En février de cette année, notre monde a basculé comme il ne l’avait plus fait depuis la seconde guerre mondiale. La paix, que nos générations considéraient comme un acquis, a été rompue par une agression brutale, dont l’illégalité fondamentale nous heurte tous.
Le cortège de sanctions qui s’en est suivi nous a paru tout-à-fait acceptable tant qu’il visait les personnes et sociétés ayant favorisé la guerre d’agression menée par le président russe Poutine à l’égard de l’Ukraine. De même, il nous a paru logique qu’il soit interdit, à notre profession en particulier, de conseiller les mêmes personnes en vue d’éviter les sanctions prises à leur égard dans le cadre de ce conflit.
De sanctions en sanctions, l’Europe a poursuivi sa manœuvre d’étouffement de l’économie russe. Dans un huitième paquet de mesures, elle a cru utile d’ajouter que les professions du conseil pouvaient, certes, défendre toutes les personnes et sociétés visées par les mesures restrictives dans le cadre de procédures administratives, judiciaires, ou arbitrales, mais qu’elles ne pouvaient leur fournir d’avis ou de consultation sur leur situation au regard de ces mêmes restrictions.
L’étrange conséquence de cette règle, formulée de manière trop générale, est qu’il nous est interdit de fournir tout conseil à quelque russe (ou société russe) qu’il soit, même s’il s’agit en fait des pires ennemis du régime !
Certains de nos bâtonniers y ont vu à redire et on fait connaître leur opinion à ce sujet : le droit de défendre ne s’arrête pas à la porte du conflit !
Le CCBE, de son côté, a fait œuvre tout-à-fait utile en créant une commission ad hoc, qui a d’ores et déjà écrit à la Commission en posant une série de questions. L’avenir dira si ce questionnement a invité la Commission à réfléchir à cette restriction au droit de défendre.
Il nous est malheureusement permis d’en douter dès lors que la Commission vient de publier, ce 2 décembre 2022, une proposition de Directive dont l’article 3 (5) supprime le secret professionnel en cas d’avis donné par un professionnel du droit, dont le but ou la conséquence serait la violation des mesures restrictives prises à l’égard de la Russie au niveau européen, et criminalisant même ce comportement.
Un conflit donc dans le conflit, que nos autorités ordinales et le CCBE devront garder à l’œil pour que le droit à la défense demeure, autant que faire se peut, intact.
Dominique Grisay,
Avocat au barreau de Bruxelles