Lanceurs d’alerte

Chères Consœurs, 
Chers Confrères, 

En bien des domaines, la République de Venise fut novatrice et en avance sur son temps. 

Elle le fut notamment en organisant un système de dénonciations. De nos jours, nous pouvons toujours voir à Venise, notamment sur les murs du palais des Doges, des bouches de dénonciation ayant la forme d’un visage ou d’une tête de lion.

© [Patrick] - stock.adobe.com
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La bouche du visage ou la gueule de lion était une boîte aux lettres destinée à recevoir les billets de dénonciation qu’y glissaient les citoyens de la République. En dessous de la bouche, dans la pierre, était gravée l’inscription suivante : « Dénonciations secrètes contre toute personne qui dissimule des faveurs ou des services, ou qui cherche à cacher ses vrais revenus ». La dénonciation, toutefois, ne pouvait être anonyme. 

Le législateur européen a également organisé un mécanisme encadrant certaines dénonciations. Ainsi a été adoptée, il y a plus de trois ans, la Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union. L’objet de cette législation est de protéger les lanceurs d’alerte. 

Récemment, la Chambre des représentants a adopté deux projets de la loi en la matière : 

Le but de ces projets de loi à présent adoptés est d’interdire et de sanctionner toutes formes de représailles (ou tentatives ou menaces de représailles) contre les lanceurs d’alerte. 

Heureusement, en application de la Directive précitée, le nouveau texte légal dispose que la loi sur la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique pas « aux informations couvertes par le secret médical ni aux informations et renseignements que les avocats reçoivent de leurs clients ou obtiennent au sujet de leurs clients, à la stricte condition qu’ils évaluent la situation juridique de ce client ou exercent leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une telle procédure ». 

Il faut regretter la présence dans le texte de loi d’une définition du secret professionnel. Elle nous paraît certainement trop restrictive. Qu’en est-il des informations reçues dans le cadre de procédures administratives et arbitrales ou échangées dans le cadre de MARC’s ? Faut-il limiter les informations à celles reçues des clients ou à propos de ceux-ci ? 

Les Ordres communautaires, dans le cadre de l’examen de l’avant-projet, ont indiqué qu’il était préférable de ne pas définir le secret professionnel, celui-ci étant fonction de la jurisprudence des juridictions nationales et internationales. 

De plus, la directive (UE) 2019/1937 ne définit pas le secret professionnel de l’avocat et n’impose aucune obligation légale de le définir. D’ailleurs, le Conseil d’Etat avait fait remarquer que, puisque la notion de secret professionnel de l’avocat figure dans une directive européenne, elle devra nécessairement être interprétée en dernière instance par la cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Il ne revient dès lors pas aux Etats membres, de manière individuelle, d’interpréter cette notion, qui devra, en outre, être adaptée en fonction des évolutions jurisprudentielles de cette même Cour. 

Se pose également la question de l’appréciation des faits dénoncés par l’autorité qui reçoit le signalement du lanceur d’alerte. Cette autorité doit en assurer le suivi et en vérifier l’exactitude. En cas de faits potentiellement couverts par le secret professionnel, il appartiendrait à cette autorité d’apprécier si elle doit les écarter ou non. 

Il aurait été préférable de donner compétence à une autorité ordinale de trancher cette question mais cette solution a été écartée par le ministre Pierre-Yves Dermagne. 

Afin d’éviter des signalements transgressant notre secret professionnel, les avocats devront veiller à rappeler à leurs collaborateurs non-avocats qu’ils partagent notre secret et doivent le préserver.  

Nous ne pouvons que regretter que cette nouvelle législation contienne une définition restrictive du secret professionnel et n’apporte pas toutes les garanties pour sa protection alors qu’il s’agit d’une valeur essentielle pour notre profession et dans toute société démocratique. 

Plus que jamais nous devons être vigilants et actifs pour en assurer la défense. 


Votre bien dévoué, 

Pierre Sculier 
Président

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Pierre
Sculier
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