I. Mais pourquoi donc écrire cet article ?
Nous avons tous eu un cours de droit européen, comme nous avons eu des cours sur le droit constitutionnel ou administratif et sur les droits de l’homme. Mais oserions-nous pour autant tous plaider devant le Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle, voire devant la Cour des Droits de l’Homme, ou la Cour de Justice de l’Union européenne ?
La plupart d’entre nous auront certainement des appréhensions à l’idée d’affronter ces juridictions supérieures, ou mieux dit spécialisées.
En ce qui concerne la Cour de Justice de l’Union européenne, j’enseigne depuis longtemps à mes étudiants, qu’ils soient avocats ou non, que les choses sont sans doute moins complexes qu’il n’y paraît, pour autant que l’on regarde par le bon bout de la lorgnette.
Tentons donc d’y voir plus clair.
II.- C’est quoi la Cour de Justice de l’Union européenne (une fois pour toutes dites la « CJUE ») ?
La Cour de Justice est, en réalité, constituée de deux juridictions distinctes : la Cour de Justice de l’Union européenne au sens strict, et le Tribunal.
La Cour de Justice au sens strict
La Cour de Justice est formée d’un Juge par Etat membre (27 donc…) nommés d’un commun accord par les gouvernements des Etats membres, pour une durée de 6 ans, renouvelable. Leur désignation n’est pas soumise à des conditions de nationalité, contrairement à la désignation des membres de la Commission. Néanmoins, il a toujours été convenu que chaque Etat serait représenté par l’un de ses ressortissants, afin que son système juridique puisse être pris en compte.
Les Juges désignent parmi eux le Président de la Cour de Justice. Son mandat est d’une durée de 3 ans, renouvelable.
Le Président a des compétences spéciales. Ainsi, il pourra :
- ordonner le sursis à exécution des actes communautaires,
- ordonner des mesures provisoires,
- suspendre l’exécution forcée des décisions de la Cour.
La Cour est assistée de 11 Avocats généraux, désignés selon les mêmes critères et modalités que les Juges. Ils sont chargés de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires soumises à la Cour, en vue de l’assister dans l’accomplissement de sa mission.
Le rôle de conclusion des Avocats généraux est essentiel : comme dans la procédure administrative française , ceux-ci fournissent la trame d’une décision juridictionnelle, mais contrairement aux Juges, l’Avocat général doit examiner l’affaire sous tous ses aspects juridiques, alors que la Cour, dans de nombreux cas, se contente d’examiner une partie seulement des questions soulevées au cours du procès, ce qui arrive essentiellement lorsque la solution donnée à l’une des questions posées rend superflu l’examen des autres aspects de l’affaire.
L’examen des conclusions des Avocats généraux est toujours fondamental pour la compréhension d’un arrêt et cela d’autant plus que l’Avocat général peut, plus facilement que la Cour, présenter une thèse conçue de façon unitaire parce qu’elle n’est pas le fruit d’un compromis collectif.
Chacun des Juges reçoit l’assistance personnelle de trois référendaires qui sont des juristes qualifiés. Les Avocats généraux sont, quant à eux, assistés de 4 référendaires. Le référendaire, attaché à la personne de chaque Juge ou Avocat général et ne dépendant que de lui, constitue son cabinet et joue un rôle primordial dans le fonctionnement de la Cour.
La Cour peut siéger en assemblée plénière. Elle y est obligée seulement lorsqu’elle est saisie en application des articles 288, § 2, TFUE (démission d’office du médiateur), 245, § 2, et 247 et 216 TFUE (démission d’office d’un commissaire) ou 286, § 6 TFUE (démission d’office d’un membre de la Cour des comptes). Dans tous les autres cas, la formation en Chambre est la règle, quel que soit le type de recours.
Aucune Chambre n’est spécialisée dans un domaine particulier. Les Présidents des Chambres sont désignés chaque année par l’Assemblée plénière sur la base d’une rotation annuelle.
Dès son introduction, chaque affaire est attribuée à une Chambre, à la suite d’une réunion administrative au sein de la Cour. Celle-ci fixe les critères selon lesquels est faite cette répartition. Elle peut décider le renvoi devant la formation plénière, ou devant une chambre élargie, de toute affaire d’une certaine importance.
Le Traité reste relativement laconique sur le rôle et les fonctions du Greffe.
Toutefois, en pratique, le Greffier a une assez grande importance dans le cadre de la procédure judiciaire communautaire.
En effet, il est responsable du déroulement de la procédure (registres, significations, notifications et communications diverses prévues par les règlements, organisation des audiences, publications officielles, tenue des dossiers des archives, sceau de la Cour, authentification des documents, etc …) et il est également le chef de l’administration de la Cour, chargé aussi bien de la gestion du personnel et des services que de la préparation et de l’exécution du budget.
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht, les règles générales de compétence et d’organisation du Tribunal sont intégrées dans le Traité, sans avoir subi de modifications.
