Une grenouille dans une casserole d'eau froide …

Après le 11 septembre 2001, les autorités du monde entier ont reçu un blanc-seing de leurs populations respectives pour lutter contre le terrorisme … par tous les moyens.

Pour légitimer son action, il faut d’abord choisir les bons mots : si on veut faire admettre une intrusion spectaculaire dans la vie privée de chaque citoyen – pour ‘détecter’ uniquement les terroristes … – autant l’appeler le PATRIOT Act.

Si le seul lyrisme de ce mot (qu’on entend beaucoup ces derniers temps, ‘même en Europe’, tel un bruit de bottes …) ne convainc pas, il faut rappeler qu’il s’agit d’un acronyme de Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism.

Fournir les outils appropriés nécessaires pour intercepter et entraver le terrorisme. Qui dirait non ?!

Parmi les outils, on a prévu que tout ce qui passerait comme information sur le territoire des USA pourrait être – et serait, comme de juste – ‘scruté’.

Le territoire est entendu au sens le plus large. Si le traitement de votre carte ‘de grande surface’ est confié à un système d’exploitation américain (et il l’est quasi toujours), la plus grande démocratie du monde sait ce que vous avez mangé mardi, mais aussi que vous avez des hémorroïdes : votre mutuelle ne vous a pas délivré une carte magnétique ? Aimerez-vous qu’elle sache également que vous avez … avorté ?

Les dispositions épineuses de ce (très long) Act n’avaient été votées qu’à titre provisoire. En 2005, on ne baignait plus dans l’unanimisme créé par le choc de l’événement, mais la reconduction du texte fut quand même votée. Détail navrant : seuls 2 articles y étaient encore temporaires !

Pour prolonger, il faut non seulement l’adhésion mais aussi la collaboration (le mot est choisi) des citoyens, les encourager à signaler « tout comportement suspect ». Création immédiate de 2 catégories de citoyens : les délateurs et les suspects. La casserole de mon titre devient moins froide.

La NSA a passé au crible une masse insensée d’informations individuelles : données de sécurité sociale, préférences sexuelles, fréquentation d’allochtones, affiliation syndicale, crédits en cours, habitudes d’achat, abonnements de presse, etc., avec l’autorisation d’une cour fédérale créée à cet effet (et dont l’acronyme est troublant) : la Foreign Intelligence Surveillance Court (FISC).

En juin 2013, Edward Snowden révèle par voie de presse cette moisson de métadonnées. Le Patriot Act est partiellement remplacé (juin 2015) par le Freedom Act (encore le choix des mots) mais les autorités peuvent encore avoir accès aux données SI elles prouvent un ‘lien’ avec le terrorisme.

Il faut rappeler que cette législation, même évolutive, permet toujours actuellement la détention de “combattants illégaux”, sans limite de temps et sans chef d’accusation, dans la base de Guantanamo, et qu’elle a, dans une certaine mesure, légitimé la torture. “Oui, mais pas sur notre sol ...”.

Et chez nous ? Soyons de bon compte, ce n’est que parce que les États de l’Union n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur ses termes que le Règlement européen E-Evidence (avec une semblable intrusion, en très bref) n’a été publié que le 28 juillet 2023, après 7 années de négociations …

Ce règlement vise, paraît-il, à améliorer la capacité des autorités judiciaires et policières des différents États membres à mener à bien des enquêtes pénales dans un contexte de numérisation de la société, tout en garantissant les droits et libertés fondamentaux de chacun.

Nous sommes priés de croire à la dernière portion de phrase : les autorités de chaque État vont contrôler la légitimité de la démarche ? On n’est pas rendus.

Le constat est limpide, même pour les plus optimistes : on assiste à une nouvelle forme de régime, le totalitarisme numérique. Le cauchemar d’Orwell.

En Chine, la surveillance électronique et la collaboration de la population n’ont pas paru suffire.

Ndr : Les caméras sont innombrables ici aussi. Je me souviens qu’à la lecture d’Une Amérique qui fait peur (1996 – Edward Behr), j’avais dit que je quitterais Liège si d’aventure, un jour, des caméras s’y implantaient. Il y en a aujourd’hui des centaines, et mon eau n’est devenue que tiède.

En 2008, Xi Jinping, président (à vie ?), a mis en œuvre un système de caméras de surveillance généralisé ‘afin d’assurer la sécurité lors des Jeux olympiques’ (notez-le). Il est devenu permanent depuis lors. Si un méchant Chinois sort des clous, on peut lui interdire (par exemple) d’entrer dans certains lieux, ou même de se déplacer. Noooon !?

La plupart des démocrates autoproclamés d’Occident ont poussé des cris d’orfraie. Une ignominie pareille, a-t-on entendu dans une belle unanimité, ça n’arriverait jamais chez nous ! Ah bon ? 

