Embarrassé de trop travailler ou honteux de profiter de bons congés en ces vacances de Carnaval, retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !
L’expression: Faire Amende honorable
Certains plaideurs avertis ont sans doute déjà lancé nonchalamment à un Président dubitatif le fameux “Maaiiiiis, mon client a fait amende honorable, Monsieur le Président”...
Savaient-ils vraiment à quoi ils engageaient leur client ce faisant ?
Certes, l’expression fut utilisée jusqu’au XIXe siècle dans un cadre juridique, s’agissant de reconnaître ses torts devant un tribunal et de demander pardon, et les dits plaideurs avertis ne peuvent donc que se féliciter de leurs diatribes sur le sujet.
Mais c’est au XVIe siècle que l’expression fait son apparition, d’abord avec un sens bien plus fort qu’aujourd’hui puisqu’il est question de pénitence publique alors que depuis le XVIIIe siècle, on l’utilise pour de simples excuses.
L’amende honorable s’opposait donc à l’ « amende profitable » qui était une compensation en argent. On le sait, c’est le sens qui nous est resté pour le mot « amende » quand il est utilisé seul. Pour effacer son tort, on paye donc une amende, pure et simple, en argent sonnant et trébuchant.
Mais que le plaideur ne se fourvoie pas..., il est bon de rappeler que l’amende appelée honorable était, en France, et en Nouvelle-France, sous l’Ancien Régime, en termes de droit, une peine infamante, plus grave que le blâme, mais moins que l’exposition publique, le fouet, la mutilation, les galères ou le bannissement.
La personne condamnée à l’amende honorable devait reconnaître publiquement sa faute et « en demander pardon à Dieu, à la société et aux hommes ». La peine pouvait être simple et, dans ce cas, le condamné n’était pas revêtu des incapacités juridiques liées à l’infamie, à savoir la déchéance du droit d’exercer certaines professions, y compris de la noblesse et des ordres sacrés.
Cette peine, très courante, pouvait être donnée seule, pour des fautes de peu de gravité, comme un attentat à la pudeur, une insulte, un sacrilège ou une malversation dans les comptes publics, ou en conséquence de fautes plus graves, y compris celles emportant la peine capitale.
La peine elle-même était exécutée dans un lieu public, souvent le portail de l’église la plus proche du lieu du délit ou du crime, après affichage de la condamnation, en présence d’un juge, d’un prêtre et des personnes lésées. Le condamné était vêtu d’une chemise, et pieds nus, portant dans chaque main un cierge. Il se mettait à genoux pour dire la formule d’amende honorable qui était précisée dans le jugement. S’il était condamné à mort, il portait aussi la corde au cou. La peine entraînait le déshonneur du condamné et concernait en fait essentiellement l’aristocratie.
Elle fut appliquée régulièrement durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Elle fit aussi partie de la peine prévue sur la loi sur le sacrilège, votée en 1825 sous la Restauration.
Cette peine n’avait pas pour fonction de préserver le salut de l’âme, on le sait, la confession remplit ce rôle, mais de purger la faute civile en annulant l’outrage et en interdisant la vengeance.
On peut certainement rapprocher cette expression de la pénitence de Canossa (janvier 1077), moment (et donc lieu) clef du conflit médiéval entre la papauté et le souverain germanique, au cours duquel le roi des Romains, l’empereur Henri IV d’Allemagne vint s'agenouiller devant le pape Grégoire VII afin que celui-ci levât l'excommunication prononcée contre lui, et qui donna naissance à l’expression, « aller à Canossa », à savoir reconnaître ses erreurs de façon humiliante… mais ceci est une autre histoire…1
Actuellement, heureusement (ou pas), faire “amende honorable” recouvre un autre sens, à savoir que dans le cadre d’un processus de rétablissement, de prise de conscience, et/ou d’élévation spirituelle, l’on peut éprouver le besoin de reconnaître ses torts et les préjudices qu’ils ont causés. L’on mettra tout en œuvre pour réparer ses torts. Cette notion est développée dans le cadre des programmes en douze étapes (étapes 8 et 9) du Modèle Minnesota (modèle thérapeutique développé aux Etats-Unis au début des années 50).
