Oui, il faut prendre des risques pour essayer de faire en sorte que nos enfants ne vivent pas dans le monde des Kouachi, des Coulibaly et des Imran Khan. La liberté de critique des idées et des croyances, c’est le verrou qui garde en cage le monstre du totalitarisme.
Ce qui souille l’humanité, ce qui insulte Dieu s’il existe, ce ne sont pas nos caricatures, c’est le meurtre d’innocents, ce sont les propos de comptoir du pape, ce sont les délires paranoïaques d’un premier ministre pakistanais, c’est l’absence de doute qui caractérise le fanatisme, c’est ce puissant venin pour l’esprit qu’est l’idéologie victimaire, celle du fameux deux poids, deux mesures, ou de l’accusation d’ « islamophobie », là où, en réalité, le droit s’applique de la même manière pour tous. Ce poison-là configure les esprits dans le rejet de l’Autre et la violence. Ce qui souille l’humanité, c’est la bêtise de ces tribunes, de ces articles, de ces prises de parole expliquant qu’il serait responsable d’abandonner les caricatures de l’islam pour en faire une religion d’exception.
Quand il n’écrit pas des romans ou des scénarios de bandes dessinées1, Richard Malka plaide. Pour la liberté d’expression. Pour nos valeurs républicaines. Pour Charlie.
Ce petit ouvrage, c’est le texte de la plaidoirie qu’il avait préparée pour le procès des frères Kouachi, de Coulibaly et des autoproclamés idéologues qui les ont aidés. Il l’a prononcée le 4 décembre 2020, pas tout à fait en ces termes bien sûr, mais en en suivant le canevas.
Savez-vous que pour exciter les fanatiques et induire la fatwa qui a été lancée contre ceux qui ont osé publier les fameuses caricatures de Mahomet, quelques imams danois particulièrement pervers les ont diffusées en y ajoutant trois autres caricatures – elles vraiment insultantes – jamais publiées ni dans le Jyllands-Posten, ni dans Charlie, ni ailleurs (les caricatures originales ont aussi été publiées, sans déchainer de protestation, dans le journal égyptien Al Fagr et dans France-Soir), tirées, pour deux d’entre-elles d’un site américain suprémaciste blanc et, pour la troisième, d’un concours de dessins enfantins, organisé chaque année dans la petite ville de Tulle à l’occasion d’une fête du cochon qui n’a aucun rapport avec l’islam et auquel ces scélérats avaient ajouté une légende islamophobe ? Qui a blasphémé ?
Savez-vous que ceux qui ont relayé ces accusations, pour fustiger ces « immondes dessinateurs qui osent ainsi manquer de respect » à leur Dieu (en réalité, pas du tout à leur Dieu mais bien à ceux qui dévoient son message à des fins terroristes), on trouve le premier ministre du Pakistan Imran Khan, l’homme qui a fait emprisonner Asia Bibi, jeune chrétienne accusée de blasphème parce qu’elle avait osé boire quelques gouttes d’eau dans une fontaine qu’elle ignorait être réservée aux musulmans ? Ou le cheikh Al-Qaradâwî, guide spirituel des Frères musulmans, responsables de l’assassinat du père Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray ? Ou le prince Al-Thani du Qatar qui traite les travailleurs étrangers embauchés pour construire les stades de la prochaine coupe du monde de foot comme des esclaves ? Ou le président Erdogan qui fait massacrer des musulmans kurdes par milliers ?
Savez-vous que, parmi nos dirigeants politiques, il en est beaucoup qui ont accordé du crédit à cette folie meurtrière en laissant entendre que, oui, décidément, il faudrait être plus prudents, plus respectueux, éviter ce qui blesse inutilement, etc., puis même, après les premiers attentats, que c’était à prévoir, que cela devait arriver, que c’était odieux d’assimiler l’islam au terrorisme (mais qui a assimilé l’islam au terrorisme ? Certainement pas les caricaturistes qui n’en dénoncent que les dérives) et qu’il fallait comprendre que cela choque et blesse les musulmans (tous les musulmans ? alors que seuls les fanatiques sont visés) ? Bravo Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Emmanuel Todd ou Élisabeth Guigou, voire Laurent Fabius (« il faut éviter de mettre de l’huile sur le feu »), Daniel Cohn-Bendit (« Ils sont maso… ») ou Jean-Luc Mélenchon (« un regard raciste qui encourage les débordements… ») pour ces paroles visionnaires !
Oui, les opinions religieuses peuvent être discutées, critiquées. C’est le propre de nos démocraties au sein desquelles aucune idée n’est intangible. Sinon, c’est le règne de l’obscurantisme, la fin des Lumières, l’avènement de la pensée unique, la terreur, 1984 ou Le meilleur des mondes. Penser deviendra interdit. Est-ce le monde que nous voulons ? Un monde où des chanteurs populaires peuvent impunément réclamer « un autodafé pour ces chiens de Charlie-Hebdo » (Nekfeu), qu’on leur « coupe les mains » (Disiz la Peste – qu’il est bien nommé !), ou qu’on les « encule avec des couteaux Laguiole » (Mehdi Meklat), mais où il est interdit de critiquer ceux qui font du discours religieux un discours de haine. Un monde où l’on tue Samuel Paty parce qu’il ose apprendre le débat à ses élèves. Un monde où l’on exécute à la kalachnikov de simples caricaturistes. Un monde où le rêve c’est de « néantiser l’Autre », comme l’écrivait Claude Lévi-Strauss. Demain, les chiens ?
Et oui, les religions sont aussi, dans les mains d’irresponsables (ou de dirigeants assoiffés de pouvoir), des armes de destruction massive.
Une religion de paix ? Mais il faut vraiment ne jamais avoir lu le Coran et la Torah pour considérer qu’il s’agit de religions de paix et d’amour. On y imagine mille supplices pour ceux qui s’écartent du chemin, des menaces, des sanctions, des raffinements plus cruels les uns que les autres pour exécuter les condamnés à mort. Ce ne sont pas des textes de paix et d’amour.
Pour être honnête, seul le Nouveau Testament l’est2. Le problème, c’est que la religion catholique a causé bien plus de morts que toutes les autres. La Saint-Barthélemy, c’est trois mille morts à Paris en une seule nuit. Ce bâtiment entier ne suffirait pas à en organiser le procès. Et trente mille morts en France la nuit en question. Les croisades3 et l’inquisition additionnées, ce sont des millions de morts. Et pour en revenir à l’islam dans une période récente : deux cent mille morts en Algérie durant la décennie noire, quatre cent mille morts en Syrie, les Yézidis massacrés…
Non les religions ne sont pas faites que de paix et d’amour, elles sont ce que les hommes en font.
« Il ne faut pas aller à l’autre bien qu’il soit différent mais parce qu’il est différent », a écrit Lévinas.
Patrick HENRY,
Ancien Président
1 Voyez notamment Tyrannie, Le voleur d’amour, Idiss ou L’Ordre de Cicéron.
2 Notez bien que dans le Nouveau Testament, on trouve néanmoins des versets tels ceux-ci : « Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc, 14, 26) ou « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Matthieu, 10, 37).
3 Ne serait-il pas légitime de se demander si le pape Urbain II, initiateur de la première croisade, ne doit pas être compté au rang des plus grands auteurs de crimes contre l’humanité ?