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L’être humain est un événement social historique. Evénement car il est mouvement unique de sa naissance à sa mort ; seule la mort fige l’information que constitue sa vie dans un passé sans lendemain. Social car nous sommes des singes grégaires et l’isolement est d’ailleurs une punition ou une pathologie. Historique car nous avons un début, une durée et une fin qui s’inscrivent dans un continuum temporel linéaire à causalité non réversible propre à notre nature et ses limites. Plus qu’un animal politique tel que décrit par Aristote, l’humain est par lui-même et par autrui dans un échange permanent qui s’appelle culture au sens large. C’est dans ce rapport d’échange continu que se forme la personne : c’est l’histoire de sa vie. Le rapport est aux choses et aux vivants. On se souviendra de la terrible expérience de Frédéric II de Prusse sur les six enfants privés de tout contact « humain non-essentiel ». Expérience qui avait pour but de répondre à la question de l’émergence spontanée du langage et aboutit à la mort des enfants privés de relations humaines même s’ils étaient parfaitement soignés. Evocation horrible mais leçon historique oubliée dont l’exemple actuel du « glissement » dénoncé par les gérontopsychiatres, n’a cependant pas émus plus que ça les beaux esprits ; juger le passé est toujours plus confortable puisqu’il nous absout de notre responsabilité présente. Ainsi les vieux qui se laissent mourir de désespérance face à l’isolement covidien ne me semblent pas plus acceptables que les poupons qui se sont laissé dépérir sous l’expérimentation du tyran « éclairé » selon Voltaire, qui parlait neuf langues. Comme quoi l’intelligence ne protège de rien : sans les autres, nous mourrons ! Même l’anachorète ne vit pas seul mais de sa relation, il est vrai exclusive, avec le créateur.
La nécessité de culture va bien plus loin que la limite relationnelle, l’apprentissage ou l’interdit partagé car tout le vécu influence notre être au point que l’épigénétique nous montre que même au niveau biologique le plus intime (l’ADN), l’être se construit dans son rapport historique et événementiel à l’autre et au monde sensible, les deux aspects étant indissociables contrairement à une vision qui scinde la création entre monde chose-animal et humain. Cette fausse dichotomie qui fait du monde un objet distant proposé à l’homme auto-suffisant sauf en son rapport à la déité, m’a toujours parue absurde. Il se déduit dès lors que qualifier de « non-essentiel » le domaine culturel au sens large est en soit un jugement niant la nature humaine. On eût pu dire « moins immédiatement prioritaire » car on peut survivre sans lire mais pas sans boire, c’est le principe romain « Primum vivere », mais qualifier la culture sensu lato de « non-essentiels » est nier notre « essence » vitale interrelationnelle. Je préfère mourir vivant que de vivre mort : voilà ce qu’ont en communs les vieux de nos mouroirs et les poupons de Frédéric II. Ce choix connait les limites dans ma responsabilité à autrui puisque ma nature grégaire m’impose d’avoir souci du groupe qui me fait et donc des autres individualités qui forment ce groupe ; si le groupe m’écarte, je n’ai plus cette responsabilité.
Ma responsabilité à autrui est dans ma nature et ne peut être vécue comme une limitation culturelle, ou super structurelle pour reprendre un schéma marxiste, mais bien comme essentielle au « je » auquel elle ne s’oppose pas puisqu’elle le construit intimement. Dissocier, comme Sartres le fit, le « Je » du groupe et dire que l’enfer c’est les autres me parait être un contresens et une contrenature évidents. Nier cet élément de composante du « Je », c’est le détruire. Ainsi ma responsabilité à autrui est une obligation fondatrice du « Je » et non une limite extrinsèque imposée par une transcendance ou une autorité plus ou moins déléguée.
L’« Enfer c’est les autres » me semble être la plus grande bêtise jamais dite, à égalité avec celle de nier l’individu « seul le Parti à la Vérité » ou l’Eglise ou l’Etat…. Le paradis singulier de l’individu par absence des « autres » c’est son propre anéantissement, à tout le moins son incomplétude tragique ; la primauté du collectif c’est aussi la mort de l’individu …et donc à terme du collectif !
Nous partageons, avec d’autres espèces du Vivant, une certaine solidarité. Elle est éthologique avant d’être psychologique, sociologique ou morale. Elle est aussi à travers le temps puisque l’écriture transmet le savoir et plus encore le « vécu humain » au-delà de notre propre finitude individuelle : nous sommes les seuls vivants à agir ainsi sur cette planète. Ainsi l’écriture au sens large, de l’architecture à la peinture en passant par les partitions, crée une relation entre les individus à travers le temps, l’espace et la mort.
