créée. De plus en plus de voix s’élèvent pour que l’on réhabilite ces fiers défenseurs de la cause flamande qui avaient peut-être eu le tort de se fourvoyer auprès des occupants. Mais bon, qui veut la fin… Après tout ce qu’ils recherchaient n’était que l’indépendance de la Flandre…
Gertrude De Vijver, Trudi pour les intimes, vient d’être assassinée. Et précisément au moment où Van Loo venait d’être chargé par le mystérieux Bloemkool (oui, vous avez bien traduit : chou-fleur), drôle de bonhomme, spécialiste de l’import-export, producteur de cinéma, patron d’une agence de sécurité, etc., de la filer pour explorer qui étaient ses relations. Qui pouvait bien en vouloir à cette pauvre femme seule, veuve d’un ancien résistant qui n’est jamais revenu des camps allemands ?
Le véritable visage de Trudi se révélera progressivement, en même temps que, en contrepoint, ceux de Bloemkool, qui est peut-être plus qu’un petit escroc, et du sulfureux Vander Aa, un riche homme d’affaires épris de la cause flamande, avec lequel il fricote.
Ce sont donc les fantômes des collaborateurs et des résistants flamands qu’Alain Berenboom a convoqué dans cette enquête. Un portrait d’une Flandre que nous ne connaissons pas (plus ?) trop, divisée entre ceux qui ont résisté, les vrais héros, et ceux qui ont cru que le nazisme était le vecteur de leur indépendance.
Mais qui parle encore de tout cela ? Qui veut encore en entendre parler ?
C’était le matin. Il n’y avait personne. Je lui ai présenté ma fille non sans émotion. J’avais sur les lèvres une phrase du genre « sans vous, elle ne serait pas née », mais je me suis retenu. Marie-Rose ne savait rien de mon passé, de ce que je devais à Gertrude, des épreuves que nous avions traversées. Je ne voulais pas que ma fille sache que j’avais été obligé de me cacher parce que les nazis me prenaient pour un israélite. Je ne voulais pas qu’elle s’englue dans ce passé terrifiant, cette religion que j’ai abandonnée parce qu’elle charrie des siècles de malheur et une histoire incompréhensible…
C’est le dilemme de la justice transitionnelle. Comment oublier sans oublier ?
Patrick Henry,
Ancien Président