Cette démarche apporte une source d’apaisement en permettant aux personnes de réparer leurs torts avec honnêteté, dignité et humilité.
“Amender” consiste donc à améliorer, modifier en bien. “Honorable” se rapporte à l’honneur. L’expression “faire amende honorable” comporte donc l’idée de réparer son honneur. Le sens moderne, proche du sens ancien, est : présenter des excuses et demander pardon à propos d’un manquement aux règles de bonne conduite.
Pour nos amis linguistes, nous retiendrons que les anglais préfèrent manger de la tarte humble (to eat humble pie), tandis que dans la péninsule ibérique, il fait bon donner son bras à tordre (dar su brazo à torcer) ou chanter la palinodie (cantar la palinodia).
L’injure : falot
Le mot vient de « fallace », « tromperie », et de « fallacieux », « mensonger ». Un falot était celui qui faisait des blagues grotesques et de mauvais goût. Le mot désigne aussi une lanterne, pour une ronde ou placée en haut du mat d’un bateau par exemple. Le lien entre l’individu gai, fou et capricieux pourrait se faire avec une chose qui vacille comme la lumière d'un falot, cette lanterne portée à la main pour les rondes militaires2. Ou selon Beaumarchais : « Un sot est un falot ; la lumière passe à travers »3. Une autre origine est proposée : de l'anglais fellow, la première attestation est sous la forme substantive mon gentil fallot qui traduit good fellow ; est devenu adjectif et péjoratif par la suite. En argot militaire, il s’agit aussi du conseil de guerre. L’adjectif désigne une chose insignifiante ou, par le passé une personne plaisante et comique.
« La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots ! »4
Le mot : bouquiner, v.tr.,
S’accoupler, en parlant du lièvre.
La curiosité : la famille bouse et bousiller
Le nom bouse, « excrément de vache », est un terme ancien, puisqu’on le relève dès le début du XIIIe siècle. Bouse était d’usage courant, mais il faudra attendre 1554 pour rencontrer son verbe dérivé bousiller, qui avait alors le sens de « construire en torchis » : en tant que matériau méprisé, le torchis était assimilé à la bouse.
Plus tard, en 1690, le participe passé bousillé est attesté avec les sens de « fait de mauvais matériaux » et de « mal fait ». Le sens de « gâcher, abîmer » s’impose dès lors, et c’est le sens donné par l’Académie française à bousiller dans son dictionnaire de 1694. Par euphémisme, bousiller prendra ultérieurement le sens de « tuer », relevé en 1897 : bousiller quelqu’un, c’est en effet l’abîmer au plus haut point, si l’on peut dire.
Jean-Joris Schmidt,
Administrateur
--------------------
1 L’Empereur n’avait rien trouvé de mieux que de proclamer la déchéance du pape après le conflit des investitures et le pape décidé de l’excommunier. Les vassaux de l’empereur refusèrent de continuer à la suivre. L’Empereur rencontra donc le Pape au château de Canossa. Il dut subir l’humiliation de se coucher devant le pape qui ne lui donna une réponse positive que trois jours plus tard après avoir laissé ruminer l’Empereur en costume de pénitent et pieds nus dans le froid au mois de janvier. C’est en 1872 que Bismarck utilisa l’expression « Nous n’irons pas à Canossa » devant le Reichstag. Il voulait ainsi exprimer son désaccord avec le Vatican qui soutenait le parti catholique allemand, et son refus de céder aux injonctions du pape, alors que Bismarck, qui avait des volontés trop laïques aux yeux du pape Pie IX, venait de se voir refuser l'envoi d'un ambassadeur allemand au Vatican. Bismarck voulait donc dire par là : "Nous ne nous humilierons pas en cédant aux Catholiques".
2 Dictionnaire de l’Académie française
3 BEAUMARCHAIS, Mère coup. II, 8
4 Arthur RIMBAUD, Le Bateau Ivre, extrait.