Le Tribunal compte au moins un juge par Etat membre (le statut de la Cour prévoyant que ce nombre sera augmenté à 2 juges par Etat membre à partir du 1er septembre 2019) qui sont nommés d’un commun accord pour 6 ans, par les gouvernements des Etats membres.
Un renouvellement partiel a lieu tous les 3 ans et les membres sortant peuvent être nommés à nouveau.
Les membres du Tribunal peuvent être appelés à exercer les fonctions d’Avocat général. Ainsi, l’Avocat général du Tribunal, à la différence des Avocats généraux de la Cour de Justice, n’a pas d’existence organique statutaire indépendante de celle des Juges. Il a seulement une fonction d’Avocat général, facultative pour le Tribunal, et occasionnelle ou temporaire pour ceux qui l’exercent.
Les membres du Tribunal désignent parmi eux le Président de la juridiction pour un mandat de 3 ans renouvelable.
Pour l’exercice de sa fonction juridictionnelle, le Tribunal statue en formation de Juge unique ou siège en Chambres, mais dans certains cas déterminés par le règlement de procédure, il peut siéger en formation plénière.
Ceci est notamment le cas lorsqu’une affaire soulève une difficulté de droit ou en raison de l’importance d’un litige ou de ses circonstances particulières.
Les Chambres du Tribunal sont composées de 3 ou 5 Juges. La composition des Chambres et l’attribution des affaires à ces dernières sont déterminées par le règlement de procédure.
Quand vais-je à la Cour, et quand vais-je au Tribunal ?
Vous l’aurez facilement compris, le Tribunal constitue un premier étage, la Cour de Justice (au sens strict), une juridiction d’appel.
Ceci étant, nous verrons plus loin que la situation est plus compliquée : dans certains cas, les affaires seront introduites directement devant la Cour de Justice (au sens strict) – ce qui implique qu’il n’y aura pas d’appel possible-, et dans d’autres cas, les affaires passeront d’abord par le Tribunal avant d’arriver, en degré d’appel, devant la Cour, les recours étant toutefois, en général, limités aux questions de droit….
Nous y verrons plus clair un peu plus loin, mais la première question qui se pose est celle de savoir pourquoi il était essentiel, au moment de la création de l’Union européenne (à l’époque, je vous le rappelle, la Communauté économique européenne), de mettre en place un gendarme du système, pardon, une Cour de Justice… ?
III.- Mais pourquoi donc fallait-il instaurer une juridiction européenne ?
Le Traité de Rome a constitué une révolution dans la pratique du droit international en Europe. En effet, par ce texte fondateur, les Etats membres ont accepté de transférer certaines de leurs compétences à cette nouvelle institution internationale que nous appelons aujourd’hui l’Union européenne.
La conséquence logique de ce transfert de compétences est que les Etats membres ne peuvent pas, après avoir signé ce traité (et tous ceux qui ont suivi), prendre des mesures contraires à celles qui sont prises par l’Europe dans le cadre de ses compétences.
Ce principe, et la raison qui le sous-tend, a très bien été défini par la CJUE, dans son arrêt COSTA / E.N.E.L. (Arrêt du 15/07/1964, affaire 6/64), dans lequel il est précisé que :
« Le Traité de la C.E. a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres » … « Les termes et l’esprit du Traité ont pour corollaire l’impossibilité pour les Etats de faire prévaloir contre un ordre juridique accepté par eux, sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait lui être opposable ».
Il revient donc aux juridictions nationales l’obligation de faire respecter ce principe, le cas échéant, en refusant d’appliquer du droit national qui serait incompatible avec le droit européen.
Ainsi, la Cour de Justice a précisé dans son arrêt SIMMENTHAL (Affaire 106/77 du 9/03/1978, cfr. notamment R.T.D.E. 1978, p. 381 et commentaires) que :
« Tout Juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale. »
Pour garantir que le principe conserve tout son sens, mais également pour faire en sorte que l’interprétation des textes européens ne soit pas laissée aux bons soins des juridictions nationales, le Traité a instauré un système de questions préjudicielles permettant aux juridictions nationales des Etats membres (et les obligeant dans certains) à vérifier le sens à donner à un texte européen auprès de la CJUE.
Nous verrons plus loin comment ce système fonctionne.
A côté de ce système de questions de juge à juge (recours indirect), il était également nécessaire de prévoir une série de recours directs dans une série de domaines que nous évoquerons ci-dessous, et dans lesquels le Tribunal et la cour de Justice vont intervenir, le plus souvent en juge de la légalité des décisions prises par la Commission européenne.
Comme nous le verrons par ailleurs d’autres hypothèses de recours directs existent encore, mais sans doute les avocats lambda que nous sommes ne les rencontreront-elles pas.
Entamons donc notre réflexion par une analyse de la panoplie des recours possibles devant la CJUE. Nous reviendrons ensuite sur les recours que nous sommes tous susceptibles de rencontrer dans notre pratique quotidienne !
Dominique GRISAY
Avocat au Barreau de Bruxelles