La solidarité humaine n’a dès lors pas (que ?) son fondement dans une théologie transcendante mais bien dans la nature même de l’humain qui biologiquement ne peut exister que dans un champ relationnel avec ses semblables. Pas de « nous » sans « je » mais pas de « je » sans « nous » ! Cette position exclut-elle la divinité ? Pas du tout : elle dualise la question de l’origine de la morale et de l’éthique vues comme transcendantes et donc source extrinsèque législative, dans l’éventuel projet divin du monde et en relève aussi une donnée ontologique, indépendante de l’existence ou non de cette transcendance. Cette même question peut se poser sur la vitesse de la lumière ou la masse de l’électron : sont-ce des données « hasardeuses » ou participant d’un plan divin ? Peu importe, le principe anthropomorphique de la physique n’est pas concurrentiel de la question métaphysique. Par contre la condition humaine apporte la Liberté et la Responsabilité : que fais-je de ce que je suis, que suis-je sans l’autre, quelle est ma responsabilité envers moi-même et envers l’autre, quel est mon rapport au monde ? On le voit, le rapport à autrui ne peut jamais être extérieur à mon existence puisqu’il en participe par définition même de ma personne. J’y vois l’une des facettes de la volonté de puissance décrite par F. Nietzsche qu’il qualifie d’« essence la plus intime de l’être ».
Le débat n’est pas que philosophique. A partir du moment où la coexistence collective est une donnée nécessaire à notre vie individuelle et singulière, à notre construction existentielle, alors se pose tout aussi nécessairement la question des conditions de cette coexistence avec nos semblables et le monde réel. Ces conditions s’inscrivent dans des ensembles de règles qui s’appellent le commun dénominateur social, l’histoire commune, la politesse, la morale, l’ordre public, le droit, l’éducation, la langue partagée , le respect de la nature, les bonnes mœurs, les règles du Monopoly, … tout cela ne sont que facettes d’une seule et même donnée : nous sommes des animaux grégaires dans un monde réel et tout cela ne répond qu’à une question : permettre le rapport harmonieux au monde, vivant ou pas, puisque ce rapport à autrui et au monde est absolument nécessaire à ma vie. Comment inscrire ce rapport dans une compréhension partagée lui permettant d’exister puisque ma propre vie en dépend ? Pour faire simple, comment puis-je circuler en voiture s’il n’y a pas un code de la route, connu, reconnu et partagé ? On le voit, la question porte autant sur l’existence d’un code que l’adhésion du plus grand nombre à ce code sans quoi il n’a aucun sens. Encore faut-il un code commun même s’il est par essence limité à un lieu et une époque. Il y a donc deux sous-questions.
Le code commun, qu’il soit fiscal, de politesse ou sportif, de la route ou du football, d’un jeu de cartes ou d’un traité international est nécessairement relatif puisqu’Humain comme le relevait Montesquieu. En cela, il est relatif en temps, lieux, personnes, contexte et objet. Cette relativité est externe par ses limites. Nous ne pouvons pas régir les lois de la gravité pas plus que les marées ou l’explosion d’un volcan…Cette relativité est également interne. Si on reste dans le champ des possibles à nos décisions, encore faut-il ne pas en perdre de vue les limites intrinsèques. Je ne partage pas du tout une vision de Droits de l’Homme transcendants, éternels et universels, sorte de nouveau décalogue à transcendance laïque non dite. Il me parait d’ailleurs que cette vision est dangereuse car elle porte en elle-même, comme tout monisme, sa propre inversion. Pour ne parler que de l’interdiction pénale comme relativité interne, celle-ci est variable dans le temps. Même le vol a été considéré comme une absurdité conceptuelle puisque la propriété était décrite comme le crime cause de tous les maux sociaux selon K. Marx et plus encore chez P.-J. Prud’hon. Le meurtre ne présentait aucune difficulté pour le Pater familias romain, le soldat ou le policier actuels et le viol n’existe que si les captives (et les captifs) ou les esclaves se voient reconnaître des droits ; on ne « viole » pas une chose ! Plus près de nous, il n’y a pas si longtemps que l’adultère était pénalement puni, de même que l’homosexualité… par contre, l’héroïne était libre avant 1914, les armes avant 1933 et le vin distribué dans les écoles françaises jusqu’en 1956 aux enfants de moins de 14 ans, 1981 au moins de 16… et je pourrais multiplier. Bref, si le code est bien évolutif, encore doit-il être communément partagé sinon il n’a aucune pertinence. Et là, on a un gros problème. De même que toute circulation routière est impossible si l’un décide de rouler à gauche et l’autre à droite, de même l’absence de socle commun met en péril ce que J.-J. Rousseau appelait le contrat social et que la CEDH baptise du concept du « vivre ensemble » et qualifie d’«Exigence supérieure du droit ». Il nous faut un socle commun.
