Les pieds dans le plat (de gaffes)

Au lendemain de la Saint-Valentin, retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !

L’expression : Les pieds dans le plat

« Monsieur, désirez-vous rajouter quelque chose à la plaidoirie de votre avocat ? ». De grosses gouttes de sueur ont déjà déferlé sur nos fronts anxieux et plissés d’angoisse au moment de la réponse du client, alors que nous implorions en nous-mêmes et en français, car nous parlons les deux langues, le dit client de ne pas mettre les pieds dans le plat.

L’avantage est qu’imaginer un client avec les deux pieds dans un plat d’endives, ou de chicons, en plein dîner, peut porter à sourire, et décrisper. Or, je ne puis ce jour que vous ramener sur terre quant à l’origine de cette expression.

En effet, comme le rappelait Pierre Guiraud1 : « Dans les expressions de ce genre, il faut toujours chercher des synonymes qui éclairent le sémantisme sous-jacent ». Or le sens de cette expression est bien de commettre une gaffe ou d’agir en contradiction avec le tact ou les convenances. Inutile donc de vous représenter un maladroit en train de piétiner des récipients dans votre cuisine adorée. C’est bien plus subtil que cela ;

Au XIXe siècle, le plat désignait une étendue d’eaux basses, un endroit où la rivière permet le passage. Un gué. Et précisément, ce mot « gué » se dit dans certains dialectes du Lyonnais ou de Provence, « gaffe ». Et le verbe « gaffer » signifie « patauger dans la boue, barboter ». Vous l’aurez donc compris, « mettre les pieds dans le plat », c’est bien avancer, patauger, « gaffer », difficilement et péniblement dans cette eau peu profonde, en la troublant. Le fonds d’un plat, au sens défini précédemment, est en effet souvent boueux et vient troubler la clarté de l’eau lorsqu’on y met les pieds. C’est donc à ce phénomène que se réfère l’expression signifiant qu’une personne aborde maladroitement un sujet à éviter et qu’elle continue à en parler longuement, semant ainsi le malaise chez son auditoire, troublant sa tranquillité. Et de là l’idée de maladresse, assez légère certes pour que l’on n’en fasse pas « tout un plat ». Selon Alain Rey, cette explication aurait aussi l'avantage d'expliquer le sens familier du mot « gaffe » dont l'origine serait peu claire, sinon, car bien loin de la perche du batelier.

A ce propos, la vie n’est-elle pas justement un long fleuve tranquille que l’on remonte à grands coups de gaffes ? … 

Je vous laisse méditer sur ces sages paroles en espérant que vous « n’avalerez point votre gaffe » et vivrez encore heureux longtemps (cette expression des chasseurs de baleine, signifiant mourir, vient du fait que lorsque l'un d'entre eux tombait à l'eau et se faisait bouffer par une baleine, il avalait sa gaffe.). A ces fins, ne faites donc pas comme nos amis américains en mettant votre pied dans votre bouche (To put your foot in your mouth) ou en mettant le doigt dans la plaie à l’instar des Argentins (Meter el dedo en la llaga).

L’injure : Badouillard

Un badouillard est un fêtard. Sous Louis-Philippe (06.10.1773 – 26.08.1850, dernier roi à avoir régné en France), le mot était employé par les étudiants parisiens pour désigner un coureur de bals masqués, un membre d’une joyeuse association d’étudiants parisiens durant la monarchie de Juillet. Il a ensuite servi à qualifier tous ceux qui couraient de bal en bal et passaient leur vie à faire la fête. Badouiller était ainsi le synonyme de « faire la noce » et l’on nommait badouillerie une vie libertine.

« Et comme, après l'avoir quitté, je pensais silencieusement à l'insolence des prétentions de ce quart d'auteur de pièces non jouées, Hébrard, qui l'a pratiqué aussi, lorsque tous deux faisaient de la bohème, me dit : « Vous concevez, dans le moment, on va nommer tous les badouillards du parti, tous ceux qui ont du linge... » »2 .

Le mot : Expectoration, n.f., Hist. Relig.

Action de promulguer le nom d’un cardinal nommé par le pape dans le secret de sa pensée. 

Le verbe, « expectorer », v. tr. : Rendre publique la nomination d’un cardinal faite in petto par le pape.

La curiosité : La famille ivre et sobre

L’adjectif ivre apparaît en français vers 1140, avec le sens « dont l’esprit est troublé par le vin ». Cet adjectif vient du latin ebrius, de même sens. Son opposé sémantique, sobre, est présent dans un texte d’environ 1170 ; curieusement, il signifie tout d’abord « qui mène une vie honnête, austère », avant de prendre rapidement le sens de « qui mange et boit avec modération » puis, bien plus tard, vers 1650, celui de « qui ne boit pas ». Sobre est un emprunt du latin sobrius, « qui n’a pas bu, à jeun ; modéré », lui-même dérivé de … ebrius, qui a donné ivre ! Tout ramène donc à la vigne !

Jean-Joris Schmidt,
Administrateur

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1 Guiraud, P., « Les locutions françaises », Que sais-je ?, PUF, 1973, p.91

2 E. et J. DE GONCOURT, Journal,1876, p. 1127

A propos de l'auteur

Jean-Joris
Schmidt
Ancien administrateur

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