- Ah ! Parce que c’était mieux avant quand on ne les croyait pas ? Eh bien moi, je préfère cette époque où l’on croit les filles et les femmes qui dénoncent les viols qu’elles subissent. On ne ment pas sur une affaire aussi grave. C’est impossible. Elle n’aurait jamais accusé un homme pour rien. Les femmes battues aussi retirent leurs plaintes. Et pourtant, elles sont victimes.
- Impossible ? Pourquoi ce serait impossible ?
Pascale Robert-Dyard est la principale chroniqueuse judiciaire du journal Le Monde depuis 2002. Elle a couvert un grand nombre de procès spectaculaires, avec un œil toujours parfaitement aiguisé et un grand respect pour l’ensemble des parties (ce qui lui a d’ailleurs valu de recevoir le prix des anciens présidents du Jeune barreau de Liège, qui récompense tout compte-rendu judiciaire « révélant le souci de donner une information respectant les droits de l’homme et, en particulier, la vie privée, la réputation et la présomption d’innocence ») mais elle a aussi, avec les mêmes soucis, suivi des dossiers plus ordinaires, ce qui fait la justice au quotidien.
Elle est aussi l’autrice de plusieurs romans dont, tout dernièrement, ce remarquable La petite menteuse, qui lui a valu d’être finaliste de plusieurs grands prix littéraires (Goncourt des lycéens, Académie française, Interallié).
L’histoire parait, au départ, toute simple. Lisa, une jeune lycéenne a été victime d’un viol. Son agresseur a été condamné en assises. Il vient de former appel. Elle décide de changer d’avocat et fait le choix d’une avocate, Alice Kéridreux. Le contact passe bien. Le dossier paraît limpide. Deux jeunes professeurs, qui avaient remarqué que Lisa semblait s’étioler, l’ont interrogée et elle leur a lâché le viol. Puis, devant les enquêteurs, elle a donné le nom de son agresseur, un ouvrier plâtrier, peu sympathique, qui travaillait chez ses parents. Celui-ci nie mais il se défend très mal.
Mais, très vite, Lisa précise à Alice que tout cela c’est du vent. Elle n’a jamais été violée, et surtout pas par l’ouvrier en question. Et il faut qu’Alice la sorte de « cette merde ».
Commence alors un autre dossier. Comment sauver Lisa, la petite menteuse qui a fait condamner un innocent ? Comment en est-elle arrivée à accuser un innocent ? Comment une relation toxique peut vous faire dégringoler. Comment, dans une école, on passe, à la suite d’une partie de colin-maillard un peu trop épicée, du statut de « bonne », à celui de « salope ». Comment la bonne volonté de jeunes professeurs inexpérimentés, le sentiment de culpabilité de parents qui avaient un peu lâché la bride, le manque de fermeté d’un directeur d’école un peu émoussé, l’inconscience des condisciples, … mènent à un tel gâchis.
C’est remarquablement écrit, remarquablement construit. Et tellement en prise avec notre société actuelle.
Ah, les merveilleux témoins ! Même quand ils ne savent rien, ils trouvent quelque chose à dire, s’agaça Alice. Elle éprouvait une fois de plus, les mots justes d’Erri de Luca : « Prendre connaissance d’une époque à travers les documents judiciaires, c’est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang ».
Une beau portrait de la Justice d’aujourd’hui. Une belle image de ce monde qui éclate en tous sens.
Et aussi un beau portrait d’avocate.
Patrick Henry,
Ancien Président