Comprenons-nous, il n’est pas question de plaider le monolithe sclérosé politique, social et culturel. C’est absurde à raison même de notre nature historique et donc évolutive ; c’est d’ailleurs la condamnation certaine de tout régime totalitaire qui par sa nature emporte son propre suicide. Il est par contre question d’arrêter de nier l’usage abusif de la « diversité » comme justification d’espaces fermés au point que comme à Babel, chacun a son droit, son langage et refuse d’entendre celui de l’autre. Il en va jusqu’aux mots qui n’ont plus même sens en manière telle qu’ils font contresens et, paradoxe de paradoxe, deviennent cause de conflit alors qu’ils étaient la base d’un langage de la communauté. Le droit l’a bien compris en créant la mission d’unicité de la Cour de cassation ; à défaut, le droit est condamné à se diluer jusqu’à l’anéantissement. Pour prendre un autre exemple : essayez donc de m’expliquer ce qu’Aya Nakamura dit ; il n’est pas grave qu’elle ne soit comprise que par son public ; il n’est pas inquiétant que ce langage nouveau ne soit pas accessible à tous mais il est interpellant qu’il soit source de sectarisme et de communautarisme. Autrement dit, si chacun joue selon ses propres règles la partie humaine, alors l’objet sociétal relationnel construit de diversités reconnues, partagées et compréhensibles devient impossible. Par contre, le repli identitaire est mortifère : là où les verts jouent au foot, l’équipe adverse bleu joue au rugby : à tous les coups ça finit mal. Cette attitude identitaire communautariste exclusive est assassine car elle est cause certaine de conflits mais surtout elle détruit l’essence interrelationnelle de l’Humain et la richesse de sa diversité en instaurant des strates imperméables dont l’acceptation se déguise derrière une pseudo tolérance poisseuse et hypocrite et curieusement prive de tout intérêt l’identité de l’autre en ce qu’elle est richesse différente puisqu’il n’y a plus d’échange possible. Evidemment, le regard accusateur et craintif se porte vers l’orient : l’islam serait la parfaite et unique démonstration de ce « communautarisme » sectaire et de ses conséquences violentes : donc le seul danger… C’est faire fi des leçons de l’’Histoire : la Saint Barthélémy n’a pas été faite aux cris d’Allahu Akbar et le nom même de « Wallons », protestants français qui fuirent les persécutions, devrait nous le rappeler plus souvent sans avoir besoin de visiter les pelouses de Douaumont ou de constater qu’il y avait peu de musulmans au Rwanda ou dans les rizières du Cambodge. C’est bien le refus de l’interaction, de l’interagir humain qui fait point commun dans cette « solidarité inversée » qu’on appelle guerres, émeutes, massacres, terrorisme… et l’islamisme radical n’en n’a malheureusement pas le monopole, c’est la langue clouée de Giordano Bruno qui nous le crie de son bûcher. Ce « monopole » attribué au Croissant est aussi rassurant que faux ! Timeo hominem unius libri… quel que soit le livre !
L’interaction ne se limite évidemment pas au vivant. Il en est de même de notre rapport au réel. S’il n’y a pas de « je » sans « nous », il n’y a pas plus de « je » sans « ça ». Pour ne pas l’avoir compris : Bhopal, Tchernobyl, Minamata, Fukushima, Seveso, vache folle, virus pandémiques… sans parler des forêts, de l’eau, de la terre, de la météo…Tout est dans tout, si le « je » est dans le « nous », le « je et nous » sont tout aussi indissociablement dans le tout et inversement (même si le cosmos peut vivre sans l’humanité) … que Dieu existe ou pas.
