Sans la liberté par François Sureau

Sans la liberté, par François Sureau,
Paris, Tracts.Gallimard, 2019, 62 p., 3,9 €.

 

La liberté n’a jamais cessé de me surprendre ; pour ses promesses quand j’étais jeune et, plus tard, pour la facilité avec laquelle nous étions portés à oublier ses exigences, ou, pire encore, à en dédaigner la valeur. Cette expérience restera celle de ma génération.

Ainsi s’ouvre le 8e volume de la petite collection « Tracts.Gallimard » (Elle compte déjà des contributions d’auteurs comme Régis Debray, Erri De Luca ou la gilet jaune Danièle Sallenave). Quand j’écris « petite », je veux dire qu’il s’agit de petits essais (moins de cent pages) édités avec un souci d’économie manifeste, de façon à ce que leur prix soit particulièrement attractif (3,9 € !).

Antoine Gallimard présente la collection en se référant aux essais publiés dans les années ’30 par la NRF, signés par André Gide, Jules Romains, Thomas Mann ou Jean Giono : « à l’heure du soupçon, il y a deux attitudes possibles. Celle de la désillusion et du renoncement, d’une part, nourrie par le constat que le temps de la réflexion et celui de la décision n’ont plus rien en commun ; celle d’un regain d’attention, d’autre part, dont témoignent le retour des cahiers de doléances et la réactivation d’un débat d’ampleur nationale. Notre liberté de penser, comme au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de comprendre ».

Que les gouvernements, celui d’aujourd’hui comme les autres, n’aiment pas la liberté, n’est pas nouveau. Que des populations inquiètes du terrorisme ou d’une insécurité diffusent, après un demi-siècle passé sans grandes épreuves et d’abord sans guerre, ne soient pas portées à faire le détail n’est pas davantage surprenant. Mais il ne s’agit pas de détails. L’Etat de droit, dans ses principes et ses organes, a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes des peuples n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre politique, et d’abord la liberté. C’est cette conception même que, de propagande sécuritaire en renoncements parlementaires, nous voyons depuis vingt ans s’effacer de nos mémoires sans que personne ou presque ne semble s’en affliger.

François Sureau, avocat à Paris, en charge notamment des recours exercé par la Ligue des droits de l’homme devant le Conseil constitutionnel contre toutes les lois liberticides[1], est un peu devenu Monsieur Libertés. Il n’a de cesse de traquer tous les reculs, toutes les restrictions que l’on nous impose au prétexte de la nécessité d’assurer notre sécurité. Et il observe que, le plus souvent, il ne s’agit bien que de prétextes : nécessité d’assurer notre sécurité il y a, bien sûr ; mais il est rare que les restrictions que l’on impose à notre liberté aient, à cet égard, une quelconque efficacité.

Il y a une fameuse dose d’amertume dans le propos. Notre génération a perdu le sens de la liberté. Il a suffi de quelques attentats pour que nous envoyions bouler la Déclaration universelle des droits de l‘homme. Est-ce le fruit d’un égoïsme forcené ? Bernanos écrivait que la liberté des autres lui est aussi nécessaire que la sienne. Qui pense encore comme lui ? Nous sommes-nous repliés sur nous-mêmes au point d’être incapables de réagir lorsque l’on porte atteinte aux droits de ceux qui n’ont pas notre couleur, notre nationalité, nos coutumes, notre culture, nos opinions…

Les gouvernements n’ont pas changé. C’est le citoyen qui a disparu.

Le citoyen est en effet non celui qui se satisfait de poursuivre son but propre, mais celui qui maintient vif le souci des buts des autres. La « fraternité » portée sur la devise républicaine ne désigne pas d’abord le devoir d’assistance aux plus faibles ni même la solidarité au sens que nous donnons couramment à ce mot. Cette fraternité-là est de nature politique et c’est elle dont nous avons perdu le sens.

La génération qui nous suit est-elle capable d’inverser cette tendance ? Au vu de ses premières réalisations, ce n’est pas sûr, nous dit François Sureau. N’a-t-elle pas cédé aux sirènes sécuritaires plus vite encore ? Ou alors celle d’après ? L’urgence climatique suscitera-t-elle un vent de solidarité qui permettra d’emporter tous les murs que nous édifions en nous glorifiant pourtant d’en avoir abattu un il y a une trentaine d’années ?

Ce qui fait passer du sentiment individuel à l’action politique, et qui assure, comme un conducteur, que l’élan aux origines imprécises et chaque fois personnelles ne se perde pas, c’est, peut-être, le sens de l’honneur. Je suis plus attaché à notre honneur collectif qu’à ce pavillon des droits de l’homme qui couvre trop de marchandises différentes pour qu’il soit possible de s’en réclamer autrement que sous bénéfice d’inventaire, quand bien même ceux qui en médisent ou qui les récusent m’inspirent de la méfiance toujours, de la colère parfois.

Je ne me serais pas donné le ridicule d’écrire ce mot d’honneur qui est trop grand pour moi, pour nous peut-être, si je n’avais eu souvent l’impression ces dernières années qu’il était tout près d’être oublié, un vieux mot à demi effacé par l’usage et par l’abus, comme laissé pour mort au bord d’une route, le cadavre d’un oiseau devant lequel le passant s’arrête en se demandant à quelle espèce inconnue il a bien pu appartenir. Je ne désespère pas que nous parvenions à le réanimer. Il n’y faut après tout que du souffle et de la patience. De l’intelligence aussi…

Un monde perdu ? Non, quelque chose a survécu. Et ce quelque chose vit encore dans la poitrine de François Sureau. Luttons. Avec lui.

 

Patrick Henry,
Ancien Président

[1] Voyez Pour la liberté, que j’ai eu le plaisir de commenter en 2018.

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