Quand je mets à vos pieds un éternel hommage
Voulez-vous qu’un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d’un cœur
Que pour vous adorez forma le Créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n’ose dire.
Avec soin de mes vers lisez les premiers mots,
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.
Ainsi s’adressa Alfred de Musset à Georges Sand. C’est ce que l’on appelle un acrostiche. Et comme la belle n’était pas bête, elle répondit tout de go à cette bête qui lui en demandait de belles :
Cette insigne faveur que votre cœur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.
Vous noterez que « couche » et « nuit » sont deux exemples évidents de ces mots qui, dans notre langue, sont polysémiques, comme « crue », « pièce » ou « juste », ce qui permet ainsi à nos tourtereaux de s’échanger des propos crus sans paraître s’éloigner du ton juste.
Hippolyte Wouters a couché … sur papier le texte de cette conférence sur les joyeusetés de la langue française qu’il a déjà prononcée dans bien des pièces et qui, à chaque fois, ravit ses auditeurs. Quel plaisir de le voir ainsi jongler avec adresse et les mots (ceci est un zeugma, comme dans « bizarre, se dit-il en français, lui-même et gloussant » ou, plus juridique, « il viola cette pauvre femme et la loi » : absence de répétition d’un mot ou d’un groupe de mots quand l’esprit peut aisément les rétablir) !
Et la Marine va venir à Malte.
Bon dieu, qu’elle y reste ! L’art du palindrome (mot ou phrase qui se lit de façon identique de gauche à droite ou de droite à gauche) est plus délicat, non ?
Hippolyte nous invite aussi à ne pas confondre calembours (déviation du son ; exemple : il ne faut pas mettre la charia avant l’hébreu) et jeux de mots (déviation du sens ; exemple : les trains étaient à l’arrêt à la suite d’un mouvement de grève ; ils sont repartis à la suite d’un arrêt du mouvement). Dommage qu’il répugne à s’exercer à l’art du contrepet. Mais tant qu’il ne m’oblige pas à boire le verre des juges…
Il nous propose quelques savoureux mots-valises, comme « simululer » (pousser des cris nocturnes pour faire croire à son amant qu’avec lui, c’est chouette) ou « unanimitié » (je pense que vous n’avez pas besoin, pour celui-là, que je vous fasse un dessein…, ou un des saints, ou un des seins, …). Dans le genre, j’aime bien » écollabobo », version moderne de ceux que Renaud fustigeait en se disant que par certains côtés, il faisait aussi partie du lot (sans la Garonne. Normal, ce gars est de Rhône).
On sait qu’Hippolyte, inventeur du scrabble en duplicate (et premier champion du monde dans la discipline) est aussi un fameux verbicruciste (celui qui compose les mots croisés, que résolvent ensuite les cruciverbistes). Il nous livre quelques-unes de ses plus belles définitions, comme « fréquente le palais et nuit à la couronne »1 ou « célébrité avec un jet tout à fait privé… »2. Si je devais lui en suggérer une, je proposerais « Con qui s’adore »3…
Les plaisirs de l’orthographe (pourquoi le mot « femme » ne comprend-il pas de « a » ?), de la prononciation (pourquoi le « r » de « monsieur » est-il muet sauf si on lui enlève son « mon » ?) et des pluriels (pourquoi « œil » perd-il toutes ses lettres, sauf une, au pluriel ?) sont également passés en revue.
Et puis, il y a la fameuse féminisation des fonctions qui nous réserve de belles surprises : quel est le point commun entre un homme public, un homme facile, un courtisan, un professionnel, un coureur, un entraineur, un gars, des chasseurs alpins, un péripatéticien, un homme qui fait le trottoir, … ? Mettez-les au féminin, vous verrez bien. Du grain à moudre pour les woks…
La conjugaison a aussi ses plaisirs. Ne nous plairait-il pas qu’il faille, qu’on le veuille ou non, pour autant qu’on le puisse ou qu’on le sache, harmoniser les conjugaisons des verbes falloir, vouloir, pouvoir et vouloir ? Oui mais sur quel modèle ? Car la phrase précédente pourrait devenir : Ne nous plairait-il pas qu’il feuille, qu’on le vache ou non, pour autant qu’on le paille ou qu’on le suisse …
La fraction n’est pas prévisible, c’est là son moléculaire défi…
Cet exercice consiste à remplacer, dans une phrase bien connue, chaque mot signifiant par le septième mot qui le suit dans le dictionnaire. La musique de la langue fait que, généralement, cela n’empêche pas la cigale de danser et la fourmi de la reconnaître.
Et cela marche aussi avec le Code pénal : « Tout condensé à mortier aura la tétée tranquille ». Cela l’humanise même beaucoup…
Les joyeusetés de la langue française, par Hippolyte WOUTERS, Bruxelles, 32 pages, 15 euros (à commander à l’adresse hippolyte@wouters-theatre.com et à payer au compte BE12 0637 5061 1192).
Patrick Henry,
Ancien président
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1 Caramel.
2 Manneken Pis.
3 Il est vrai que cela correspondrait à pas mal de solutions. Mais je pense à un ex – et malheureusement peut-être futur – président qui ne se prend pas pour un petit Mickey.