Le CCBE a mis à jour en 2020 son guide pratique pour les avocats intitulé « La Cour européenne des droits de l’homme : Questions /réponses destinées aux avocats ». Si vous ne connaissez pas encore cet outil, vous le trouverez via ce lien.
Entretemps, le Protocole n°15 qui était évoqué dans ce guide[1] entrera en vigueur le 1er août 2021 à l’égard de l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe.
Ce protocole apporte cinq modifications à la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention) :
- Délai réduit de 6 à 4 mois pour le dépôt des requêtes
L’article 35 de la Convention est amendé par l’article 4 du Protocole n°15 en ce qu’il réduit de 6 à 4 mois le délai d’introduction du dépôt d’une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour).
Dans son rapport explicatif, le groupe de rédaction du comité d’experts sur la réforme de la Cour a notamment justifié la nécessité de réduire ce délai par le développement des technologies de communication plus rapides.
Bien entendu, ceci ne tient malheureusement pas compte du fait que tous les requérants (qui ne sont pas nécessairement représentés par un avocat) n’ont pas tous accès, en pratique, aux nouvelles technologies de communication.
De plus, si, la Cour a mis en place un service « eComms » afin de permettre la communication électronique avec le représentant d’un requérant, ce service n’est pas encore suffisamment développé et ne s’applique pas aux requêtes individuelles sans représentation d’avocat. De plus, il n’est activé que lorsque les requêtes parviennent à un stade de la procédure où le gouvernement concerné est invité à produire des observations écrites.
Ainsi, d’aucuns craignent que cette nouvelle mesure soit de nature à restreindre le droit de recours des justiciables, a fortiori les recours individuels.
Si le Protocole n°15 entre bien en vigueur le 1er août prochain, une disposition transitoire (article 8.3) du Protocole n°15 prévoit toutefois que la mesure- relative à la réduction du délai de 6 à 4 mois entrera seulement vigueur 6 mois plus tard, soit le 1er février 2022.
Notons encore que le nouveau délai n’a pas d’effet rétroactif. En d’autres termes, il ne s’applique pas aux requêtes au regard desquelles une décision définitive du juge national a été prise avant le 1er février 2022.
- Référence au principe de subsidiarité et à la doctrine de la marge d’appréciation
L’article 1 du Protocole n°15 ajoute un nouveau considérant, à la fin du préambule de la Convention, se référant au « principe de subsidiarité » et à la doctrine de la « marge d’appréciation ».
Le préambule de la Convention n’avait jamais été amendé depuis 1950[2]. L’ajout témoigne de la volonté des auteurs d’intégrer dans la Convention les principes, bien ancrés dans la jurisprudence de la Cour, selon lesquels les Etats parties disposent d’une marge d’appréciation lorsqu’ils appliquent et mettent en œuvre la Convention et que ces rôles leur reviennent en priorité, « les autorités nationales [étant] en principe mieux placées qu’une cour internationale pour évaluer les besoins et les conditions au niveau local ».[3]
Cette sacralisation du principe de subsidiarité dans le Préambule de la Convention révèle aussi d’une certaine manière l’inquiétude de certains Etats face à l’étendue du pouvoir de contrôle de la Cour[4].
- L’âge des candidats juges
Un nouveau paragraphe 2 est introduit à l’article 21 de la Convention afin d’exiger que les candidats soient âgés de moins de 65 ans à la date à laquelle la liste de trois candidats est attendue par l’Assemblée parlementaire. Ceci tend à permettre aux juges hautement qualifiés d’exercer leur fonction durant l’intégralité de leur mandat de neuf ans renforçant ainsi la cohérence de la composition de la Cour.
- Dessaisissement en faveur de la Grande Chambre
L’article 3 du Protocole n° 15 supprime le droit d’opposition des parties au dessaisissement d’une affaire par une chambre en faveur de la Grande Chambre, prévu à l’article 30 de la Convention.
Cette modification est issue d’une proposition de la Cour elle-même visant à améliorer la cohérence de sa jurisprudence[5]. La mesure a été justifiée également par la volonté d’accélérer l’examen « des affaires qui soulèvent une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou de ses protocoles ou qui peuvent potentiellement conduire à s’écarter de la jurisprudence existante »[6].
Une disposition transitoire prévoit que cet article « ne s’appliquera pas aux affaires pendantes dans lesquelles l’une des parties s’est déjà opposée, avant l’entrée en vigueur du Protocole, à une proposition de dessaisissement d’une chambre au profit de la Grande Chambre »[7].
- Critère de recevabilité : le préjudice important
Conformément à l’article 35 § 3.b de la Convention, la Cour pouvait déclarer irrecevable une requête individuelle en l’absence de préjudice important « sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne ».
L’article 5 du Protocole amende cet article en supprimant la seconde condition, à savoir que l’affaire n’ait pas été dûment examinée par un tribunal interne. Le critère du préjudice important se voit dès lors renforcé au détriment du droit au recours individuel[8].
Le « Groupe de rédaction » indique que l’objectif est de conférer un plus grand effet à la maxime de minimis no curat praetor[9] précisant toutefois que « l’exigence d’examiner le bien-fondé de la requête si le respect des droits de l’homme l’exige demeure »[10].
A l’exception de la restriction du critère de recevabilité et du nouveau délai de recours, le Protocole n°15 n’a pas débouché sur d’autres grandes réformes. Restons cependant attentifs à ce que le droit de recours individuel, pierre angulaire de la Convention, ne soit pas mis à mal à l’avenir dans le mouvement des réformes qui visent à garantir la pérennité du système de contrôle de la Cour dans un contexte de défiance croissante de la part de certains Etats à son égard[11].
Céline Verbrouck
Avocate au barreau de Bruxelles
Membre de la délégation permanente du C.C.B.E. auprès de la CourEDH
[1] CCBE, « La Cour européenne des droits de l’homme : Questions /réponses destinées aux avocats », 2020, p. 6 et p.8.
[2] V. Berge , « Le Protocole °15 et les praticiens du droit » , publié le 24 juin 2013, consulté le 2 juin 2021 ; https://www.coe.int/en/web/help-country/-/le-protocole-n-15-et-les-praticiens-du-droit
[3] Rapport explicatif sur le Protocole n°15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, série des traités du Conseil de l’Europe, n°213, 14 juin 2013, p. 2.
[4] V. Berge , « Le Protocole °15 et les praticiens du droit » , publié le 24 juin 2013, consulté le 2 juin 2021 ; https://www.coe.int/en/web/help-country/-/le-protocole-n-15-et-les-praticiens-du-droit. Voir aussi : F. Krenc, « « Dire le droit », « rendre la justice ». Quelle Cour européenne des droits de l’homme ? », Rev. trim. dr. h., n°114, 2018, p.329.
[5] Avis de la Cour sur le projet de protocole n°15 à la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée le 6 février 2013, p. 2.
[6]Ibidem., p. 3.
[7]Ibidem., p. 4 ; Article 8.2 du Protocole n°15.
[8] M. Zani, « La réforme du système européen de protection des droits de l’homme : réflexions sur l’apport du Protocole additionnel n°15 », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°12, 2014, consulté le 2 juin 2021, http://journals.openedition.org.ezproxy.ulb.ac.be/crdf/1970
[9] En d’autres termes, que la Cour ne s’occupe pas des affaires de moindre importance.
[10] Rapport explicatif sur le Protocole n°15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, série des traités du Conseil de l’Europe, p. 4.
[11]F. Krenc, op.cit., p.328.