Un socle commun c’est aussi, aujourd’hui, lutter férocement contre le « toute information se vaut » et le, « tout locuteur a même crédit ». La « démocratisation » de l’information, son horizontalité c’est-à-dire l’application de ce qu’une voix vaut une voix est faux et entraine le discrédit sur toutes les informations, peu importe leur qualité intrinsèque puisqu’il n’y a plus de hiérarchie connue ou partagée. Curieux monde où un yaourt est plus contrôlé qu’une news… Ainsi traiter de même valeur le message que la terre est plate et que nous sommes gouvernés par un clan de lézards à apparence humaine avec le tableau de Mendeleïev ou les règles de l’électrodynamique sans parler des principes de la médecine, tue ce socle commun et apporte nécessairement nuisance à l’humain. Il me semble urgent d’établir un cadre garantissant la qualité et la responsabilité de l’information, sa vie, sa nécessaire critique et sa validité même si celle-ci peut et doit être relativisée. La question n’est pas tant sur la vérité que sur la qualité et certainement pas sur la sincérité. Curieux argument en effet qui ferait tenir pour vrai ce qui est dit sincèrement ; ainsi la crédibilité devient vérité… dès lors le père Noël existe vraiment, tous les enfants vous le confirmeront « sincèrement » et de manière crédible. Plus tragiquement en est-il ainsi de campagnes de lynchages médiatiques, organisées ou pas, où le soupçon devient accusation, l’accusation condamnation et l’exécution immédiate sans laisser la moindre place à la contradiction, à la nuance, à l’arbitrage. Malheur à l’innocent qui oserait contester, il revivra Moscou 1938. Ces procédés de tricoteuses de 1793, dignes de l’obscurantisme le plus abject et de la tyrannie la plus absolue, remettent au goût du jour le bannissement, l’ostracisme et la mort civile. Touchant aux capacités relationnelles de la cible sans espoir d’effacement, c’est véritablement un meurtre social et il est heureux que la justice commence à sévèrement condamner les auteurs … même « sincères ».
Il faut une hygiène sociale et la première chose, me semble-t-il, est d’interdire l’anonymat sur internet. Que chacun assume ! Car à défaut de règles, la solution connue et efficace, simple et rassurante s’imposera. La réponse en effet, au brouhaha du n’importe quoi est la détestable censure et le politiquement correct… qui tuent tout autant l’information !
La seconde question porte sur l’adhésion. Elle peut être forcée, induite ou assumée. Je plaide pour le Citoyen libre et responsable, source du socle commun. En cela, je reprends le principe que les Pouvoirs émanent de la Nation. Evidemment, et soyons de bon compte, une majorité n’a jamais fait une vérité, sinon la terre serait encore plate et la peine de mort d’application, de là le danger nouveau de la vérité quantitative mesurée au nombre de « like ». Mais une minorité n’a pas plus de légitimité contrairement à une vision platonicienne même si ce sont des « experts », des « sages » ou tout ce qu’on voudra car cette minorité ne représente qu’elle-même et n’a pas en soi d’adhésion automatique même si elle dit « vérité ». Politiquement, la difficulté, on le voit, est le lien entre le choix ou la connaissance du décideur et les Citoyens à qui cet élément va être présenté comme faisant partie du socle commun. C’est tout le problème de l’adhésion : vous pouvez démontrer Darwin ou Kepler, Newton ou Einstein… si vous êtes seul à y « croire », votre « vérité » est individuelle. C’est une conviction parmi d’autres qui n’a ni plus ni moins de valeur que le géocentrisme ou la terre creuse. Il en est de même du danger d’angélisme de la loi qui bien que parfaite est sans pertinence car sans adhésion. On peut penser aux lois contre le sexisme, l’antisémitisme, le racisme, le féminicide, l’homophobie ou le négationnisme. Se drapant d’autorité, elles s’imposent par la sanction là où la raison et l’éducation sont les seules vraies solutions. Mieux : ces lois deviennent symboles d’autoritarisme et donc « ratent » leur public cible. Facile de dire que le pouvoir en place a peur d’une vrai critique historique sur la Shoah et dès lors en fait un dogme non critiquable. Plus facile encore de dire que condamner le racisme c’est reconnaître qu’il y a des races, que parler de féminicides c’est réduire les femmes à leur faiblesse ! Et je pourrais continuer en évoquant, par exemple, le concept du privilège de l’homme blanc….porte ouverte actuelle aux pires dérives à venir.
Pour obtenir l’adhésion trois axes : la force, la manipulation et la responsabilité.
La force suffit à être évoquée. De la Tcheka au KKK en passant par tous les excès d’ici et d’ailleurs, il suffit d’y penser.
La manipulation est plus subtile et plus floue car elle oscille de l’information « objective » et l’éducation légitime, à la propagande la plus efficace. Il s’agit non plus de contraindre mais de convaincre.
Les sciences sociales regorgent de techniques pour obtenir l’adhésion … et cela fonctionne. Il serait stupidement dangereux de penser que seuls des imbéciles (hommes blancs croyants et de droite) ont soutenu Trump et tout aussi idiot de penser que tous les allemands sont devenus débiles en 1933 ; pas plus que la marche blanche du 20 octobre 1996 n’était formée que de complotistes hystériques ou que les lieux de cultes ne sont tenus que par des intégristes haineux et pédophiles.
