« Il faut sonner l’alarme, pour éviter que demain sonne le glas ! » martelait Me Frédéric KRENC à l’issue d’une plaidoirie limpide pour AVOCATS.BE, partie intervenante dans l’affaire dite « des visas syriens » à l’audience de Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme de ce mercredi 24 avril 2019.
Cette affaire concerne un couple de ressortissants syriens et leurs deux enfants qui se virent refuser des visas de court séjour qu’ils avaient sollicités auprès de l’ambassade de Belgique à Beyrouth en vue de demander l’asile en Belgique.
Invoquant l’article 1 de la Convention (obligation de respecter les droits de l’homme), ainsi que les articles 3 (traitement dégradant ou inhumain), 6 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif), ils se plaignent du refus des autorités belges d’exécuter les mesures ordonnées par le Conseil du Contentieux des Etrangers dans un arrêt du 20 octobre 2016 enjoignant l’Etat de leur délivrer un laissez-passer ou un visa valable 3 mois afin de sauvegarder « leurs intérêts », ainsi que de l’impossibilité de poursuivre l’exécution de ces mesures par la voie judiciaire.
L’Etat belge (suivi par 11 autres Etats) conteste l’application même de la Convention au cas d’espèce, estimant être territorialement sans pouvoir de juridiction … contrairement donc à l’interprétation donnée par ses propres juges, premiers acteurs naturels et indépendants de la Convention, dont le respect n’est assuré que subsidiairement par la Cour.
L’occasion de rappeler la prééminence du droit sur la force, laquelle ne peut être utilisée par l’exécutif que pour servir l’Etat de droit…et non ses propres intérêts…
L’occasion de dénoncer le mépris pour la justice, dont l’indépendance est ainsi mise en péril.
Arrêt dans un an… le processus de délibération des 17 juges est complexe.
L’occasion de souligner « le rôle et l’importance des avocats pour le soutien des droits fondamentaux » comme l’expliquait Mme Françoise TULKENS à la suite de l’audience, aux bâtonniers présents en nombre à cette journée européenne organisée à leur intention.
« Il vous faut répercuter ces questions de principe auprès des avocats de vos barreaux » insistait-elle.
La veille, une rencontre avec la Jurisconsulte, Anna AUSTIN, avait permis de se rendre compte qu’à la Cour européenne des droits de l’homme également, pour « faire plus avec moins », il fallait compter sur le partenariat, notamment avec les avocats, mais aussi avec le réseau des « Cours supérieures » (actuellement 74) des différents Etats, par la création d’une plateforme multilatérale collaborative permettant l’échange et l’organisation des connaissances (guides par articles et par thèmes, travail comparatif, e-learning,…). Cette plateforme sera externalisée pour les gouvernements, les juges … et les avocats, dès 2020.
Mr Georges RAVARANI, Juge élu au titre du Luxembourg, soulignait quant à lui que, différemment de la Cour de Luxembourg qui « raisonne dans l’abstrait », la Cour de Strasbourg « traite de cas concrets », de situations vécues qui interrogent : « l’Etat de droit s’arrête-il là où l’Etat ne le veut pas ? »
Réponse pas toujours évidente avec une interaction entre les dispositions normatives de la Convention et celles de 47 Etats…et 830 Mio de justiciables…
Mr Gilles HEYVAERT, Ambassadeur belge au Conseil de l’Europe, rappelait la création de ce dernier en 1949, fondé sur le « progrès social et économique » en matières scientifique, d’éducation, d’économie, d’administration, de droits, notamment humains…
Le comité des ministres traite notamment de l’exécution des arrêts de la Cour : indemnisation, invitation à modifier les normes internes,…
Les assemblées parlementaires élisent les juges à la Cour.
En sa qualité de vice-président du Comité des Parties de la Convention d’Istanbul (visant l’élimination de toutes violences domestiques et de toutes discriminations de genre), Mr Heyvaert détaillait les mécanismes de monitoring mis en place (le GREVIO en l’espèce) pour contrôler la mise en œuvre effective des Conventions : enquêtes par voie de questionnaires aboutissant à des recommandations dont le renforcement est assuré par les parlements nationaux et régionaux.
Mmes Eva PASTRANA, cheffe d’Unité HELP (Human Rights Education for Legal Professionals) et Eva MASSA, coordinatrice du projet « prévention contre la radicalisation » présentaient le programme de formation à l’attention de tous les professionnels du droit (juges, procureurs, avocats) et des professionnels amenés à collaborer avec eux, dans le domaine de la santé (bioéthique), de la détention (probation), du travail (inspection bien-être), ainsi que les derniers cours qui viennent d’être élaborés.
Elles soulignaient l’importance du réseau « écoles judiciaires-barreaux » et la gratuité des cours donnés en ligne aboutissant à une certification et surtout, à référencer le cadre juridique pertinent et actualisé applicable.
Un outil exceptionnel et efficace à consulter en ligne via le lien : http://help.elearning.ext.coe.int/
Last but not least, l’accueil du Conseil de l’ordre des avocats de Strasbourg, sur invitation du bâtonnier Christophe DARBOIS, concrétisait merveilleusement la « fraternité », cette valeur intemporelle probablement à la base de toutes les autres ?
Merci à tous les intervenant(e)s pour la qualité exceptionnelle des exposés, aux bâtonniers et leurs accompagnant(e)s pour l’intérêt porté à ces questions essentielles, et à Anne JONLET, notre responsable du bureau européen de liaison, pour cette organisation parfaite et motivante : il n’y a plus qu’à…
Pierre Henry, Administrateur
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