« - Et que nous aurions accès à tout, pas seulement aux messages de nos cocos ?
- Vous y êtes.
Le divisionnaire n’en revenait pas : les flics belges avaient fait sauter un verrou informatique permettant l’ouverture de milliers d’enquêtes dans le monde sur une armada de truands qui pratiquaient leur business en toute impunité.
- En termes d’analyse cela représente combien de données ?
- C’est là que le bât blesse, car il y a énormément d’organisations criminelles – les meilleures clientes de la société TLX –, leurs membres, les sociétés véhicules du blanchiment, les notables corrompus… La preuve pour les imbéciles qui en douteraient encore que le monde est dirigé par des malfaiteurs et que l’argent sale circule sans frontière pour mieux asseoir leur pouvoir.
- Oui, mais, concrètement, cela fait combien de messages à lire ?
- À vue de nez, je dirais … un milliard. »
Nous connaissons tous l’histoire. En mars 2021, la police belge réussit à « craquer » le système de cryptage des téléphones Sky ECC qu’utilisait la pègre pour communiquer à l’abri des oreilles indiscrètes, qu’il s’agisse de la police, des services secrets ou des petits génies de l’informatique. C’est une manne d’informations, précieuses et sensibles, gigantesque qui est ainsi livrée à nos enquêteurs.
Michel Claise s’en empare pour construire cette passionnante intrigue qui nous fait passer de Shanghai à Rome, puis à Anvers et à Bruxelles, dans les milieux du grand banditisme, le territoire des triades, de la mafia, de la camorra, de la ndrangheta et autres enfants de chœur… Il connait son sujet puisqu’il s’agit de son pain quotidien.
Voyage, donc, au pays de ces hommes sans le moindre scrupule qui pratiquent l’assassinat et la torture comme nous ouvrons un livre ou la télévision. Et qui pourtant ont presque l’air ordinaire. Ils travaillent, aiment, élèvent leurs enfants, apprécient un bon restaurant et une bonne bouteille … Presque des sujets modèles, en apparence.
Je ne révèlerai évidemment pas l’intrigue car, au-delà de la dénonciation, l’histoire est plaisante, intrigante, passionnante. Arrêtons-nous à ces petits passages où Michel Claise nous fait toucher du doigt la gravité de la situation. Car ce milliard d’informations est à disposition mais encore faut-il le traiter et, nous le savons, notre justice n’en a pas les moyens.
« - Pourquoi ne pas confier cela au grand banditisme ? suggéra Hugo.
Monseigneur mit fin à la discussion.
- Parce que le « grand ban » ne veut pas s’en occuper. Une tâche trop…
- … intellectuelle, railla Luc.
- Non, ce sont des gens de terrain. Et débordés, en plus.
- Donc, nous perdons, disons, la moitié de nos effectifs dans les enquêtes normales ? Et le juges, ils vont en penser quoi ?
- Les juges ne sont pas payés pour penser. Ils feront avec, c’est comme ça. »
C’est comme ça. Nous le savons. Et cela se passe près de chez nous. Chez nous. Il n’y a pas d’argent pour la Justice. Nous nous contenterons donc de quelques « belles prises » réalisées un peu au hasard lorsqu’une information ne sera pas trop compliquée à exploiter. Cela fera les titres des journaux. Quelque part, à Dubaï, à Hong Kong ou à Naples, quelques parrains auront un sourire un peu crispé. Ils tapoteront quelques instructions sur leur portable. Puis retourneront au bord de la piscine.
Et nous nous continuerons à faire avec…, dépassés par ces enjeux, tant bien que mal.
« - Pourrais-je parler à Me Geeraerts, s’il vous plaît ?
- Il n’est pas là. Me Geeraerts est en vacances et rentrera le 1er septembre. Puis-je vous aider ?
- Non, merci, je prendrai contact avec lui à son retour, répondit Ludo en jubilant. Il dressa aussitôt un procès-verbal actant l’absence de l’avocat dont le suspect avait fait choix « pour raison de vacances jusqu’à la fin du mois », avec l’heure de la conversation téléphonique. Il restait à prévenir l’assistance judiciaire. Le volontaire se présenta à treize heures, un jeune stagiaire frais émoulu de l’université, qui fréquentait les commissariats et les cabinets des procureurs pour la première audition avant d’être remplacé par une pointure du barreau. Conformément à la loi toujours, le stagiaire eut droit à une concertation d’un quart d’heure avant le début des hostilités. Elle dura trois minutes. Piet Hersens sortit furibard du bureau réservé à l’entretien… »
Avec les moyens du bord …
Patrick Henry,
Ancien Président