Si l’article 446ter du Code judiciaire autorise les avocats à taxer leurs honoraires avec la discrétion qu’on doit attendre d’eux dans l’exercice de leur fonction, cette fixation unilatérale de leurs émoluments est tempérée par l’obligation de respecter les limites d’une juste modération, le conseil de l’Ordre ayant le pouvoir de réduire éventuellement l’état en cas d’excès. Taxation unilatérale mais modérée sous le contrôle du Conseil de l’Ordre, ces trois notions sont donc indissociablement liées.
Dans un arrêt du 24 mars 20161, la Cour de cassation a précisé que ce contrôle du conseil de l’Ordre s’appliquait même en présence d’une convention d’honoraires, laquelle « n’empêche pas que, sur plainte de la cliente, nonobstant le fait qu’elle ait consenti à la convention et que cette dernière ait été exécutée, le conseil de l’Ordre puisse examiner si les honoraires facturés et payés répondent à la condition qu’ils doivent être fixés avec une juste modération ». Selon la Cour, le législateur a confié au conseil de l’Ordre une mission d’intérêt général qui ne peut être empêchée par la conclusion d’une convention d’honoraires.
Le 9 septembre dernier, la Cour de cassation a rendu deux décisions qui ont encore renforcé le rôle du contrôle des instances ordinales en interdisant au juge saisi de réduire les honoraires de l’avocat en se substituant à celui-ci : « La cour d’appel qui, par les motifs précités, réduit l’état d’honoraires litigieux du demandeur en lui substituant sa propre appréciation de l’application du taux d’honoraires ne justifie pas sa décision en droit »2. La Cour de cassation a précisé dans son deuxième arrêt3, qu’attribuer un tel pouvoir de contrôle au tribunal « tendait à miner la confiance des justiciables dans la profession d’avocat et, par extension, dans le système judiciaire en général », ce qui affecte l’ordre public4.
Selon l’article 446ter du Code judiciaire, le conseil de l’Ordre dispose donc, quant à lui, de la compétence de réduire les honoraires fixés par un avocat par rapport aux critères de la juste modération. Pour exercer ce contrôle, il prend en compte la nature du travail5, l’importance financière et morale de la cause, la nature et l’ampleur du travail accompli, le résultat obtenu, la notoriété de l’avocat et la capacité financière du client6.
Paradoxalement et nonobstant les termes de l’article 446ter du Code judiciaire et son caractère d’intérêt général, la décision du conseil de l’Ordre n’est pas pour autant civilement contraignante7 – si elle l’était, un recours devrait être organisé –. La compétence du Conseil de l’Ordre en matière de juste modération s’exerce en effet « sans préjudice du droit de la partie de se pourvoir en justice si la cause n’est pas soumise à arbitrage… ».
De son côté, le tribunal examine la mise en cause éventuelle de la responsabilité de l’avocat et les questions relatives aux preuves. Conformément à l’article 8.4 nouveau du Code civil, l’avocat doit en effet prouver la réalité de ses prestations8 mais également la communication d’informations précontractuelles suffisantes.
Cette obligation d’information préalable n’est pas neuve. Elle est reprise dans les textes européens9, dans les textes législatifs belges10 et dans nos textes réglementaires11. Elle est également consacrée par une abondante jurisprudence : « Même si le droit de l’avocat de fixer ses honoraires lui est reconnu, les balises légales exigent en tout cas de l’avocat la transparence et la correcte information de son client le plus tôt possible au fil de son intervention »12.
Et comme l’a rappelé en 2015 la Cour de cassation, il ne suffira pas à l’avocat de dire qu’il en a informé verbalement son client : « Dès lors qu’il résulte des règles relatives à la charge de la preuve que c’est à l’avocat qu’il incombe de prouver qu’il s’est conformé à son obligation d’informer son client et non à ce dernier de prouver le fait négatif que l’information requise ne lui a pas été donnée, l’arrêt ne viole pas les dispositions légales visées au moyen en décidant « qu’il appartient à Me A. qui prétend avoir informé son client, de rapporter la preuve du fait qu’il allègue »13.