Pourtant, au gré de la vague terroriste de 2015-2016 en Europe, nos bons démocrates se sont rués sur la nécessité de ‘resserrer les boulons’. La casserole commençait à chauffer …

NB : Ceux qui n’ont pas vu pas vu le documentaire d’Arte "Tous surveillés : 7 milliards de suspects" doivent s’y précipiter ! Quand on sait qu’il a été tourné avant la pandémie, ça fait plus peur encore. Il y est suggéré en passant qu’un ministre français de l’époque se serait intéressé de très près à ces techniques de surveillance et au système de crédit social qu’elles ont permis d’instaurer. Il est devenu président de la République en 2017 et je n’ai jamais lu de démenti de sa part. Il avait sans doute d’autres chats à fouetter, comme récemment : on dit, pour rire, que McKinsey lui aurait suggéré dix solutions et qu’il aurait compris dissolution

La vague terroriste de 2015-2016 avait ranimé le syndrome du Nine Eleven ; le covid a “fini le travail”.

J’ai déjà parlé de l’interdiction de se déplacer ou d’accéder à certains lieux ? Noooon !? Je ne vais pas remettre une pièce dans le juke-box sur ce que cette sale bête a pu détruire dans nos têtes et nos libertés, mais je m’autorise à renvoyer à ce que je disais dans l’open barreau (de Liège), sous le titre Bon baisers des vî russ, le 3 avril 2020, sur les dérives sécuritaires (qui ne faisaient que commencer). Juste un mot : Le « QR code » que des millions de Chinois doivent apposer à côté de leur sonnette (devenue inutile) semble bien plus performant que l’étoile de David. Les Ouïghours acquiescent.

Cette année, nos amis Français ont installé partout dans Paris des caméras intelligentes (!) “pour assurer la sécurité de leurs ressortissants et des touristes pendant les J.O.” (v. plus haut), avec la promesse formelle qu’il s’agirait, bien évidemment, d’une mesure … temporaire.

Leur nouveau gouvernement (curieusement composé des 2 partis les plus battus aux élections …) “envisage de généraliser la vidéosurveillance algorithmique expérimentée pendant les JO”, et son ministre de l’Intérieur a déclaré qu’à son estime, "L'état de droit, ça n'est pas intangible, ni sacré". La surface de ma casserole se met à frémir sérieusement.

Quand on s’en émeut, on encaisse des répliques navrantes : “Aux grands maux les grands remèdes” et autre ”Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a pas peur des caméras !”. Ça doit être reposant d’avoir 8 ans d’âge mental …

Je présume que ces thuriféraires de “La sécurité a un prix” (et Çui qui s’plaint n’a qu’à aller en Corée du Nord) ne verront pas d’inconvénient à ce que toutes leurs conversations téléphoniques soient écoutées.

Les caméras qui permettent d’enregistrer les déplacements quotidiens permettront vite – puisqu’elles sont destinées à anticiper lescomportements suspects – de voir débarquer à tout moment, le bras armé du pouvoir : “N’avez pas pris le même chemin que d’habitude pour aller à la sandwicherie, z’avez une explication ?” ou encore “Z’avez filé une pièce à un mal rasé (basané, en plus) : savez c’que c’est, le blanchiment ?”…

Et si un enregistreur mal réglé a entendu votre réponse, au téléphone, à la question On se retrouve où ? : « À la Kwak-Bar » …

Je suis un ignorant en la matière mais est-il raisonnable de penser qu’une caméra pourrait se précipiter sur un délinquant et le désarmer ? En quoi anticipe-t-elle, sinon ? À moins que le but soit que la population puisse voir, en léger différé, un braquage (de malfrats … cagoulés). Effrayée, effarée si possible, elle adhèrera au projet.

On pourra ainsi viser tout comportement "asocial" – lire : contraire à ce que le pouvoir en place juge ‘conforme’. La conformité d’un jour n’est souvent plus celle du lendemain. Idem pour le pouvoir en place. Ce n’est pas parce que le citoyen estime n’avoir rien se reprocher qu’on ne lui reprochera rien.

Moi, c’est justement parce que je n'ai rien à me reprocher que je ne veux PAS être surveillé !

Je badine et, pendant ce temps-là, l’Italie envoie le nouveau bouc émissaire de tous les maux de l’Europe, le migrant, dans deux camps en … Albanie. Enfin, on disait Camps en mai ; à présent, on dit déjà Centres … Le projet MIRREM (Measuring Irregular Migration) indique pourtant que le nombre d’étrangers en situation irrégulière dans l’UE reste stable depuis 2008 (+/- 1% de la population).

L’UE avait déjà concocté un méprisable pacte européen sur l’asile et la migration, avec des moyens TRÈS importants consacrés, notamment, à l’édification de camps sur les routes migratoires : on va intensifier le financement de régimes douteux pour qu’ils pourchassent, détiennent et trient des êtres humains ? “Quoi encore, avec tes droits de l’Homme ? Tu nous paies pour ça, tartuffe !”.

Et “on” veut aller plus loin encore ? Une majorité des pays de l’Union demande à cette dernière de trouver des “solutions innovantes” (10/2024). La Belgique va cautionner “ça” ? Au soir des élections communales, notre pressenti Premier ministre a claironné qu’il allait s’attaquer aux graves problèmes de la Belgique et, prioritairement, à l’immigration ! Le journaliste n’a pas moufté

Elle n’a sans doute rien senti venir, mais il me semble que la grenouille est cuite. Allez, j’en remets une louche ; musique : “Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?”

Que faire ? Je l’ignore. Ne représentant que moi, je leur conteste en tout cas, à tous, le droit de prétendre qu’ils font ça en mon nom. Et si nous étions nombreux, peut-être que …

Jari Lambert, 
Avocat au barreau de Liège


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