Reste la troisième voie : l’adhésion par responsabilité. C’est le choix du citoyen libre et éclairé qui se sent en responsabilité de lui et de son monde car il en mesure la perpétuelle fragilité et l’absolue nécessité pour sa propre vie. Cela suppose l’éducation, l’information, l’esprit critique, l’échange social et politique, l’implication et l’exercice des libertés fondamentales : penser librement, se réunir paisiblement, manifester pacifiquement, échanger sans crainte ni contrainte. La sanction des excès doit être légalement prévue, connue et reconnue comme telle et les interdits proportionnels, nécessaires et subsidiaires au principe de Liberté. Bref, la reconnaissance par tous de la valeur de l’expression du « je », n’est ni absolue ni inexistante. L’adhésion suppose la confiance et la bonne foi. On le voit à l’occasion de la pandémie actuelle ; ce n’est pas la situation qui énerve le Citoyen, c’est le constat d’incohérence qui entraine le soupçon d’incompétence et la suspicion du mensonge. En cela, l’adhésion devient impossible et c’est bien alors la coercition qui représente la seule manière d’obtenir respect de la Loi. Cette contrainte est un échec. La loi est alors légale mais sa légitimité pose problème et l’adhésion n’y est pas. La confiance permet au Citoyen de ne pas exiger de tout savoir tout le temps ou d’exiger de tout comprendre tout le temps ; de même que le Juge est tenu au secret du délibéré et que cela est parfaitement accepté, ainsi le décideur, s’il a la confiance, n’a pas à tout dire, mais le Citoyen attend de l’un et de l’autre qu’ils respectent les règles et surtout ne mentent pas. En ce sens également, il aurait été bienvenu que l’un ou l’autre décideur politique dise clairement « On ne sait pas ! » plutôt que de se réfugier derrière des experts et d’en changer au gré des sondages. Faisant cela, ils perdent l’adhésion nécessaire tant en légitimité (critique d’incompétence) qu’en légalité (norme absurde), il suffit de penser à la saga des masques pour y voir les deux aspects ou, et c’est mon dada, relever les 506 modifications successives à la loi du 8 juin 2006 sur les armes … comment croire encore en une légitimité qui produit une loi illisible, imprévisible, incompréhensible, bref incohérente ?
On le voit, la qualité de l’adhésion se mesure aussi négativement. C’est dans son mode et son espace de contestation que se mesure la valeur du socle commun. Principalement, il convient de distinguer la désobéissance de la transgression. La désobéissance est la contestation du faiseur, délégué ou auto-proclamé, de la norme. Chez nous, cette contestation se porte par l’élection qui donne ou retire la légitimité au « porteur du pouvoir de dire le code commun ». De là, l’immense inquiétude de constater la désertion électorale. La désobéissance ne peut pas être confondue avec la transgression qui est le non-respect de la norme, qu’elle soit légitime ou pas. Chez nous, la Cour constitutionnelle et l’ordre judiciaire sanctionnent la transgression ; qu’elle porte sur un excès de vitesse, un meurtre ou le non-respect de la Constitution. Nier les modes culturels de contestation de l’adhésion, par exemple par le terrorisme mais aussi par la désinformation, c’est détruire le socle commun et donc le collectif et par là nuire à chaque individu en ce qu’il est et en son devenir. Rien de nouveau en cela, il suffit de relire le dialogue de Socrate sur la nécessité de la Loi.
Alors, nous, Avocats, où serait notre place dans cette question de solidarité ? Elle est l’une des plus belles puisque nous créons le dialogue d’intérêts individuels et collectifs devant l’arbitre construisant l’adhésion au socle commun au bénéfice de chacun. Nous sommes les « diseurs » publiques du « Je », ceux et celles qui nourrissent le collectif, le font se questionner, évoluer, s’adapter, changer bref vivre et ce pour le bien de chaque individu.
En ce sens nous, avocats, ne faisons rien d’autre que participer à l’élaboration du « bien vivre ensemble ». Même Jacques Verges, dans son livret intitulé « le procès de rupture », ne fait rien d’autre qu’en apporter démonstration par paradoxe car il n’échappera à personne que sa contestation de la légalité et de la légitimité du jugement était portée… devant le Juge. La vraie rupture eût été de ne pas y aller.
Ainsi la Solidarité n’est jamais une question, c’est un élément objectif de la condition humaine.
Yves Demanet,
Avocat au barreau de Charleroi