Dans une troisième décision rendue le 9 septembre 202214, la Cour de cassation a souligné que l’obligation d’information préalable n’était pas inconciliable avec le principe de la taxation unilatérale contenu dans l’article 446ter du Code judiciaire : « Il résulte de ces dispositions légales que l’obligation d’information précontractuelle relative au calcul du prix, telle que contenue dans l’ancien article XIV.3, 3°, RCE, en tant que transposition de l’article 5.1, c) de la directive 2011/83/UE sur les droits de consommateurs est conciliable avec une décision d’une seule partie (een partijbeslissing) concernant les honoraires d’un avocat au sens de l’article 446ter du Code judiciaire si cette obligation d’information est respectée. La violation de cette obligation d’information engage sa responsabilité précontractuelle et constitue une faute au sens des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil et est sanctionnée comme telle. »
Un très récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 12 janvier 202315 est venu encore renforcer cette obligation d’information préalable. En réponse à une question préjudicielle, la Cour européenne a en effet estimé que dans le cadre d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur16, une clause fixant un tarif horaire17 sans autres précisions était abusive par défaut de clarté.
Si la Cour admet qu’un professionnel ne peut informer le consommateur de toutes les conséquences financières d’évènements futurs et imprévisibles, les informations précontractuelles doivent l’informer de leur éventualité et de leur possible impact financier. La clause litigieuse n’est donc pas abusive à elle seule – sauf si le droit national le prévoit – , mais doit être évaluée par rapport aux informations données par l’ensemble du contrat : « Ces informations, qui peuvent varier en fonction, d’une part, de l’objet et de la nature des prestations prévues dans le contrat de services juridiques et, d’autre part, des règles professionnelles et déontologiques applicables, doivent comporter des indications permettant au consommateur d’apprécier le coût total approximatif de ces services. Tels seraient une estimation du nombre prévisible ou minimal d’heures nécessaires pour fournir un certain service ou un engagement d’envoyer, à intervalles raisonnables, des factures ou des rapports périodiques indiquant le nombre d’heures de travail accomplies. »
Selon la Cour, le juge national – qui ne peut substituer une estimation judiciaire de la rémunération à la clause abusive - a la possibilité de rétablir la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence d’une telle clause même si cela laisse le professionnel sans rémunération pour les services fournis ! Notre Code de déontologie contient une série de dispositions18 qu’il est donc impératif de respecter (information préalable complète, provisions adéquates, états intermédiaires, description des devoirs accomplis, etc.).
Stéphane Boonen,
Administrateur
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1 Cass. 24 mars 2016, c.15.0196.
2 Cass., 9 septembre 2022, c.22.0004.
3 Cass., 9 septembre 2022, c.21.0346.
4 On comparera cette motivation à celle de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 12 janvier 2023 (C-395/21) évoqué plus loin : « …s’il était possible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans un tel contrat, (…) cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels. »
5 art. 446ter C. jud.
6 art. 5.34 du Code de déontologie
7 Liège, 8 octobre 2008, J.L.M.B., 2009, 1422 ; Civ. Nivelles, 16 décembre 2010, J.L.M.B., 2011, p.1332. Avec ce curieux paradoxe qui verrait le tribunal refusant de suivre l’avis du Conseil de l’Ordre, lié par la convention liant les parties (art. 5.69 nouveau C.civ.) alors que l'avocat qui en poursuivrait l'exécution, s’exposerait à des poursuites disciplinaires pour ne pas avoir respecté ledit avis (voyez Recueil des règles professionnelles, n°781.)
8 Le tribunal pourra toutefois admettre la preuve par vraisemblance en application de l’article 8.6 du nouveau Code civil.
9 Article 5.1.c) de la directive 2011/83/UE
10 Article 74, Livre III du Code de droit économique
11 Article 5.19 du Code de déontologie
12 Trib. Entr., 20.01.2023, inédit ; également J.P. Saint-Gilles, 18 décembre 2017, J.T., 2018, p.440 ; Trib.Entr. Hainaut (Charleroi), 9 mars 2021, J.L.M.B., 2021, p.1288.
13 Cass. 25 juin 2015, R.G.A.R., 2015, n°15.219, note F. Glansdorff.
14 Cass. 9 septembre 2022, c.21.0280
15 C.J.U.E., 12 janvier 2023, C-395/21. La vision du Bâtonnier Krings était prophétique : « … nos clients supportent de plus en plus difficilement que la question des honoraires se limite, au mieux, à l’annonce d’un taux horaire. » Forum n°286, septembre 2021, p.4.
16 La C.J.U.E. vise la protection du consommateur. Nos règles déontologiques visent l’ensemble de nos clients
17 En l’espèce, l’avocat lituanien revendiquait un tarif de 100€/h.
18 Articles 5.18 à 5.22 du Code de déontologie